Acta fabula
ISSN 2115-8037

2008
Juillet-Août 2008 (volume 9, numéro 7)
Olivier Belin

Char. Le temps du retour

Patrick Née. René Char. Une poétique du Retour, Paris : Hermann Éditeurs, 2007, 319 p.

1Issu d’une thèse soutenue en 1986, le livre de Patrick Née interroge résolument l’enjeu philosophique de la poésie de Char. Comme le souligne l’introduction, il s’agit non seulement de faire retour sur le poète après une relative éclipse de l’attention critique durant les années 1990, mais surtout de montrer que l’œuvre ne cesse de poser le problème du retour, c’est-à-dire de l’origine : d’où son dialogue permanent avec la philosophie, qui implique de relire Char en prenant « au sérieux la dimension pensante de son inspiration poétique », ou de « reconnaître le jeu d’une permanente dialectique entre le dire du poète – qui n’a rien lui-même d’un philosophe académique – et ce qui l’a marqué » au cours de ses lectures ou de ses rencontres (p. 7).

2Ce dialogue avec la philosophie se concentre selon P. Née autour de trois figures : Nietzsche, Héraclite et Heidegger, qui forment une trilogie continûment invoquée dans ses interrelations avec l’œuvre de Char, les deux premiers jouant un rôle important dans la constitution de sa poétique, le troisième venant plutôt confirmer certaines de ses intuitions. Nietzsche, en effet, incarne d’abord l’union entre pensée et poésie ; précocement et profondément fréquenté par Char, il est à la fois le penseur de l’Éternel Retour et le relais vers les présocratiques. Héraclite vient donc naturellement à sa suite — Héraclite que Char n’a cessé de revendiquer, se l’appropriant pour en faire un modèle d’affrontement des contraires dans une lutte amoureuse là où Breton voyait en l’Éphésien un précurseur de la synthèse hégélienne des contraires. Si ces deux références forment un patronage peu discuté et peu discutable, le rapport de Char à Heidegger suscite au contraire le débat, soit par volonté de détacher le poète d’une référence encombrante (P. Née range dans cette catégorie les critiques de Paul Veyne1 ou d’Henri Meschonnic2), soit, de manière plus nuancée, par refus de réduire abusivement l’originalité charienne (P. Née de citer ici un article de Patrick Quillier3). Sans doute, P. Née se garde d’entrer dans une polémique pro ou contra Heidegger ; il n’empêche que la lecture de son livre révèle un critique désireux de réévaluer la place du philosophe allemand, sinon à la source, du moins dans le voisinage de Char. Comme il l’écrit en effet dans son introduction, P. Née n’entend pas inférer « une quelconque relation causale d’influence », mais bien plutôt « expliquer un phénomène de rencontre » ou d’« aimantation réciproque » (p. 17) entre le poète et le penseur, d’autant plus remarquable que Char lui-même n’a cessé de marquer sa reconnaissance à Heidegger.

3C’est cet arrière-plan philosophique qui guide la démarche du livre, construit en deux parties elles-mêmes subdivisées en chapitres : la première se place sur un plan général afin de dégager de l’œuvre de Char une « Théorie du Retour », qui commande un rapport particulier à la langue, au style, au site ou au temps ; la seconde, intitulée « Le retour à l’œuvre », se concentre sur le premier versant de la poésie charienne (celui des textes surréalistes et post-surréalistes des années 1930) pour mettre cette théorie à l’épreuve et montrer la mise en place d’un imaginaire qui, convoquant la métaphore structurante de l’aval et de l’amont, établit un mode particulier de spatialisation du temps dans l’écriture.

4La « Théorie du Retour » que P. Née bâtit dans la première partie de son livre confronte la poésie de Char aux trois philosophes cités plus haut, de manière conjointe ou séparée. Le chapitre initial, « La linguistique tête en bas », rapporte ainsi le langage poétique de Char (même si le poète est très peu cité ici) à l’horizon de Heidegger, via l’interprétation de Jean Beaufret, horizon qui renverse les attendus de la linguistique en faisant de la parole non un moyen de désigner les choses, mais le lieu où se dévoile, s’écouter et se manifeste l’Être lui-même. Dès lors, l’enjeu de l’œuvre d’art comme de la poésie est moins de créer ou de fabriquer de l’étant (autrement dit de se réduire à une technique) que de laisser apparaître l’Être, par une véritable aletheia. Si Char est érigé en poète exemplaire « d’une telle phusis : c’est-à-dire de la continuité de l’Être et de l’étant » (p. 35), c’est que toute son écriture fragmentaire est tendue vers l’Être, dont l’appel ne peut se faire entendre que dans l’instant. Dans « Du fragmentaire » (ch. 2), P. Née rappelle les analyses de Philippe Lacoue-Labarthe et de Jean-Luc Nancy4 afin de montrer combien, pour Char comme pour Schlegel, la poétique du fragment relève d’une véritable vision du monde — à tel point que Char, loin d’accepter que le texte mutilé d’Héraclite soit le résultat des accidents du temps, y voit un projet essentiel et volontaire, refondant ainsi à une source archaïque l’esthétique du fragment et de l’inachèvement héritée du romantisme. C’est que l’ascendance d’Héraclite est constitutive de l’identité poétique de Char, qui n’interprète pas la philosophie du présocratique comme une synthèse des contraires (vision hégélienne qui forme la doxa surréaliste) mais comme un dualisme permanent et inconciliable (inflexion nietzschéenne que Char adoptera dès 1938, et dont l’impact se retrouve dans le texte aphoristique de 1949 intitulé « Rougeur des Matinaux »).

5L’importance de l’esthétique fragmentaire détermine plus généralement chez Char une véritable « Poétique du temps » (titre du ch. 3), dans la mesure où le fragment charien est lié de manière privilégié au présent, mais un présent qui, loin de se réduire à l’actuel ou à l’instantané, se dilate vers l’éternel et s’étend également en direction du passé et du futur. Car le temps de Char est celui de la présence du désir, qui annule la succession tout en interdisant l’oubli, et ouvre le jeu des extases temporelles : d’où le privilège accordé aux images du bond, de l’éclosion, du saccage, du déluge, pour dire l’ouverture énergétique de ce présent. De même, le motif du silex matérialise la capacité du temps à se retirer pour mieux jaillir en étincelle : au-delà, c’est toute la fascination de Char pour Lascaux et pour la préhistoire qui resurgit, et que P. Née rapporte en termes heideggeriens à l’Historial, ce temps toujours matinal et destiné à éclairer notre futur, par opposition à l’historique, temps de la succession, du progrès et des téléologies que Char rejette. Au temps historique et technicien, qui fait peser un risque de « décomposition de l’ancien visage du monde » (p. 85), l’œuvre du poète oppose ainsi une incessante résistance, position tragique mais qui mise sur le chaos pour mieux y redécouvrir le visage matinal du temps. En ce sens, le refus de la technique ne doit pas être rabattu sur un passéisme réactionnaire : le désir d’un retour à l’originel se double constamment chez Char de la conscience de son impossibilité, et plus largement d’un refus de toute nostalgie ou de tout refoulement. Une fois précisé ce rapport au temps, P. Née peut alors tenter de définir, selon le titre du ch. 4, « Ce qu’est, et ce que n’est pas, l’Éternel retour charien » : une nouvelle version de l’Éternel retour nietzschéen, mais selon l’interprétation qu’en donne Heidegger (une volonté de puissance en constant retour sur soi mais aussi en constant débordement) et non selon celle qu’en ont fait Klossowski et Deleuze (qui envisagent l’Éternel retour comme une pure répétition cyclique, oubliant le passé et se réitérant sans accroissement). Relu à travers Heidegger, Nietzsche apparaît ainsi à P. Née comme un ascendant majeur de Char, à qui il offre l’exemple d’une haine du ressentiment, d’une révolte positive ou d’une énergie dionysiaque aussi violente que comblante, et qui permet surtout de penser paradoxalement le retour comme une relance, un relais, « lequel ne redit pas le même, mais l’autre du même » (p. 119).

6Passant du temps à l’espace, le ch. 5 entend aller « De l’exigence heideggérienne du site, au site propre à Char ». Il ne s’agit pas ici de vérifier les énoncés de Char à partir de la pensée de Heidegger, mais d’examiner leur rapport commun à la parole, le style poétique de l’un se rapprochant de l’ontologie de l’autre en ce que tous deux font référence à la notion de site comme lieu originel du déploiement de la parole. Sur ce point, la « métaphore fondamentale du champ » (p. 123), commune aux deux auteurs, permet de souligner l’ancrage territorial et amical de la poésie charienne, portée par le sentiment d’une transmission et d’une filiation. Ce site, pourtant, n’a rien d’une petite patrie régionaliste ; il constitue en fait un lieu essentiel, un véritable nombril du monde (au sens de l’omphalos grec) dont la valeur ne se révèle qu’à travers une menace (le nazisme durant la guerre, la technique ensuite) et sur lequel le poète porte le regard d’« Ulysse plutôt qu’Icare » (p. 128) : si la figure d’Ulysse, loin des tentations de l’évasion icarienne, symbolise l’attachement à une terre, elle pose également la nécessité du départ pour mieux découvrir le sens de la patrie. Approfondir l’exil, c’est donc, selon un paradoxe brillamment développé par P. Née, accroître l’expérience du rapatriement, et faire de la patrie un pays de voyage, de partage et de fraternité, ouvert sur un ailleurs capable en retour d’éclairer le natal. Un paradoxe analogue guide l’analyse des positions politiques de Char après guerre, au cours d’un sixième chapitre (« Actuel, inactuel : quel engagement poétique ? ») qui se focalise sur la décennie 1946-1956, période où Char livre de nombreuses parutions dans la presse, avant de délaisser l’expression publique. À partir d’une typologie des interventions de Char (réponse aux enquêtes, interviews, lettres ouvertes, avec pour organes privilégiés Combat et Le Figaro littéraire), P. Née discerne chez le poète une forme de « désengagement engagé », accru par la rupture avec les communistes, et plus largement un « dégagement par une rhétorique de la brièveté hors des codes de l’écriture de presse » (p. 147). En une décennie, Char passe ainsi de la prise de parole journalistique au choix du silence, réservant à sa seule poésie un rapport critique à l’actualité. Au-delà du mode d’énonciation qui caractérise les prises de position du poète, sa ligne de conduite est guidée par le refus du précepte selon lequel la fin justifie les moyens : c’est ce qui motive sa dénonciation du communisme, du discours simplificateur des idéologies, des promesses d’âge d’or, des religions de l’Histoire, de la persistance de la perversion nazie dans l’inconscient humain. Contre le discours ample et enveloppant des idéologies, Char choisit le laconisme de la forme brève ; et son pessimisme vis-à-vis du temps historique se double de l’espoir, sur le plan historial, d’un retour à l’Être par le biais privilégié du poème.

7La seconde partie du livre de P. Née, « Le Retour à l’œuvre », place l’imaginaire charien sous le signe d’une « postulation simultanée de descente aval et de retour amont, assurant un cycle productif de l’Éternel retour » (p. 163), une continuité s’instaurant ainsi entre l’en-avant et l’origine. Pour mettre en évidence cette « loi d’aval/amont » (p. 22), P. Née s’appuie essentiellement ici sur le premier versant de la production poétique de Char, qui explore la tentation d’un aval et d’un enlisement sans retour, avant que l’œuvre ultérieure ne cherche à remonter vers une origine redynamisante. Axée sur le rapport à l’origine, cette approche thématique permet ainsi de reconstituer une évolution de la poésie charienne des années 1930. Au seuil de l’œuvre, il y a d’abord le recueil Arsenal (1929), qui pose, selon le titre du ch. 1, « Une tension initiale : la dialectique d’aval/amont » : selon P. Née, ce premier livre assumé par Char dit à la fois l’exigence d’aller de l’avant et le devoir de repasser par l’inaugural, comme si tout progrès ne tirait sa force que d’une récession. Le deuxième chapitre interroge plus précisément cette « Présence de l’origine » à travers différents motifs privilégiés : la caverne, emblème d’une fécondité maternelle et d’une réserve de forces naturelles ; la merveille, « liée à l’originaire d’une terre antérieure » (p. 177), d’un contact primitif entre l’homme et le monde dont l’enfance reste la trace la plus vivante ; l’amour, érigé en « mode d’accès à l’Être » (p. 181) ; le simulacre, qui substitue à l’origine une projection narcissique et mensongère.

8Cette dialectique d’aval/amont mise en place avec Arsenal, la période surréaliste de Char va cependant l’estomper au profit d’un imaginaire exclusif de l’aval, qui délaisse le point de vue de l’origine : c’est le temps de l’« Infléchissement vers l’aval » (ch. 3), avec son paysage d’élection (le delta, le fleuve, la mer, le sable, les marais), son imaginaire du passage ou de l’enlisement, son érotisme guidé par une torpeur et un engourdissement que secoue seulement une agressivité sadienne. La thématique d’aval est volontiers matérialisée par l’écoulement de l’eau, avec l’ambiguïté qui la caractérise : car si l’eau associée aux rêves ou aux opérations alchimiques promet une immersion gratifiante et fascinante, elle reste toujours un flux qui échappe au sujet, comme en témoigne le motif exemplaire de l’eau à l’écart et inaccessible. Cette part négative explique qu’à partir de Moulin premier, qui marque l’écart avec le surréalisme en 1936, l’imaginaire d’aval soit de plus en plus nettement mis à distance et critiqué : se dessine alors l’idée d’une circulation féconde entre aval et amont, la régression passive vers le premier pôle étant contrebalancée par la remontée active vers le second. Ce sont alors Placard pour un chemin des écoliers (1937) et Dehors la nuit est gouvernée (1938) qui donnent les premiers signes tangibles d’un cycle dialectique entre l’expansion indéfinie de l’aval et la constriction dynamique de l’amont. Dès lors, le ch. 4 peut aborder les « Évolutions du cycle » dans la poésie de Char, tout l’enjeu étant ici de profiter de la dynamique motrice du cycle sans se laisser enfermer dans la clôture parfaite du cercle. Le motif du phénix, présent durant l’époque surréaliste, permet ainsi de symboliser l’« évolution à partir d’une identité non reniée » (p. 216). L’autre image du cycle productif, c’est la révolution, terme qui dit à la fois la circularité du retour et le refus violent de tout immobilisme conservateur : de sorte que le cycle du progrès dessiné par Char s’oppose au cercle fermé des institutions sociales, et que l’impératif révolutionnaire de ses poèmes surréalistes use souvent de l’image d’un aller-retour destructeur entre les bas-fonds et la surface. Le cycle révolutionnaire a pour but de renverser l’ordre du monde, sous la poussée d’un désordre en marche, d’un cataclysme meurtrier mais rénovateur. Pourtant, avec Moulin premier, le motif du cycle se voit également soupçonné de stérilité et de décomposition, dangers que seule la perpétuelle relance d’un nouveau cycle peut éviter.

9La méfiance envers l’enfermement dans la circularité a pour ressort un goût de l’écart qui garantit l’indépendance du poète. Le ch. 5, intitulé « Le retrait et la sortie », montre ainsi combien Char est retranché bien plus qu’engagé, et combien, dès Arsenal, sa poésie érige le dégagement en principe d’action, avant que les thèmes du vagabondage et du nomadisme ne viennent traduire son refus du sur-place. De manière analogue, le jeu entre « L’oubli et la mémoire », objet du ch. 6, permet tout ensemble de revenir à l’origine et de la tenir à distance : P. Née révèle ainsi toute une fascination charienne pour l’oubli, paradoxalement capable de fonder une nouvelle mémoire, et transcendé dans le motif du congé, ce rejet qui, loin de tout refoulement subi, permet au sujet de construire son identité. C’est ce qui permet à P. Née de replacer la poésie de Char sous le signe d’une anamnèse, d’un éternel retour de la mémoire sur elle-même, comme en témoignent les textes ou les corrections d’après guerre, souvent marqués par une remémoration fondatrice. En proposant ensuite un « Parcours des sources », le ch. 7 repère un motif essentiel à la matérialisation du motif du retour : d’abord enfouie dans les sables à l’époque surréaliste, la source s’en dégage jusqu’à ce que Moulin premier identifie la figure du poète lui-même à celle d’un être accordé au jaillissement des eaux, doué d’une relation privilégiée avec l’origine et chargé de laisser ressortir l’Être à travers son langage. Pourtant, et Char y insiste, le retour amont n’est pas un retour aux sources, au sens usuel de l’expression. Le ch. 8, intitulé « Le retour », dégage celui-ci de toute tentation nostalgique ou régressive, insistant sur la part de risque, d’inconnu et de découverte que comporte la remontée vers l’origine. À l’époque surréaliste, le motif de la rencontre apparaît ainsi comme une « première expérience de l’Éternel retour comme retour de l’inconnu » (p. 259) : si Char reprend sur ce point la mythologie surréaliste, c’est qu’elle recouvre en fait l’un de ses projets intimes — approfondir la rétrospection jusqu’à ce qu’elle permette de relancer l’avenir, là où Breton ne se projette dans l’avenir que pour mieux retrouver un inconnu enfoui dans le passé inconscient.

10La vertu énergétique du retour implique alors de penser, comme le fait le ch. 9, une « Métamorphose du mouvement », un mouvement auquel la poésie de Char impose deux exigences : d’une part l’en-avant (avec l’image d’un poète en marche), d’autre part la remontée (mouvement ascensionnel que traduisent sur le plan spatial les métaphores de la verticalité ou du soulèvement, et sur le plan temporel la traversée de la nuit pour aboutir au matin ou à l’éveil). Dès lors, si le titre du dernier chapitre emprunte une forme interrogative (« Vers amont ? »), c’est parce que l’amont rêve représente moins un point idéal qu’un point d’interrogation, impossible à fixer et à conquérir une fois pour toutes : au contraire, la poésie de Char est prise dans une permanente « tension d’aval/amont » dont P. Née fait le « moteur secret de l’œuvre » (p. 293) — un moteur à deux temps qui trouve son fonctionnement exemplaire dans le recueil précisément intitulé Retour amont (1965). Telle est la pensée charienne de l’origine, que P. Née détache de la « déconstruction derridienne, ennemie de toute poétique de l’origine » (p. 301) à travers la critique d’un article de Jean-Pol Madou5, et qu’il rapproche finalement d’un Heidegger et à la « recherche de la source de la source6 ».

11Au fil de commentaires d’une extrême finesse, qui ne négligent jamais la matérialité des textes, le livre de P. Née, grâce à la problématique du retour et de l’origine, nous plonge au cœur du dialogue entre la poésie de Char et la philosophie – plongée riche et foisonnante, parfois jusqu’à la complexité. Si les noms d’Héraclite et de Nietzsche sont privilégiés dans l’ouvrage, c’est assurément Heidegger qui y occupe une place de choix : les esprits rétifs au penseur allemand ou au mariage entre poésie et philosophie y trouveront sans doute à redire, mais P. Née, on l’a vu, entend moins conformer l’œuvre de Char à celle de Heidegger que dégager leurs convergences autour de la question de l’inaugural ou de l’éternel retour. Là où l’influence heideggerienne se fait sentir, c’est plutôt dans la construction du livre de P. Née et dans sa manière de reconfigurer l’œuvre de Char, dont l’évolution semble ici régie par un temps destinal, comme si la poésie charienne ne se développait que par un constant retour à la dialectique originelle présente dès Arsenal, recueil liminal des Œuvres complètes. D’où, parfois, l’étrange impression que tout est joué d’avance, qu’il existe chez Char un telos implicite, et que son œuvre entière se projetterait dans la loi d’aval/amont explicitée par le recueil Retour amont. Impression qui tient peut-être, du reste, à la disposition du livre, la partie théorique et générale précédant une analyse beaucoup plus serrée des textes, mais qui nous semble véritablement première pour mieux comprendre les enjeux dessinés par P. Née. Il n’en reste pas moins que cette Poétique du retour, en articulant avec profondeur écriture et philosophie pour rendre compte d’un mouvement essentiel à l’œuvre de Char, replace celle-ci à l’horizon d’une poésie spéculative dont le modèle, depuis le romantisme, ne cesse d’être renouvelé et contesté par les poètes eux-mêmes.