Le(s) romantisme(s), de A à Z
1Le romantisme a fait couler beaucoup d’encre, mais parmi la multitude d’ouvrages de synthèse qui lui sont consacrés, Alain Vaillant a su voir qu’il en manquait encore — au moins ! — deux. D’abord, un dictionnaire, pratique et facile d’usage, qui expliquerait de façon précise et synthétique la spécificité du romantisme d’un auteur, ou du traitement romantique d’un thème, tant le romantisme est une notion complexe et à manier avec précaution1. Ensuite, il manquait une étude du romantisme dans le monde, même si le développement des études comparées a favorisé les études du romantisme européen2. Le Dictionnaire du Romantisme, sous la direction d’A. Vaillant, comble ces deux vides. En effet, ce dictionnaire très riche est précédé d’un essai de près de cent pages, qui propose une « histoire globale du romantisme3 ». Le parti‑pris qui préside à cet ouvrage — même si l’introduction est bien plus qu’une simple justification de celui‑ci — y est clairement exprimé : le romantisme est un fait culturel global et mondial, qui ne saurait être enfermé dans les bornes étroites du premier xixe siècle. Si le terme « romantisme » en vient alors à recouvrir des réalités très singulières, que le dictionnaire traite séparément en proposant de longues entrées par aire géographique, il existe bien un romantisme, que l’introduction a charge de définir4.
2Unité et diversité du romantisme sont ainsi envisagées de façon précise et pertinente, dans l’introduction comme dans le dictionnaire, dont la qualité des articles a été garantie par le choix des auteurs. Chaque aire linguistique et domaine du savoir ont été confiés à un spécialiste, qui s’est chargé en général de l’article de synthèse sur la question, et a rédigé — seul ou avec le concours de (jeunes) chercheurs — l’ensemble des articles. Citons‑les : Emmanuel Fureix (histoire politique et culturelle), Pierre Wat (Beaux‑Arts), Emmanuel Reibel et Guillaume Bordry (musique), Philippe Forget (romantisme allemand), Étienne Beaulieu (romantisme d’Amérique du Nord), Jean‑Marie Fournier (romantisme anglais), Lieven D’hulst (romantisme belge et hollandais), Jean‑René Aymes (romantisme espagnol), Marthe Segrestin (romantisme de l’Europe du Nord), Alain Vaillant (romantisme français), Sandrine Maufroy et Marie Tsoutsoura (romantisme grec), Patrick Collard (romantisme ibéro-américain), Aurélie Gendrat‑Claudel (romantisme italien), Jennifer Yee (Orient, exotisme et empires coloniaux), Maria Cristina Pais Simon (romantisme portugais), Ioana Bota (romantisme roumain), Victoire Feuillebois et Déborah Lévy‑Bertherat (romantisme slave et hongrois), Timothée Léchot (romantisme en Suisse francophone). Les articles sont donc l’œuvre de spécialistes capables d’appréhender un domaine dans toute son étendue, et une approche cohérente de ces domaines a été privilégiée.
Où commence et où finit le romantisme ?
3Après une histoire des termes « romantique » et « romantisme » et la circonscription d’une « géographie du romantisme », l’essai tente de définir le contexte politique d’émergence du romantisme, et explique de façon convaincante ses différents moments d’apparition dans le monde. Ainsi, on peut dire que partout,
le romantisme correspond à la période qui, pour chaque pays européen ou sous influence européenne, s’est étendue de l’émergence des premières aspirations politiques nationales à l’établissement d’une démocratie parlementaire — avec tout son appareil légal et administratif —, et désigne globalement les activités culturelles, artistiques, intellectuelles et littéraires qui se sont développées pendant cette période de transition. (XXXI)
4L’essai déroule ensuite un socle de principes, thèmes et caractères communs : le culte de l’absolu et de l’art, une vision semblable du politique et de l’histoire, du sujet dans le monde, ou encore de l’amour. Se voient ainsi habilement comparés les romantismes anglais, allemand, français, russe, américain, etc., que l’on peine parfois — ou que l’on renonce souvent — à considérer ensemble. C’est là la principale originalité de cet ouvrage, qui envisage le romantisme de façon globale, et pas seulement en termes d’influences. Dans cet essai introductif, il ne s’agit alors pas tant de parcourir la diffusion des idées et des thèmes romantiques dans le monde, que d’affirmer leur caractère national en même temps que leur profonde similitude. Les phénomènes de transfert et de traduction, le rôle de la presse et des récits de voyage, sont ainsi examinés comme des facteurs de diffusion du romantisme, d’un pays à un autre, réciproquement « et dans tous les sens ». Le romantisme serait ainsi « la première forme moderne de mondialisation, le premier avatar de cette world culture qui est désormais notre décor familier5 ».
Sommes‑nous tous des romantiques français ?
5Il faut souligner la place de choix qui est faite au romantisme français dans cet ensemble, ce qui constitue une autre originalité de ce projet : l’introduction, ainsi que l’article d’A. Vaillant sur le romantisme français, présentent la France comme le second mais véritable berceau du romantisme. En effet, si le romantisme allemand est bien considéré comme la source « philosophique et théorique » du romantisme,
la déferlante romantique qui submerge le monde peu ou prou occidentalisé provient incontestablement de la France, de l’extraordinaire attrait qu’exerce sa culture et, en particulier, du rayonnement exceptionnel de Paris6.
6La spécificité du romantisme français — fondé sur le combat — provient de son rapport particulier au classicisme et de l’impact de la Révolution française. D’origine et d’essence politique, il aurait alors transmis aux autres pays l’idéal de la Révolution, tout en ayant pour particularité d’avoir déjà connu l’idéal réalisé, et déçu. De là découlent les différentes tendances du romantisme en France, et le lien maintes fois souligné entre romantisme et révolution à travers le monde. Si l’on peut regretter que certaines analyses, dans l’introduction, soient largement consacrées au romantisme français au détriment d’autres traditions, il faut souligner la volonté des auteurs de mettre justement au premier plan cette dimension essentiellement politique du romantisme, et partant, la France. En effet, cet ouvrage est aussi une défense et illustration du romantisme, dont nous sommes tous les héritiers mais dont il serait important de « propager l’esprit même7 », c’est‑à‑dire l’esprit bien compris : non pas un culte du sujet dans lequel on pourrait trouver le fondement de l’individualisme, mais au contraire un sens du collectif et du combat pour le progrès qui fait aujourd’hui défaut.
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le romantisme
7Le dictionnaire s’adresse aux passionnés de romantisme comme aux novices. On y trouvera en effet la réponse à de nombreuses questions, mais on pourra aussi aisément le lire de façon linéaire, ou y entrer au hasard d’une page et se laisser guider par les multiples renvois qui accompagnent les articles. En effet, il propose de très riches synthèses sur le romantisme de chaque aire culturelle et sur les différents arts romantiques, mais aussi (en vrac) : des entrées par auteurs, thèmes (« amour », « peuple » « suicide », « oiseau »..), mythes (« bon sauvage », « Christ »...), genres (« estampe », « mélodrame »...), concepts (« arabesque », « Sehnsucht », « Witz »...), couples notionnels (« communisme et romantisme », « Allemagne et révolutions françaises »…). Il recouvre ainsi tous les aspects du romantisme, envisagé comme un fait culturel total, englobant la littérature et les beaux-arts, et intègre également des éléments essentiels d’histoire (« Empires coloniaux », « Indépendance grecque », « Révolution de 1848 »…) et d’histoire culturelle (« Bas-Bleu », « keepsake »…). Ne sont oubliés ni les figures tutélaires du romantisme (« Dante », « Shakespeare »), ni leurs grands hommes (« Napoléon Bonaparte », « Garibaldi »), ni les penseurs qui les ont inspirés (« Pierre Leroux », « Adam Smith », « Kant », « Augustin Thierry »). L’ensemble n’est bien sûr pas exhaustif, et l’on trouvera toujours quelques oublis (Vico ? Darwin ? La science romantique en général, qui aurait pu être traitée à part, ne donne lieu qu’à une très courte notice intitulée « Art et Science8 »), mais on voit bien la grande richesse de cet ouvrage.
8Il faut noter également l’apport que constitue la bibliographie, coordonnée par Ada Smaniotto, qui vient idéalement compléter cet ouvrage. Selon un classement thématique, elle constitue (à la fois ou au choix) un très bon outil de travail et une invitation à d’autres lectures. Une réserve cependant : l’approche en soi comparatiste de l’ouvrage ne se retrouve pas dans la bibliographie, qui passe sous silence la richesse des études comparatistes sur le romantisme9.