À propos de Nice, et de Le Clézio
1Le premier numéro des Cahiers J.-M.G. Le Clézio interroge les rapports, multiples et complexes, que l’œuvre de cet auteur entretient avec la ville de Nice et ses environs. Il présente à cette fin, sous le titre évocateur de À propos de Nice, une série de textes hétérogènes : témoignages, essais critiques, entretiens, images, hommages et documents d’archives, ainsi qu’un poème intitulé « Épizootie » écrit par le prix Nobel lui-même. Les différentes contributions contenues dans ce recueil se distinguent tant par leur variété que par la quantité de corrélations et de jeux d’échos que leur réunion génère.
2L’ouverture de ces interventions à des parcours interprétatifs synergiques est illustrée par les divers travaux qui, encadrés par des photogrammes extraits des films Mondo et La Prom, interrogent les relations entre écriture, langage cinématographique, et arts visuels. Dans un entretien avec Edmond Baudoin, illustrateur de l’édition Futuropolis du Procès-verbal (parue en 1989), la réflexion sur les rapports entre dessin et écriture s’accompagne ainsi de plus vastes considérations sur la confrontation entre le signe écrit et les espaces blancs de la page. Un peu plus tard, Isabelle Roussel-Gillet évoque l’image du flâneur benjaminien avant de développer une série de « chemins de traverse spatio-temporels entre les Nice pluriels et les hauteurs ». Partant de « traces filmiques et photographiques » et de réminiscences d’À propos de Nice de Vigo et de La Prom de Depardon, et gardant toujours en discours d’arrière-plan les mots de Le Clézio, Roussel-Gillet propose d’utiliser la notion d’« entrevoirs » afin d’ouvrir de multiples « entrées dans l’imaginaire leclézien par les fenêtres d’autres images ».
3Pour continuer à penser la coprésence du texte et de l’image, le lecteur du recueil pourra également considérer conjointement la lettre aux amis de Le Clézio et le « souvenir » en prose de l’artiste niçois Ben Vautier1 ainsi que l’aquarelle inédite de Tanguy Dohollau reproduite au verso de la couverture du volume et son récit « Les Plomarc’h », évocation d’une rencontre avec Le Clézio et d’autres amis en Bretagne au cours de l’été 1997.
4Les multiples façons de penser les relations dynamiques entre image et langage sont également au cœur de l’essai de Bruno Thibault, où la nouvelle de Le Clézio intitulée Mondo, datant de 1978, est associée au film homonyme de Tony Gatlif réalisé en 1995. Bruno Thibault observe comment, dans ces deux œuvres, les déplacements territoriaux sont liés à des thématiques plus larges telles que la réalisation de soi et la confrontation de l’individu avec la société. Dans la nouvelle de Le Clézio, Nice est présente mais jamais directement nommée, tandis que les collines constituent un espace initiatique donnant accès à un point de vue extérieur à celui du centre urbain : « la vision panoramique [y] remplace la vision paranoïaque ». Le document cinématographique de Gatlif, quant à lui, resitue dans la topographie spécifique de Nice les problématiques centrales de la nouvelle, et réinscrit dans l’espace de cette ville l’opposition entre « intégration, matérialisme et consumérisme d’une part ; errance, initiation et ascèse spirituelle d’autre part ».
5Le thème de la confrontation entre individu et société est abordé par plusieurs autres contributions au volume, parmi lesquelles se démarque la transcription d’un dialogue de 1963 entre Yves Buin et J.-M.G. Le Clézio. Dédié en premier lieu au Procès-verbal, cet entretien détaille les conceptions de la sensualité, de la fatalité, et du désespoir ontologique qui caractérisent, selon son créateur, la « folie » d’Adam Pollo, personnage central du roman. Le Clézio propose en outre diverses considérations relatives à ses sentiments de l’époque sur la fonction de l’art, ainsi qu’à son propre « besoin égoïste de [s’] exprimer » par l’écriture.
6Dans Nice et son Haut-Pays, Madeleine Borgomano remarque comment « l’ambigüité des sentiments de Le Clézio pour Nice, sa ville natale » se traduit dans son œuvre par une série de représentations hétéroclites. Étoile Errante enregistre ainsi une perceptible tension entre la Nice de la guerre, ville « mauvaise » à cause de « ses choix historiques et politiques », et Saint-Martin-Vésubie, village alpin qui constitue au contraire un « refuge et [un] paradis, même provisoire et menacé, » investi de « valeurs positives ». Pour Borgomano, la critique de l’« indifférence » aux « cris des suppliciés » de Nice pendant la guerre serait tempérée par la proximité de la Méditerranée, qui rendrait à cette ville « une certaine innocence ».
Marina Salles s’intéresse également au rôle de la mer dans l’œuvre leclézienne et observe comment la Méditerranée, en plus d’exercer une attraction constante sur plusieurs personnages et de leur inspirer de liquides rêveries bachelardiennes, y est représentée à la fois comme matrice poétique, lieu initiatique et territoire ouvert aux rencontres, ainsi que comme un tissu dynamique qui enregistre le passage de l’histoire et « met les hommes en phase avec le temps cyclique du cosmos ».
7Un certain intérêt pour le thème de l’initiation est également porté par Claude Cavallero dans sa lecture poétique de la nouvelle Villa Aurore, tandis que les ancrages territoriaux du roman Révolutions (et plus spécifiquement, les sinueux périples initiatiques que sa trame développe autour de La Kataviva de Nice), permettent à Adina Balint-Babos de formuler une lecture du récit inspirée des concepts deleuziens de territorialisation, différence et répétition.
8Avec l’essai « Nice, 1940-1944 » Thierry Bedon entre dans le domaine de l’historiographie et dépeint un « décor » en trois nuances qui réunit les traits essentiels de la vie niçoise pendant la seconde guerre mondiale : sous le régime de Vichy, puis sous l’occupation italienne, et enfin sous l’occupation allemande. Bedon évoque aussi les raisons pour lesquelles, au début des années quarante, d’importants cinéastes ont convergé vers les Studios de la Victorine, tandis qu’à partir de novembre 1942 et jusqu’à septembre 1943, les Italiens ont accordé une certaine protection aux populations juives.
9Le recueil se conclut par une série de notes de lecture qui comprennent les comptes-rendus de trois œuvres de Le Clézio parues dans la période 2006-2007 (Ourania, Raga, et Ballaciner), ainsi que de quelques travaux critiques parus au cours de la même période. Suivent une bibliographie thématique, où se distingue la section dédiée aux « topographies », ainsi qu’une micro-section de documents d’archives comprenant des extraits de correspondance entre Le Clézio, Michèle Ray-Gavras et Tony Gatlif autour de l’adaptation filmique de Mondo.
10Réalisé sous la houlette de l’association Les Lecteurs de J.-M.G. Le Clézio, le premier numéro de la revue annuelle Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio propose une série d’interventions qui se distinguent par leur soin de ne pas « faire l’apologie de Nice comme berceau d’un écrivain qui n’a de cesse de dire qu’aucune partie du monde ne vaut plus qu’une autre ». Comme Isabelle Roussel-Gillet et Marina Salles le signalent dans leur introduction, les différents « textes critiques et gestes de création » contenus dans le recueil nous invitent plutôt « à des lectures plurielles » qui enrichissent la bibliographie dédiée à l’œuvre leclézienne, ouvrant de multiples points de départ pour sa lecture et sa relecture.