Manifestes du Futurisme
1Le vingt février 2009 marquera le centième anniversaire de la publication, en première page du Figaro, du « Manifeste du futurisme » de Filippo Tommaso Marinetti1. À l’occasion de cet anniversaire sont programmées plusieurs manifestations visant à réinterroger l’importance du futurisme et à reconsidérer son impact sur la scène internationale. Parmi ces initiatives se distingue, par sa dimension, le projet coopératif entre le Centre Georges Pompidou de Paris, les Scuderie del Quirinale de Rome et la Tate Gallery de Londres. Cette collaboration est à l’origine d’une exposition en trois volets dont la première partie, intitulée « Le futurisme à Paris. Une avant-garde explosive », est actuellement visible au Centre Pompidou jusqu’au 26 janvier 20092. À l’occasion de cette exposition, les éditions Dilecta viennent de publier un volume intitulé Debout sur la cime du monde. Il contient 27 manifestes futuristes accompagnés de documents d’archives, de notes explicatives et d’un essai introductif de Jean-Pierre de Villers en édition bilingue (français-anglais). Les manifestes futuristes contenus dans ce recueil, datés de 1909 à 1924, sont quant à eux tous en langue française ; ils sont présentés par ordre chronologique et, plus important, sont reproduits en fac-similé.
2La réimpression intégrale de ces documents permet non seulement de les lire ou de les relire, mais aussi de (ré)interroger l’un de leurs aspects les plus significatifs, à savoir leur architecture visuelle. Comme Jean-Pierre de Villers nous le signale dans son introduction, la reproduction à l’identique des 27 manifestes préserve en effet les sensations de vitesse, de surprise et de provocation qu’ils généraient à l’époque de leur parution. Elle permet en outre de prendre en considération leurs caractéristiques typographiques comme la numérotation en caractères gras de certaines parties des textes, l’agrandissement de points, titres et passages, ainsi que, de manière plus générale, l’adoption d’une « nouvelle police de caractères »3.
3Debout sur la cime du monde s’ouvre sur le « Manifeste du futurisme » tel qu’il fut présenté dans Le Figaro de l’époque et tel qu’il fut publié dans un pamphlet de 4 pages de la « Direction du mouvement futuriste » de Milan. Ce document est suivi par le « Manifeste des peintres futuristes », daté de 1910 et signé par les peintres milanais, romains et parisiens Boccioni, Carrà, Russolo, Balla et Severini. Suivent : le « Manifeste des musiciens futuristes » de 1911, signé par Balilla Pratella ; le manifeste des « Auteurs dramatiques futuristes » de 1911, qui, outre les signatures des peintres et musiciens mentionnés ci-dessus, présente également celles des poètes Lucini, Buzzi, Cavacchioli, Palazzeschi, Govoni, Altomare, Folgore, Carrieri, Bètuda, Manzella-Frontini, Cardile, Mazza, et D’Alba ; enfin, le lecteur rencontre, quelques pages plus tard, le célèbre document de trois pages intitulé « L’antitradition futuriste », daté de juin 1913 et portant la signature de Guillaume Apollinaire4. Outre qu’ils lient un premier ensemble de noms à la ferveur futuriste, ces documents sont particulièrement significatifs en ce qu’ils rendent visibles les ramifications internationales du mouvement. Ces dernières sont également soulignées par la présence dans le recueil de deux autres documents que Marinetti a co-signés : l’un en 1914 à Londres avec R.W. Nevinson (« Contre l’art anglais ») et l’autre en 1921 à Milan avec Francesco Cangiullo (« Le théâtre de la surprise », suivi par des « synthèses » et des « surprises théâtrales» rédigées par Marinetti, Cangiullo, et Calderone).
4La plupart des manifestes présentés par le recueil portent la seule signature de Marinetti : celui « de la fondation », bien sûr, mais aussi le « Manifeste technique de la littérature futuriste » de 1912 et son « Supplément » de la même année ; « L’imagination sans fils et les mots en liberté » et « Le Music-Hall » (1913) ; « La splendeur géométrique et mécanique et la sensibilité numérique » (1914) ; « La danse futuriste » (1917) ; « Contre le luxe féminin » (1920) et « Le tactilisme » (1921) ; « La nouvelle religion-morale de la Vitesse » (1922) ; enfin, « Le futurisme mondial, manifeste à Paris » qui date de 1924. En complément de cette sélection de textes marinettiens, le recueil reproduit intégralement la version française du « Discours futuriste aux Vénitiens » de 1910 où Marinetti, s’adressant aux « Vénitiens, esclaves du passé », oppose les « lampes électriques » et les « merveilleux engins de vitesse » à la « Venise pourrie de romantisme ».
5Différents autres textes reproduits dans Debout sur la cime du monde retiennent particulièrement l’intérêt ; ainsi le « Manifeste de la Femme futuriste » (1912), « réponse à F.T. Marinetti » de Valentine de Saint-Point. L’auteure y signale qu’« il est absurde de diviser l’humanité en[tre] femmes et hommes », dans la mesure où la majorité des femmes et la majorité des hommes « méritent le même mépris ». Dans le « Manifeste futuriste de la Luxure » (1913), Valentine de Saint-Point répond « aux journalistes improbes qui mutilent les phrases pour ridiculiser l’idée » et à bien d’autres, tels ceux qui voient dans la luxure un « péché »5. Elle proclame que la luxure, « élément essentiel du dynamisme de la vie », est une force qui doit être conçue « en dehors de tout concept moral ».
6À l’époque de la publication des textes de Valentine de Saint-Point (1912-1913) correspondent le « Manifeste technique de la sculpture futuriste » signé par Umberto Boccioni, « L’art des bruits » du peintre Luigi Russolo, et « La peinture des sons, bruits et odeurs » de Carlo Carrà. De 1919 datent cependant « Le théâtre aérien » d’Azari, aviateur futuriste, et le texte sans signataire intitulé « Le futurisme avant, pendant, après la guerre ». Enfin, à 1920 et 1923 correspondent, respectivement, le manifeste « Contre tous les retours en peinture » conjointement signé à Milan par Dudreville, Funi, Russolo et Sironi, et « L’art mécanique » des peintres Prampolini, Pannaggi et Paladini.
7L’essai de Jean-Pierre de Villers qui précède ces différents fac-similés souligne la dimension géographique du futurisme (ses « antennes à Paris et Londres » étant liées à « son quartier général à Milan »), son esprit « messianique », ainsi que son désir d’inaugurer un processus de véritable « rénovation globale de l’homme »6. Afin d’attirer l’attention sur les relations entre futurisme, dada et surréalisme, J.-P. de Villers propose également un résumé des principales caractéristiques qui, selon la bibliographie critique, ressortent des manifestes futuristes : leur esprit iconoclaste, leurs stratégies communicatives visant à surprendre, étonner et agresser le lecteur, et leur « dimension théâtrale » — cette dernière étant amplifiée quand le manifeste est « lu sur scène, dans la rue, mimé par son auteur » et que ses pages sont « lancé[e]s du poulailler d’un théâtre sur les spectateurs, jeté[e]s du haut du campanile de Saint-Marc ou même jeté[e]s d’automobile ou d’avion »7.
8Entre la version française et la version anglaise de l’essai de Villers sont présentées dix pages comprenant des photographies et des reproductions d’autres documents d’archives. En plus des miniatures des premières pages du Figaro du 20 février 1909 et du manuscrit du « manifeste de la fondation », de la main de Marinetti, on trouve des instantanés le figurant avec plusieurs autres signataires des manifestes reproduits dans le volume. Sont associées à ces instantanés quelques affiches, des caricatures, et plusieurs pages « motlibristes » des années 1915–1919. Se distinguent particulièrement un collage de Marinetti, dont le texte rehaussé à la main fut réalisé en 1916 pour célébrer le record d’altitude du pilote Guido Guidi, ainsi qu’un dessin à la plume du même Marinetti, destiné à un ouvrage sur les mots en liberté, produit vers 1914 et jamais publié.
9En conclusion, Debout sur la cime du monde est un recueil qui rend accessible aux lecteurs de langue française une sélection significative de plusieurs manifestes futuristes de la période 1909-1924, dans leur aspect original8. Si la réduction de la taille des textes rend parfois difficile une lecture soutenue, cette réimpression en fac-similé possède cependant une véritable force : elle permet en effet aux manifestes d’échapper aux trois grandes cibles du futurisme, à savoir les musées, les archives, et la poussière qui les caractérise.