En attendant Charlotte
1L’ouvrage dont nous allons rendre compte n’est guère que le troisième, en français, sur le sujet, qu’il soit concept, notion ou corpus, de la « littérature mondiale », après La République mondiale des Lettres de Pascale Casanova (1999) et Où est la littérature mondiale ?, collectif dirigé par Christophe Pradeau et Tiphaine Samoyault (2005). Le second, comme celui qui nous occupe, était publié de façon assez confidentielle. Seul le premier, publié au Seuil, traduit en plusieurs langues, dont l’anglais, s’est mondialisé et a reçu en France la consécration du « passage en poche ». Le contraste avec une abondante production en anglais (dont rien n’est traduit en français) trahit‑il un certain provincialisme francophone face à l’impérialisme anglophone ? Et ce repli doit‑il être interprété comme manifestation d’une peur, d’un « retard historique » ou d’une résistance ? Si de telles questions ne sont pas au centre de l’ouvrage de Jérôme David, sa place dans la bibliographie comme son titre, son procédé spatio‑temporel et la fiction dialogique qu’il met en scène ne peuvent manquer de les poser.
2Une seconde remarque liminaire s’est imposée avec la difficulté de transcrire le titre tel qu’il figure sur la couverture et la page de titre : fallait‑il ou non capitaliser « Littérature Mondiale » ? Si oui, il s’agirait d’une science et d’un domaine de recherche (comme la Littérature Générale), d’une discipline d’enseignement (comme la Littérature Comparée, et peut‑être sa nouvelle rivale) ou en tout cas de quelque chose qui tendrait et aspirerait à l’institutionnalisation et à la monumentalisation. Or, dès la première page de ce qui tient lieu d’introduction et à chaque occurrence subséquente, nous lisons, entre guillemets comme dans le titre, et sans capitalisation, « littérature mondiale », telle une chose un peu informe qu’on doit excuser d’être là ou d’être ainsi nommée (trop vaste, trop ambitieuse, trop mal définie ?), mais dont le flou inciterait à « travailler sur elle » : « Disons que je tâche d’arriver à en penser quelque chose. » (p. 9)
3Il convient néanmoins de voir dans le malaise ainsi à la fois constaté et suscité un outil stratégique plutôt que l’aveu précoce d’une défaite. En plaçant la ou les questions de la ou d’une « littérature mondiale » sous le signe d’une éminente paternité qui hanterait la pensée et peut‑être la pratique contemporaine, J. David a fait simultanément plusieurs paris méthodologiques originaux qui informent la structure même de son ouvrage. Le mélange des genres, la cohabitation des discours y sont patents. Spectres de Goethe, simulant la spatio‑temporalité du rêve, n’opte pas entre état des lieux au présent et parcours historique, entre investigation et didactisme, entre description, narration et argumentation, mais essaie, sans les hiérarchiser ni les ordonner, de les disposer de telle façon que plusieurs dessins différents se découvrent dans le tapis, que plusieurs parcours soient envisageables pour le lecteur, de la foire du présent au salon du passé et retour, avec quantité d’excursions en cours de route (prévoir une journée supplémentaire). Les deux citations, de Bourdieu et de Diderot respectivement, posées en exergue des remerciements, disent bien que l’on a voulu tendre un piège à découverte, mais que le plaisir de la distraction et l’appareillage de la digression peuvent toujours reléguer « la question » au second plan :
« Faire sans savoir complètement ce que l’on fait, c’est se donner une chance de découvrir dans ce que l’on fait quelque chose que l’on ne savait pas.
« Mademoiselle de Lespinasse : Allons, docteur, buvez un verre de malaga, et vous me répondrez ensuite à une question qui m’a passé cent fois par la tête et que je n’oserais faire qu’à vous.
Bordeu : Il est excellent ce malaga... Et votre question ? » (p. 293)
4Ce livre met trop en évidence son propre jeu, comme divertissement et comme dégondage, pour lui refuser d’y jouer à l’essai. Nous le suivrons linéairement, comme il est de règle dans les voyages qui forment la jeunesse (Télémaque ou Anacharsis), avant de réunir ses bagages en un point de collecte pour interroger, au contrôle de sécurité, ce qu’il transporte et ne transporte pas, le domicile permanent qu’en fin de compte il déclare et les raisons qu’il peut avoir de se rendre en certains lieux plutôt qu’en d’autres aussi.
Entre deux avions à remonter le temps
5La table, bien dressée, révèle de soigneux équilibres et une triple contrainte. Le prologue est suivi de trois parties, dont la médiane est la plus courte (« Cosmopolitismes », « Pédagogies », « Controverses ») et d’un épilogue. Chaque partie est divisée en deux sous‑parties de longueur compatible. « Ceci n’est pas une dissertation, » comme dirait Magritte. D’autre part, prologue, épilogue et chaque sous‑partie s’intitulent non conceptuellement mais selon des localisations, simples ou doubles : À l’aéroport, Weimar, Bruxelles, Chicago, Petrograd, New Haven via Istanbul, New York (et Paris), Francfort. Enfin, l’ordre des lieux nommés correspond à une chronologie nous menant de 1827 à 2011, de l’apparition du terme de Weltliteratur dans les conversations de Goethe avec Eckermann (ou vice versa) à l’achèvement du livre de J. David.
6« Quelle était ma destination ? Je ne m’en souviens plus. [...] Il y a eu les anthropologues de cabinet ; y aurait‑il désormais des intellectuels d’aéroport ? » (p. 9) Ce sera au livre que nous allons lire de se donner, peut‑être, une destination comblant la lacune de la mémoire, ou de se démontrer sans destination, car il n’y en aurait plus, toutes identiques et semblables au point de départ. Ce sera aussi au lecteur du livre de décider s’il y a des intellectuels d’aéroport, si son auteur en fait partie ou non, peut‑être par force, au cas où il n’y aurait plus que cela. L’anonymat du lieu, non situé et non identifiable, exemplaire d’une multiple indifférence, nous projette d’entrée de jeu dans cette atmosphère d’uniformisation in‑sensée qui accablait déjà Auerbach quand il écrivait en 1952 son célèbre article « Philologie der Weltliteratur ».
7Le cauchemar du non‑lieu appelle la figure du double, pas une figure menaçante mais tout au contraire secourable, solidaire, voire tutélaire, dans sa propre demande de rompre une insupportable solitude et un figement de la pensée. Le mode d’énonciation dialogique, plus souvent en relais narratif/informationnel qu’en régime dialectique/polémique est justifié par cette fiction.
8Rendez‑vous est pris, à Weimar, première étape de la poursuite d’une conversation sur la « littérature mondiale ». Dans la salle des fêtes palatiale, en un lieu dont les proportions sont plutôt celles d’une musique de chambre que de la quadraphonie de Berlioz, nous sommes invités à saisir la relation entre « allgemeine » et « Welt », ou comment l’universalisme et l’universalité, aspirations provinciales, locales, à un classicisme qui mettrait sur la carte l’Allemagne des principautés, convoquent « le monde » (entier) comme horizon, d’abord, avant qu’il ne puisse devenir espace de déploiement. On y apprend aussi que Weltliteratur est loin d’être un complet néologisme en 1827, (car il apparaît dans un ouvrage de 1773, et dans un manuscrit de Wieland antérieur à 1813) et que ce « monde » a plus d’affinités avec Humanität qu’avec Menschkeit, avec un humanisme classiciste, à référence grecque, qu’avec l’espèce humaine en tant qu’unité bio‑anthropologique. Herder, Kant et d’autres font des apparitions ponctuelles, penseurs plutôt que littérateurs, le succès de Kotzebue, à l’époque, étant présenté comme celui d’une littérature pseudo‑cosmopolite, pour le marché.
9Deuxième étape, Bruxelles, rendez‑vous plus précisément à Ixelles, où Marx travailla avec Engels au Manifeste (mais précisons au passage qu’il en assume seul, en 1848, la rédaction définitive, fort différente du Catéchisme communiste proposé par Engels). Nous y voyons que, si la littérature n’est pas centrale chez Marx, loin de là, elle participe à une dynamique qui mènerait à la libération des possibles de l’homme. Il y aurait là une continuité partielle avec le cercle de Weimar, en ce qui concerne le mode de production de la pensée (le réseau transnational, le secret, l’effet de minorité). Mais l’universalité est celle des échanges et la Weltliteratur de Marx « est indissociable d’un “Weltmarkt” » (p. 72). C’est ce qui ressort en effet du passage‑clé cité dans la traduction de Corinne Lyotard :
Les produits intellectuels de chaque nation deviennent bien commun. L’esprit national étroit et borné est chaque jour plus impossible, et de la somme des littératures nationales et régionales se crée une littérature mondiale. (p. 76)
10C’est la circulation des biens (intellectuels comme matériels), non pas la valeur intrinsèque pour l’ensemble de l’humanité de biens produits en des lieux spécifiques (le caractère universel des œuvres), qui entraîne une mondialité/mondialisation. À retenir encore qu’« il ne s’agissait pas d’un corpus défini, ni même d’un phénomène appréhendé dans sa dimension esthétique. » (p. 86)
11Étape suivante, à Chicago, pour nous présenter l’action et la pensée d’un personnage peu connu, à tort, semble‑t‑il, de l’histoire du comparatisme et de la Littérature Mondiale : Richard Green Moulton. Ainsi ni lui ni son ouvrage World Literature and its Place in General Culture, publié chez MacMillan, New York, en 1911, ne sont mentionnés par David Damrosch dans What is World Literature ? Engagé dans l’ouverture des savoirs et surtout de la culture (générale, des valeurs libérales et... bibliques) que représentaient les University Extensions, avec leur côté populaire, sinon populiste, consistant à élever l’esprit des masses pour mieux les intégrer au système social et économique en vigueur, le Britannique Moulton, une fois à Chicago, devant un public de migrants, décloisonne et étend encore plus le corpus qu’il ne le faisait en Angleterre. Les « grandes œuvres étrangères en traduction » viennent s’ajouter aux œuvres anglophones, desserrant, de façon ambiguë, l’étroitesse de l’Englishness inculquée jusque là aux étudiants, en faisant pot commun d’un fonds de valeurs européennes. Il y a cependant pour Moulton deux littératures mondiales, la vraie, européenne, et la « collatérale », du reste du monde, formant avec la première la somme totale de la littérature appelée « universelle », dans une tout autre perspective que celle de l’universalité des œuvres, puisque seule la civilisation européenne est à ses yeux porteuse de telles valeurs. Faut‑il lui pardonner au nom de la pureté de ses intentions, parce qu’il passait en son temps pour progressiste et parce que le comparatisme de ce temps (et, hélas, dans son écrasante majorité, celui d’aujourd’hui) n’était guère plus attentif aux littératures orientales, indigènes ou des « suds » ? Certes Thoreau n’enseignait‑il pas la Littérature moderne à l’Université mais, avec la même formation classique, il était, soixante ans plus tôt, hautement attentif aux traces amérindiennes et aux leçons de ce qu’on appelait alors, assez vaguement, « philosophie orientale ». Le libéralisme autoritaire préfère éviter les atterrissages sur les pistes de terre battue. Il débouche sur cette étrangeté : il y a une littérature mondiale différente pour chaque nation et même elle ne sera pas identique « pour tous les individus d’une même nation » (p. 106). Ce chapitre se clôt sur une sorte d’absolution de l’Anthologie Norton, au moins dans ses plus récentes incarnations multiculturelles, la « comprendre » comme le fruit de multiples compromis, plutôt que la juger, telle est la position adoptée.
12La scène d’un « café végétarien » silencieux, à « une table d’où l’on pouvait observer la rue » (p. 116) introduit un nouveau personnage, une séduisante étudiante russe, petite‑nièce du mystérieux interlocuteur de « MOI », double, aîné, érudit répondant, lecteur, initialement, du Financial Times. Tous les clichés de l’espionnage, de « Nathalie, mon guide » et de la charmante francophilie russe réunis ici contribuent à teinter l’approche difficile et un peu mystérieuse de ce que pouvaient signifier les Éditions de Littérature Mondiale fondées par Gorki en 1918, et l’Institut de Littérature Mondiale (ex‑Gorki) ainsi renommé en 1936, et qui existe encore. Il ressort surtout des recherches effectuées par l’étudiante et la persona de l’auteur (LUI) que, dans un contexte de pénurie, de famine, de corruption et de violence anarchique, l’espoir révolutionnaire s’était fixé pour objectif de publier « tous les classiques de tous les temps et de tous les peuples » (p. 122) alors qu’il n’y avait pas plus de papier que de pain. Malgré l’obligatoire allégeance à la Révolution qu’impliquait la participation à cette entreprise, il y aurait eu, du moins jusqu’à l’exil, à la détention ou à l’exécution de beaucoup de ses fondateurs, un authentique enthousiasme. Il se serait agi en effet, moins d’assurer une place à la littérature russe dans l’ensemble des littératures du monde que de mettre à la disposition du lecteur russe, dont les écrivains eux‑mêmes qui découvrent en éditant, une foule d’œuvres étrangères, sans être d’ailleurs regardants sur l’idéologie (d’Annunzio figurait au catalogue). Dans les années 30, la bolchevisation et l’hypernationalisme relèguent une notion englobante de littérature mondiale au profit d’une notion restrictive, d’œuvres représentatives accompagnant l’histoire et l’anticipation de la Révolution Mondiale en marche. Sans vouloir forcer le parallèle entre totalitarisme violent et autoritarisme du consensus démo‑euro‑judéo‑chrétien‑libéral de Moulton, on retrouve au fond le même partage entre usage et pratique internationalistes de la « littérature mondiale » et sa confiscation au service d’une nation et de l’idéologie à laquelle elle s’identifie. Et la même dichotomie, quoique différemment motivée : pour Radek, il y a une littérature mondiale bourgeoise, à condamner et éliminer et une littérature mondiale au service de la révolution mondiale, la seule à cultiver. Pour Moulton, il y avait une littérature mondiale (européenne) de civilisation, et une littérature mondiale « collatérale », que l’on pouvait laisser de côté parce qu’elle ne portait pas les (mêmes) valeurs. Ceci est mon commentaire, mais on ne peut s’empêcher de constater, d’après les deux exemples donnés par J. David, une régression marquée de la pensée du mondial entre le Romantisme, voire les Lumières, orientalistes ou non, et les années 1910‑1950 et même au‑delà. L’histoire ne dit pas ce que LUI et ELLE ont pu manger d’autre que du borcht dans la nouvelle Russie de Poutine.
Du mondial exilique au Nasdaq
13L’étape stanbouliote, sur les traces d’Auerbach, qui y vécut et y travailla de 1936 à 1947, déjà très documentée, notamment par les réflexions d’Emily Apter et un ouvrage tout récent1, apporte peu d’éléments nouveaux. La synthèse offerte reste utile pour qui ne s’est pas penché sur la controverse (américaine) au sujet de l’européocentrisme supposé d’Auerbach, lequel, contrairement à Spitzer, n’avait pas appris le turc ni de langue moyen‑orientale, persan ou arabe, ni ne s’était enquis du riche patrimoine littéraire de son pays d’accueil. Si Auerbach porte un jugement mitigé sur la modernisation à tout crin menée par Atatürk, dont il sait bien que tout ce qu’elle importe (de France notamment — de la laïcité au lexique en passant par l’organisation de la gendarmerie et les structures de l’Éducation nationale) vise un redressement national plutôt qu’une fraternisation avec l’Occident, dans laquelle se fondrait l’identité turque, il arrive néanmoins, réfugié, dans une Turquie en train de perdre, en cessant d’être ottomane, les spécificités culturelles et civilisationnelles accumulées au cours d’une longue histoire impériale. La constance du plaidoyer d’Auerbach contre une mondialisation uniformisante vient sans doute de ce qu’il a pu voir en Turquie une expérience de laboratoire accélérée anticipant la dissolution de sa chère culture romane comme des autres cultures européennes ou extra‑européennes dans un informe melting pot. Le fait qu’Edward Said et sa femme aient introduit et traduit en anglais, beaucoup plus tard (en 1969) le maintenant fameux article, assez obscurément publié en allemand, à Berne en 1952, ne doit pas occulter que le choix de ne pas traduire le mot Weltliteratur par son équivalent « naturel » en anglais, « world literature » mène à des interprétations contradictoires : renvoyant à Goethe, il prendrait acte de l’héritage de l’universalisme goethéen (traduit dans la proclamation « notre patrie philologique est la terre »), mais en traitant le signifiant comme un inconvertible, il réaffirmerait le caractère national, germanique et historiquement situé de cet universalisme. Conclure, comme le faisaient les Said, que « Weltliteratur est [...] un concept visionnaire, en ce qu’il transcende les littératures nationales sans pour autant détruire leurs particularités individuelles » (cité p. 160) ne résout aucun problème, car un concept visionnaire survole de trop haut toute praxis pour nous permettre d’adopter une posture critique ou une méthodologie concrète — où l’éloge est à double tranchant —, et cette vision surplombante déshistoricise ce qu’Auerbach ne pouvait jamais renoncer à historiser en profondeur et en finesse, dans la tradition philologique. De même, c’est pour Auerbach un fait historique que « [notre patrie philologique] ne peut plus être la nation ».
14C’est pourquoi, d’après J. David, l’inévitable, la fatale standardisation d’après les guerres mondiales, serait, selon un espoir fou, l’occasion pour les philologues mondiaux de réactiver le potentiel contenu dans la diversité des origines :
La pensée de l’universalité [...] fige, agrège, hypostasie ; elle s’attache aux propriétés humaines, tandis que la notion d’Humanität insiste sur les possibilités humaines. (p. 166)
15Les longs développements qui suivent, mettant Vico à la pointe supérieure d’un triangle à la base duquel, dialogueraient en quelque décalé générationnel Auerbach et Said, ne peuvent être résumés ici. L’important est que, selon J. David, « l’entrée par Goethe » serait avant tout fonctionnelle chez Auerbach, car elle « déploie un espace intellectuel où mesurer les promesses et les dangers de la nouvelle ère qui s’ouvre après la Seconde Guerre mondiale. » (p. 184‑185) La question subsiste de savoir si l’on peut, et en quel sens, « réinterpréter le programme » d’Auerbach « à l’aune de nos préoccupations présentes » (p. 186). Auerbach ne sera‑t‑il pas trop voué à rejouer Goethe pour qu’on ne risque pas de rejouer une routine alors qu’on voudrait réinterpréter un programme.
16Le chapitre new‑yorkais/parisien sur lequel se boucle le corps de l’ouvrage examiné fera donc entrer en scène, littéralement, au théâtre de l’Académie italienne de Columbia, le pétulant acteur Franco Moretti, et métaphoriquement dans un même espace de controverse, les trois autres vedettes qui se disputent le premier plan et le dernier mot à propos de la « littérature mondiale », « globale » ou « planétaire » en un sens quelconque de chacun de ces termes : Gayatri Spivak, David Damrosch et Pascale Casanova, tous d’une façon ou d’une autre impliqués institutionnellement dans la discipline de la Littérature Comparée, ce qui n’était pas le cas d’Auerbach ni de Moulton, l’un réfugié dans la Romanistik et l’autre Professeur d’Anglais. On voit là que la « Littérature Mondiale », toujours prête maintenant à se laisser capitaliser, est instrumentalisée dans le système marchand de l’Enseignement Supérieur des Humanités — comme encore la Traductologie (Translation Studies) — pour occuper le « créneau » à la fois étroit et susceptible d’élargissement combinant les études de Littérature Comparée, les études culturelles régionales, les études littéraires unilingues transnationales (francophonie, anglophonie, hispanophonie, lusophonie, arabophonie...), et, toujours précaire, la Théorie Littéraire ou la Théorie Critique hors frontières, improprement mais significativement appelées en France « Littérature Générale ». Dans un monde où il suffit de nommer un phénomène (existant ou non), de le marquer de sa marque pour jouir au moins quelque temps d’un droit de propriété sur tous les produits dérivés, la mondialisation culturelle et économique, ainsi que l’unification en un seul réseau des moyens de transport symbolique, créent une occasion sans précédent de rente facile pour qui réussirait à acquérir à moindres frais le nom de domaine world.com et à y implanter son site personnel et exclusif. J. David n’en dit pas tant, tenant à ménager chacun des puissants acteurs de cette saynète, en particulier la guest star Moretti, qui lui a concédé quelques minutes de son temps précieux.
17Je m’attarderai donc relativement peu sur un débat dont j’ai été partie prenante surtout dans les années 2003‑2007, mais qui est retombé depuis, sans doute parce qu’il ne pourrait, faute de nouveaux rôles et de nouveaux acteurs que se rejouer ennuyeusement, avec de minces variantes. Ce débat est profondément politisé, bien au‑delà des positions politiques d’urgence ou de crise que certains ont exhibées dans les environs du 11 septembre et de la deuxième guerre d’Irak. La crise mondiale du capitalisme financier depuis 2008, ou encore les « révolutions arabes » ont pris une fois de plus de court la pensée du long terme, la seule dans laquelle « littérature mondiale » puisse prendre sens et interpréter le comment et le pourquoi des façons littéraires de signifier (ou non) aujourd’hui.
18L’année 1999 est à Paris, rappelons‑le, celle de la publication de La République mondiale des Lettres, tandis qu’elle est à New York, le 26 février, celle d’un vif débat entre Fr. Moretti et G. Spivak lors d’une journée d’études intitulée : « Comparative Literature: The Intellectual Foundations ». D. Damrosch, « devenu depuis le spécialiste attitré de la “world literature” » (p. 188) était dans la salle. G. Spivak devait reprocher à Fr. Moretti, avec qui elle reste brouillée, comme il appert de son dernier ouvrage paru2, de se poser en généraliste surplombant, en patron d’entreprise réunissant à son service une armée de spécialistes lecteurs analystes, voire microlecteurs de l’infinité des textes issus d’une foule de langues et de cultures différentes sur lesquels le grand manager mâle, européen et blanc ne daignerait pas jeter les yeux.
19En attendant l’arrivée de Fr. Moretti sur le théâtre de ses « Conjectures » de 1999 (un retour sur les lieux du crime), un Fr. Moretti qui, lui, contrairement à Godot et à Charlotte, viendra, nos interlocuteurs fictionnels mais non pas fictifs — l’auteur et son double — ont encore le temps de résumer les principales idées de D. Damrosch, qualifiées de « formules » à usage pédagogique et même de « slogans » disséminés. À savoir principalement que sa « world literature » serait un corpus à la fois canonique, instable dans le temps, et variable selon le point d’observation, d’œuvres dont le sens s’enrichit quand elles sont lues hors de leur contexte d’origine ou qui gagnent en traduction.
20J. David et son double ne sont pas tendres pour D. Damrosch, ne réussissant à reconnaître derrière son pragmatisme qu’un Dieu caché, une masse flottante de capital virtuel, ou encore une métaphore météorologique, le nuage de la Longman Anthology of World Literature, « produit dérivé » de l’ouvrage théorique pesant lourd de ses plusieurs volumes « agrémentés d’annexes très régulièrement mises à jour sur Internet » (p. 199). Ils ne lui font pas crédit non plus de ses objections pédagogiques (que je dirais aussi scientifiques ») au distant reading de Fr. Moretti mis en œuvre dans son Histoire mondiale du roman, ne manquant pas de reprocher à D. Damrosch de ne pas s’en démarquer assez, alors qu’ils ne parleraient pas du tout de la même chose quand ils disent « littérature mondiale ». Outre que D. Damrosch distingue, en les hiérarchisant, les œuvres susceptibles d’intégrer la sphère de la littérature mondiale de celles qui, produites pour un marché unique en des langues diverses, relèveraient de la seule « littérature globale ». C’est la question de la valeur, rationalisée par D. Damrosch en tant que « mode de lecture » proposé par les œuvres, qui revient sur le tapis, évoquant à nouveau un spectre de Goethe. La théorie de D. Damrosch comporterait une facette descriptive et une facette normative. Outre l’exclusion de la matière « globale » de la sphère du mondial, elle pratiquerait, au nom d’une éthique de la lecture, celle de quelque chose que l’on pourrait appeler « littérature provinciale » (pourquoi « provinciale » ?) qui « mettrait le sens commun en fiction » (p. 206), n’offrant que « l’amplificatio d’une banalité. » (ibid.) D. Damrosch, en ce qu’il fait usage de références des écrivains et des lecteurs à un homeland ou à une home tradition territoriaux et se montre peu enclin à sympathiser avec ces cosmopolites sans racines dont la nouvelle incarnation n’est autre que les hommes d’affaires transnationaux (ceux qui hantent les aéroports sans âme), se voit enfin blâmer de faire un autre retour, moral, et non plus politique, au xviiie siècle.
21Fr. Moretti arrive. Fr. Moretti est arrivé. Heureusement ni dans le rôle de sauveur ni dans celui d’accusé, assigné à comparaître. Malgré quelques occurrences antérieures (chez Fredric Jameson, chez Homi Bhabha en 1994 dans The Location of Culture), la communication de Fr. Moretti de 1999, ses « conjectures », auraient été une novation coïncidant avec le départ de Fr. Moretti pour Stanford, où il allait mener le programme ou projet de recherche conçu à Columbia sur une hypothèse de travail issue de la pensée de Jameson, selon laquelle il y aurait une relation forte entre les marchés et les formes ; ce qui déboucherait sur une « loi de l’évolution littéraire » (p. 218). Ainsi
l’avènement du roman moderne [dans les cultures à la périphérie du système littéraire] n’apparaît pas comme un processus autonome mais comme un compromis entre une influence formelle occidentale [...] et des matériaux locaux. (ibid.)
22Jusque là, on pourrait se demander si la « littérature mondiale » n’est pas perdue de vue. Mais non, elle refait surface à travers une évocation de Goethe, d’une part, et la restriction de cadrage qui fut celle de la plupart des comparatistes, dont Auerbach dans Mimesis, et à laquelle il convient de remédier en réintroduisant le continent englouti, ou la partie immergée de l’iceberg, disproportionnée, que Margaret Cohen a baptisée « the Great Unread » (p. 223) On apprend encore que Fr. Moretti s’appuie sur la théorie des systèmes‑mondes (économiques) d’Immanuel Wallerstein, ou que, Fr. Moretti dixit, « À la périphérie, le réalisme bien compris devient magique. » (p. 227)
23Passons. C’est Fr. Moretti lui‑même qui fournit la transition avec P. Casanova en se demandant comment notre double compère a omis d’inclure cette recherche, « l’une des plus abouties dans le domaine depuis une dizaine d’années » (p. 233) parmi les objets de leur conversation (bien qu’elle ne nomme pas la « littérature mondiale », mais la littérature internationale). Le narrateur répond que, pour des raisons de cohérence et de focalisation, il n’était possible d’inclure dans son champ ni toutes les mentions de la « littérature mondiale » ni « toutes les théories des échanges littéraires entre pays ou régions du monde ». Il est rappelé à Fr. Moretti qu’il considère lui‑même que la « littérature mondiale » n’est pas un objet, pas un domaine à quadriller, que ce qui intéresse, au fond, c’est le manque de recoupement entre les théories qui en sont proposées. Toutefois, dans sa préface à la réédition de 2008 de la République mondiale, il s’avère que P. Casanova prend acte du développement d’un « espace transnational autour de la notion même de littérature mondiale » (p. 239). En fait, le livre lui‑même, considérant la littérature mondiale, sans guillemets, comme un canon manifestant une hégémonie, un espace faussement pacifié de circulation, asymétrique, elle s’en démarque, mais en la prenant comme le nom de la réalité modélisée par une histoire des rivalités nationales. Autrement dit, il nous est rappelé que, pour P. Casanova, l’universel est le produit diabolique d’une croyance qui à la fois réalise et masque l’hégémonie, mais que sa pensée évolue avec le temps, puisqu’elle propose maintenant, dans son introduction à un ouvrage collectif de 20113, « un inter‑nationalisme littéraire [...] qui suppose à la fois la prise en compte de la croyance nationaliste et son dépassement dans une conception relationnelle et universelle de la littérature mondiale. » (cité p. 254)
Charlotte ne (re)viendra pas
24Cela se termine, comme il se doit, en pot‑pourri inconclusif à la Foire du Livre de Francfort 2011, dont les merveilleux trottoirs roulants permettraient de se croire dans un aéroport. Symétrie avec le prologue : n’avons‑nous pas toujours été à Francfort, plutôt qu’à Weimar, New York ou Istanbul ? Il était inévitable de s’endormir et de se réveiller dans un rêve de Francfort, car partout est Francfort, ou Francfort est partout, réalité cauchemaresque et hautement profitable de la mondialisation par le bas. Si l’on peut se croire dans un aéroport, ce serait « lorsqu’on s’est trompé de chemin et qu’on finit dans les couloirs de service d’un terminal. » (p. 266) Se perdre, ce n’est pas ici l’expérience d’une errance infinie, mais au contraire un enfermement dans la caverne, dans l’envers souterrain d’un monde ouvert sur les courants hasardeux qui portent aux belles rencontres. Dans ce labyrinthe, dans cette Métropolis, on ne trouvera qu’une nouvelle figure de la médiation, « L’Agent littéraire », dont le discours nous offre une lecture métacritique et quelque peu ironique de l’auteur et de son double. L’Agent littéraire, qui fait aussi la Foire de Pékin, rapporte que Goethe s’extasiait sur un roman chinois « commercial » peu estimé des Chinois eux‑mêmes. Il y a maldonne dès le début, s’exclame le narrateur. Mais une sorte de sérénité lui revient, d’avoir malgré tout, en quête de fantômes, trouvé des êtres (des femmes aussi) en chair et en os, dans ou aux abords de cette Foire, le lieu le plus abstrait ou le plus désincarné du monde.
25Il est temps aussi, pour le lecteur inquisitif que je suis, non pas de dresser un bilan de l’ouvrage ni encore moins un échafaud, mais de s’interroger sur l’effet de déconcertation ou plutôt de déroutement que procure ce livre, à la seconde comme à la première lecture. Effet qui peut être voulu, sur le mode déconstructif, annoncé implicitement par le titre, son allusion aux Spectres de Marx de J. Derrida, mais qui, par‑delà le doute salutaire, la forclusion évitée, traduirait aussi la frustration d’un démontage non suivi de tentative de reconstitution, l’absence si longue qu’elle en devient comme définitive, de l’objet de la quête, de l’objet du désir. Le refus de cet objet, déjà pris ailleurs (Charlotte), qui ne se livrera pas mais livrera en revanche les pistolets requis pour un départ en voyage. Charlotte, contrairement à la fantaisie de Thomas Mann, ne viendra plus jamais à Weimar.
26Nous nous sentons perdus dans cet « univers » (en est‑ce un, une terminologie criblée d’anecdotes suffit‑elle ?) à la façon de qui ne trouve pas la sortie, parce qu’il ne peut rebrousser chemin, ne sait pas comment il a pénétré dans un espace singulier, parce qu’hypothétique, qui est à la fois n’importe où et nulle part. Parce que la totalité s’y présente sous les espèces d’une liste d’échantillons que nous ne pouvons pas ne pas ressentir incomplète, tant historiquement que géographiquement. Or la nostalgie mystifiante d’une unité perdue est‑elle inhérente à toute pensée de monde ou d’univers ? Ou bien est‑elle induite ici, et chez tous les auteurs évoqués sauf sans doute D. Damrosch, par un eurocentrisme assumé comme prérogative (la civilisation européenne, impériale, ou, si l’on veut, l’Occident détiendrait le brevet de l’universalisme, déposé par les Grecs) ou éprouvé comme le Mal (négation ou dénégation de toute altérité autre qu’essentialiste) ?
27La fictionnalisation de l’enquête et sa géographie restreinte pourraient être à cet égard plus révélatrices que la richesse des références ou que les recoupements savamment et contradictoirement pratiqués avec une très pointilleuse exigence, dessinant un réseau serré et mobile, une dynamique toile d’araignée capable, espérait‑on, d’attraper toute volante mondialité littéraire qui passerait par là.
28La fictionnalisation a pour moyen principal le dédoublement du sujet théoricien, une parthénogénèse discursive, paradoxalement mâle, dont celui‑ci n’est pas sans montrer quelque conscience malheureuse, ou, du moins, gênée, à propos de la quasi‑absence de femmes parmi les auteurs de travaux ayant trait à la littérature mondiale. Ceux de G. Spivak, quelle que soit leur valeur scientifique, auraient d’ailleurs mérité un traitement de plus de deux pages amusées qui n’abordent pas le fond de ses positions, sa stratégie, sa méthodologie, ni ses procédés de lecture ou sa conception de la traduction. Et P. Casanova est rattrapée in extremis. Tout ne se passe‑t‑il pas comme si le manque à être de Goethe dans son identité locale ne pouvait être en partie réparé que par la duplication et la réduplication spectrale du même Goethe, du critique qui l’interroge, du lecteur virtuel qui interrogera le critique, etc., ad infinitum.
29« Jérôme », j’appelle ainsi le narrateur des Spectres comme on nomme Marcel celui de la Recherche, fait état de son identité doublement flottante de non‑Suisse de Suisse. Non‑pays sans doute, micro‑fédération de cantons, mosaïque de langues, néanmoins exclusive, et qui se définit comme étant au milieu sans être au centre, sauf en tant que plaque tournante de capitaux dissimulés car mal acquis. La Suisse ne serait‑elle pas une image caricaturale de l’Europe dans le monde, un modèle de co‑existence pacifiée par la force d’intérêts communs plus ou moins inavouables ?
30Le flottement identitaire, qui autorise un point de vue détaché a pourtant des limites de plusieurs sortes, trahies par les localisations et les temporisations qui balisent le parcours auquel nous sommes invités. De « l’aéroport » de Francfort‑nulle‑part‑en‑particulier, nous reviendrons, au terme du circuit, à la Foire de Francfort comme‑un‑aéroport. Nous n’aurons aperçu, dans les marges d’entretiens menés dans des lieux toujours clos, Weimar, Bruxelles, Chicago, Petrograd, Istanbul, New York, rien que l’Europe du Nord, une marge immédiate de l’Europe, et deux villes du Nord et de l’Est américain. Ceci était‑il rendu inévitable par l’hégémonie coloniale européenne prolongée dans l’ère postcoloniale et néo‑coloniale de la mondialisation accélérée, voire emballée par les nouvelles technologies de la communication ? En d’autres termes, n’y a‑t‑il pas eu et n’y a‑t‑il pas toujours aujourd’hui d’autres pensées de la littérature mondiale/universelle que des pensées occidentales ? Ou bien cette possibilité n’est‑elle même pas pensable depuis l’Europe ? En effet, une simple recherche bibliographique aurait déniché l’essai de Tagore traduit sous le titre de « World Literature » remontant au tout début du xxe siècle, ou encore l’étonnant ouvrage de Suniti Kumar Chatterji, Tagore and World Literature (1971). Les essais sur l’Inde et la littérature mondiale sont très nombreux. Comment, s’étonneront certains, Borges, et donc Buenos Aires, ont‑ils pu être ignorés comme laboratoires tant spéculatifs que pratiques de l’idée de mondialité littéraire ?
31Cette même focalisation restreinte est problématique aussi en termes de périodisation et de points de repère chronologiques : 1827‑1847, 1911‑1918, 1952, 1999‑2011. Quid de l’avant et de l’entre‑deux des dates citées ? Si Kant et Herder sont brièvement mentionnés, c’est peu au regard de ce qui a pu s’énoncer, de fort et de contradictoire aussi au temps des Lumières et du tout premier romantisme, période dans laquelle précisément le mot littérature a pris le sens qu’il avait acquis chez Goethe en 1827, sans lequel la formation « littérature mondiale » ne serait pas concevable. Quid, antérieurement, de la première mondialisation proprement dite, celle de la Renaissance, avec son sinistre cortège d’épurations ethniques et religieuses et de génocides de peuples premiers ? Mondialisation qui a pourtant permis de penser, par réaction à ces destructions, ou pour accompagner l’assimilation, l’unité anthropologique, aussi dans sa dimension culturelle et littéraire, d’une façon inconcevable dans la Grèce classique. Serait‑il exagéré ou déplacé de considérer Las Casas comme un penseur et un praticien précoce de la « littérature mondiale » ? La question mériterait en tout cas d’être posée.
32De même la vaste étendue déserte entre 1847 et 1911 ne laisse‑t‑elle pas de faire problème. Car c’est la période non seulement où se cristallise la lutte des classes en Europe (où ce conflit prend forme en étant ainsi nommé), mais c’est aussi celle du dernier partage du monde, de l’extension, de la recomposition et de la consolidation des empires coloniaux britannique et français, accompagnée de luttes de résistance armée et culturelle des peuples colonisés, situation qui permet de penser la mondialité en tant que telle, sur un autre modèle que le système‑monde européen, du Saint‑Empire à l’Empire napoléonien : un modèle inventé dans cette période, en partie avec la naissance, en France, de la Littérature comparée, et, en Angleterre, avec la critique arnoldienne qui se veut, précisément, d’inspiration goethéenne.
33Toutes ces observations et ces quelques désaccords n’enlèvent rien à l’originalité et à la richesse d’une entreprise d’investigation à la fois historique et conceptuelle comme il en est peu, en langue française. Si Charlotte, la littérature mondiale (ou universelle ?), échappe à Jérôme/Goethe/Werther, c’était inscrit dans le genre de la quête initiatique, comme dans celui du voyage organisé. La récompense est dans l’expérience elle‑même de l’attente et du chemin parcouru, en attendant. Les spectres ne nous apparaissent peut‑être que pour nous aider à nous poser sérieusement des questions inquiétantes. Et ceux de Goethe sont après tout moins vengeurs que la statue du Commandeur.