L’édition Sellier des Pensées de Pascal rééditée
1Les Pensées sont les papiers retrouvés à la mort de Blaise Pascal. Une grosse partie de ces fragments, environ 80 %, sont les travaux préparatoires d’une Apologie de la religion chrétienne que Pascal ne put mener terme. Il existe trois types de classement des Pensées : le classement thématique, retenu notamment dans la première édition, dite « de Port-Royal » (1670), et dans l’édition Brunschvicg (1897), qui s’est imposée durant une bonne partie du XXe siècle ; le classement visant à reconstituer le dessein de l’auteur, en suivant les indications des fragments eux-mêmes, principe d’édition dont Victor Cousin a posé les fondements, dans son Rapport en 1842 ; le classement reproduisant les papiers de Pascal dans l’état où ils ont été trouvés. Ce dernier type d’édition est le plus souvent utilisé par les chercheurs, car il respecte les dossiers constitués par Pascal. Les premières étapes de la transcription des fragments étant perdues, on dispose de deux copies, écrites de la même main. Les éditions Lafuma (19511) et Le Guern (19772) suivent l’ordre de la première copie. L’édition Sellier (19763) suit la seconde copie, considérée comme la copie de référence, l’ordre qu’elle présente ayant été d’emblée intangible. Conscient que ce type d’édition, indispensable pour les enseignants, les étudiants et les chercheurs, risque de déconcerter le lecteur non averti à cause du relatif désordre des dossiers les uns par rapport aux autres, Philippe Sellier a également édité les Pensées en organisant la succession des dossiers suivant les indications de Pascal4.
2La réédition, par les Classiques Garnier, de l’édition Sellier correspondant à l’état brut des Pensées reprend les outils critiques des versions antérieures. L’introduction de 82 pages présente la vie de Pascal et son itinéraire intellectuel, les manuscrits des Pensées, le projet apologétique, le réseau de thèmes et d’images et l’écriture pascalienne. Philippe Sellier y synthétise notamment ses travaux sur la source augustinienne dans les Pensées et sur l’imaginaire pascalien5. La bibliographie sélective a été modernisée. Le texte des Pensées est également précédé d’une chronologie et de La Vie de monsieur Pascal par sa sœur Gilberte, biographie elle-même étudiée comme relevant du genre littéraire de la légende. L’annotation est précieuse, certaines Pensées étant elliptiques : les citations et les sources sont identifiées. En outre, certains points lexicaux et syntaxiques sont éclaircis. Des renvois à d’autres fragments et des remarques techniques relatives aux manuscrits aident à l’interprétation. Une annexe décrit les Pensées « à l’état natif », en se fondant sur les travaux de Pol Ernst6. Un glossaire explicite certains termes employés par Pascal, dont le vocabulaire, jamais technique ni jargonnant, est néanmoins très précis. Deux tables de concordance, l’une entre l’édition Sellier et les éditions Lafuma et Brunschvicg, l’autre entre l’édition Sellier et l’édition Lafuma, permettent de retrouver des fragments cités dans des études anciennes ou ne suivant pas le classement retenu par Philippe Sellier. L’index est également très utile pour retrouver des fragments lus antérieurement. Cependant, il ne doit pas être utilisé comme unique entrée du volume, car on perd alors de vue les dossiers constitués par Pascal, qui sont des unités de sens.
3La nouveauté de cette réédition est l’ajout d’opuscules et des lettres de Pascal, qui éclairent les Pensées. Ils ont été édités par Philippe Sellier et Laurence Plazenet. Les introductions, tantôt brèves, tantôt développées, selon la taille et l’importance des textes, présentent le contexte de rédaction de ces écrits. Des références aux Pensées invitent à un parcours de lecture. Certains textes sont des extraits de lettres de Pascal : le dossier n’est donc pas une édition de la correspondance pascalienne qui serait ajoutée aux Pensées, mais un recueil de textes qui compose une sorte d’arrière-plan. On ne peut que se réjouir qu’un écrit aussi important pour le projet apologétique de Pascal que l’Entretien avec monsieur de Sacy, pour ne citer que lui, soit mis à la disposition immédiate du lecteur des Pensées.