Qu’est-ce qu’une nouvelle ?
1Qu’est-ce que la nouvelle ? C’est la question que formule Allan Pasco au début des Nouvelles Francaises du Dix-Neuvième siècle : Anthologie. Cette question, bien entendu, ne peut être traitée de façon définitive. Répondre veut plutôt dire tenir compte d’une certaine ambiguïté critique qui règne sur le genre. Son travail relève avant tout d’un positionnement et d’un démarquage vis-à-vis d’autres positions critiques. C’est ainsi qu’il procède, il fait défiler, une par une, les écoles critiques au travers du prisme de son regard informé : le structuralisme, le positivisme historique, « la théorie prescriptive » (10), l’ensemble documenté de façon minutieuse pour révéler le caractère foncièrement incomplet de toute définition d’un genre finalement varié. À travers le démontage rigoureux des définitions et des théories de la nouvelle, le lecteur pourrait croire à un élan post-structuraliste, mais l’auteur fustige cette école critique qui, selon lui, réduit l’œuvre littéraire à « de simples prétextes de peu d’importance finale » (3).
2Ses réflexions idéologiques ne l’empêchent pas de donner une définition fonctionnelle de la nouvelle qu’il considère comme « une courte fiction littéraire écrite en prose » (6). S’il reste une qualité plus saillante que les autres, c’est la brièveté qui « n’est jamais aléatoire, mais […] constitue un modèle formalisant » (p. 14). Il est évident qu’ici le roman plane derrière la nouvelle donnant un point de référence pour toute démarcation. La nouvelle tend vers le général dans sa formulation épigrammatique car le roman tend vers le particulier dans sa présentation analytique. Inversement, la poésie du langage n’arrive qu’« accidentalement » (11), affirme-t-il, dans la nouvelle, ce qui pourrait sembler réduire la poésie à un modèle plus rigide qui exclurait une certaine poétique du roman, ou des modèles poétiques plus ouverts comme les petits poèmes en prose.
3Cette délimitation du genre qui semblerait, au premier abord, poser la question de l’impossibilité du genre, crée plutôt l’occasion d’un vrai travail critique. Face à la réalité et à la diversité de ses exemples, le critique pose des questions épineuses : Où mettre une nouvelle « longue » comme Jettatura de Gautier ? Qu’est-ce qui sépare le conte de la nouvelle ? De même, quelles différences trouve-t-on entre des fabliaux et des nouvelles ? Il s’agit de question que le critique aborde, problématise, et parfois résout, sans jamais tomber dans une vision réductrice.
4L’hypothèse la plus controversée s’avère l’alliance du genre nouvelle avec la catégorie “esthétique” :
5«ce qui faut étudier, c’est si les qualités esthétiques du texte parviennent à conférer à la narration un certain degré d’art », (p.10).
6Ou encore :
7« les moyens change à travers les âges sans modifier l’ambition première de la nouvelle […] qui est de produire une unité esthétique » (p.10).
8Fixer le genre sous l’esthétique représente un parti pris sur la littérature elle-même : sa valeur inhérente, ses intentions et son autonomie. Lorsque le critique affirme « La création doit avoir été réalisée avec l’intention évidente de créer du beau (10) », on est en droit de demander si l’on peut isoler une "intention" du beau dans le texte. Son choix s'explique pourtant lorsqu'on situe la nouvelle dans son champ d'action culturelle du XIXe siècle. On peut s’apercevoir que les termes, « esthétique », « beau », tout comme celui de « l’Art » renvoient à un certain idéal artistique, à son apogée au XIXe siècle, qui oppose l’Art aux formes culturelles plus populaires. Cette période témoigne, en outre, de l'arrivée en France des théories esthétiques d'Hegel qui hiérarchisent les arts, et des écrits de Poe qui revalorisent, par le biais de Baudelaire, la nouvelle spécifiquement. C'est dans un contexte général de réflexion esthétique que la nouvelle arrive enfin à assumer sa place comme genre sérieux, comme art sérieux.
9 Aussi l’ouvrage Nouvelles Françaises du Dix-Neuvième siècle assume-t-il pleinement sa double fonction : la reconnaissance des chefs d’œuvre du genre et l'expansion de ses limites habituelles. Si certains auteurs sont bien connus pour leurs nouvelles (Chateaubriand, Balzac, Maupassant, Flaubert), d'autres le sont beaucoup moins. Pourquoi choisir De Staël, Desbordes-Valmore et Rachilde si ce n'est, en tenant compte de la critique féministe, pour "souligner les erreurs d'une France trop masculine", (p. 21) ou encore l’éclectique Vivant Denon et le courtisan Marcel Schwob si ce n'est pour exposer la complexité des modèles et la diversité des voix ? Chaque choix est justifiée par une notice courte préalable à chaque auteur, qui situe celui-ci dans le siècle d’un point de vue historique et littéraire.
10Cette anthologie témoigne ainsi de la vitalité de la nouvelle au-delà des réflexions théoriques qu’elle soulève. En associant une démarche historique rigoureuse avec une préoccupation théorique souple, le critique consolide la notion de la nouvelle, en réservant une place à la découverte et l’inattendu.