Acta fabula
ISSN 2115-8037

2013
Mars-Avril 2013 (volume 14, numéro 3)
titre article
Liza Kharoubi

La passion de la Vérité : le discours scientifique à l’épreuve de la scène

Liliane Campos, Sciences en scène dans le théâtre britannique contemporain, préface d’Élisabeth Angel-Perez, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2012, 312 p., EAN 9782753521148.

C’est bien le théâtre de la vérité que je voudrais décrire.
Michel Foucault, Dits et Écrits, t. III

1L’étude de Liliane Campos est le lieu d’un partage critique entre deux discours ou deux « logosphères » qui entrent en contact, voire parfois en collision : le théâtre et la science. Son analyse est en elle‑même une dramaturgie, un espace bien défini où se joue et se déjoue la fable contemporaine de la vérité. L’auteur a fait le choix de ne pas faire une étude diachronique du rapport entre théâtre britannique et science, mais de mobiliser quelques œuvres théâtrales autour desquelles s’articulent des réflexions, des hypothèses, des questions contemporaines qui forment entre elles une sorte d’arborescence bruissant de sens. Pourquoi ces textes et ces créations scéniques, plus ou moins célèbres, plutôt que d’autres ? Pourquoi Tom Stoppard, Michael Frayn, Timberlake Wertenbaker, Sarah Kane, Caryl Churchill, Bryony Lavery, ou encore les collectifs Complicite, Unlimited Theatre, On Theatre, Stan’s Café ? Certes, l’objet de leur théâtre, leurs personnages, leurs outils ou leurs méthodes, ont une relation évidente au monde scientifique — de la médecine à la physique quantique, des mathématiques à la neuropsychologie. Néanmoins, comme l’ont montré bien d’autres ouvrages critiques, dont celui de K. Shepherd-Barr, Science on Stage, que cite L. Campos, cela ne constitue en rien une spécificité. D’autres auteurs de la scène britannique contemporaine ont également convoqué la science pour construire la poétique de leurs pièces. Alors pourquoi cette association à la fois baroque et originale d’œuvres très différentes ? L. Campos s’en explique clairement dès le début :

Le critère retenu pour étudier une pièce plutôt qu’une autre n’est donc pas la quantité d’informations savantes qu’elle contient, ni son rapport thématique à la recherche, mais le recours à la science comme mode énonciatif et comme réservoir de mots et d’images que le dramaturge va exploiter. (p. 13)

2La question centrale reste donc celle du discours scientifique, ou plutôt de son détournement par la scène, c’est une question de langage ou d’expression. Ce théâtre qui prend le discours scientifique en otage ne se propose ni une visée didactique, ni normative ; il met en jeu les vérités scientifiques en déstabilisant à la fois leur valeur signifiante et leur valeur politique. À l’inverse, la science peut prendre à son tour le théâtre au piège et en déformer le geste d’écriture répété, défier également sa maîtrise des corps et des voix, pour lui rendre une forme d’étonnement et d’enchantement quasi philosophique comme c’est le cas dans les créations collectives de Complicité et d’On Theatre.

3Les œuvres choisies mettent en lumière la tension, le rapport de force discursif qui existent entre théâtre et science, entre théâtre et théorie, et elles transforment cette force en événement, qui (se) passe devant et dans le public. Ce n’est alors ni le théâtre ni la science qui sont éprouvés mais bien « la valeur vérité » du discours que l’on teste et dont on traque les moindres convulsions — qu’elle se présente sous forme d’idée, de raison, de certitude, de thèse, de savoir ou d’expérience, elle est poussée à bout d’être sur cette scène britannique contemporaine si particulière. Chez Tom Stoppard, par exemple, la vérité en revient au « sol raboteux » du langage1, à une expression contextuelle, désenflée et abjecte plutôt que transcendante. Comme un corps dont on aurait honte, un cadavre dans le placard.

4Il y a ainsi dans l’étude de L. Campos une référence philosophique structurante, dont l’ombre file et se défile tout au long de l’analyse et qui dépasse toutes les autres — et elles sont nombreuses. L’approche intrigante de Liliane Campos me paraît indissociable en effet de la lecture historique que fait Foucault des rapports entre vérité, pouvoir et savoir, et où le corps prend une dimension considérable. On peut donc se demander, au vu du corpus choisi, quels enjeux une telle perspective de lecture veut souligner, et quel est le sens de cette démarche critique qui soumet le problème de la vérité à la folie clinique des corps en scène. De façon plus générale, il serait aussi intéressant de s’interroger sur la façon dont la philosophie de Foucault informe l’analyse de la science sur la scène britannique contemporaine que nous offre L. Campos2.

L’œil, c’est la guerre : théâtre & théorie

5Dans le livre de L. Campos, la scène contemporaine britannique semble être le terrain d’une reconfiguration et d’une reconsidération du regard au théâtre, un regard qui se veut pensif, « source de réflexivité » (p. 38), comme l’appel à la science nous le fait rapidement comprendre. Cette reconsidération prend son essor à partir de la figure du theoros et du changement de perception contemporain autour de cette figure que l’histoire des sciences a mis en évidence :

Dans l’Antiquité, la theoria désigne à l’origine l’activité de regarder quelque chose, celle du spectateur. Elle devient chez Aristote la position intellectuelle idéale, détachée du monde observé (par opposition à la praxis), et au xviie siècle le dualisme cartésien entérine cette vision du philosophe. Mais au xxe siècle, cette position sera menacée par le développement de disciplines aussi diverses que la physique quantique, la psychanalyse et l’écologie, ainsi que par la réflexion éthique autour des sciences. La position du theoros n’est plus tenable et le chercheur doit désormais se considérer comme un agent tout autant qu’un spectateur. (p. 75)

6Le regard n’est plus « détaché », lointain, séparé, il est embarqué dans l’action. Au théâtre, le regard du spectateur devient le point de convergence manifeste entre théorie et pratique : il ne se pose pas sur une réalité représentée, il tombe dedans pour s’y réinventer et s’y penser, mais au prix d’un travail au corps. Cette coercition du regard du spectateur au théâtre engage en réalité une forme de combat entre plusieurs regards, plusieurs perceptions — une guerre des regards. Les regards se déstabilisent, se jaugent, se jugent, se mesurent, et au final se « déplacent » : cette geste du regard est précisément ce que Foucault décrit comme le travail éthique du regard censé définir le rôle de l’intellectuel. La définition du theoros selon Foucault dans « La scène de la philosophie », s’accorde donc parfaitement avec ce qui pourrait être la définition du théâtre :

Par le petit geste qui consiste à déplacer le regard, [l’intellectuel] rend visible, fait apparaître ce qui est si proche, si immédiat, si intimement lié à nous qu’à cause de cela nous ne le voyons pas.

7L’œil touche, déplace, brise sans maîtriser la réalité qu’il perçoit mais en la travaillant ; il se bat contre d’autres représentations, d’autres perceptions : l’œil c’est la guerre, l’affrontement tragique — tel est son performatif. Au sujet du théâtre de Caryl Churchill et de Sarah Kane, L. Campos écrit très justement : « La violence du regard théorique s’exprime dans une expérimentation cruelle » (p. 147). Au lieu de construire des certitudes à partir des informations qu’il perçoit, ou un « savoir » qui s’établirait fièrement en autorité à partir de ce que l’on croit voir, l’œil blesse, creuse un trou, coupe : cet « évidement » comme le décrit L. Campos est ce que le théâtre, en particulier celui de Churchill ou Kane, met en exergue. Le théâtre qui place la science au centre de sa scène et de ses mots n’en donne donc pas pour autant une image prescriptive ou normative. Au contraire, la cruauté théâtrale semble infecter l’image de la science qui se dévoile comme objet pharmacologique, comme substance potentiellement toxique. Cette toxicité de la science en scène a été étudiée d’une manière fascinante par L. Campos dans un chapitre intitulé « L’inversion des motifs alchimiques et faustiens : The Skriker et Lives of the Great Poisoners » (Caryl Churchill)

Dans Lives of the Great Poisoners et The Skriker, il ne s’agit plus de rationaliser les maux du monde contemporain, mais de les évoquer à l’aide de procédés métaphoriques et métonymiques. Ces pièces se méfient de la volonté de savoir qui a mené au désastre écologique, et leur structure dramatique reflète cette méfiance en refusant tout didactisme. Au mouvement épique de la connaissance, Churchill substitue une dynamique de la dé-connaissance, dans laquelle les personnages évoluent vers une perception du caractère creux de leur savoir, et de l’insu qu’il recèle. (p. 164)

8C’est le recours à la science qui permet de dévoiler une vérité écartelée puis éclatée, fractale, qui explose en autant d’« événement secrets » (Foucault) qui se juxtaposent et entrent en collision. Cette souffrance, que nous avons appelé passion de la vérité, dans toute l’ambiguïté de ce terme, fait inévitablement surgir la question de l’humain au centre de cette belle analyse sur Churchill et en réalité au centre du livre lui‑même :

Mais [ces pièces] continuent néanmoins à parler de l’humain et à faire du théâtre un espace éthique, car Churchill y pose sans cesse la question du rapport à l’autre, et la façon dont ce rapport est défini par les identités communautaires et familiales. Ce théâtre affirme donc simultanément la nécessité du regard éthique et l’obligation pour ce regard d’être autre chose qu’analytique. Cette problématisation du regard est également au cœur de la question éthique posée par A Number. (p. 177)

La question de l’Humain

9Quelle est la place de la vérité dans la construction de l’humain ? On ne parle pas ici seulement de « sujet » humain ni de l’espèce, mais de l’importance d’être humain au sens où l’entend peut‑être avec le plus de précision la philosophe américaine Cora Diamond. Le théâtre britannique contemporain, dans sa rencontre avec les interrogations de la science, met en avant cette question brûlante à l’heure des manipulations génétiques, des accélérateurs de particules, de la digitalisation croissante du corps humain, et de l’avancée trépidante des recherches neurologiques. Si le mot éthique apparaît dans l’ouvrage de L. Campos, il ne s’agit certainement pas de parler de morale, mais bien du sens de l’« humain » que dégage cette confrontation théorique, cet agôn parfois indécent qui provoque l’évidement du savoir et l’exposition de la vérité. La vulnérabilité du discours scientifique au théâtre le rend justement plus humain et montre, dans un sens nouveau, que l’œil du theoros est avant tout « un œil parlant » (Foucault cité par L. Campos, p. 75). La vérité « se passionne » pour la scène et se penche, comme le roseau de Pascal, vers son public ; autrement dit, au théâtre, la vérité s’adresse. En effet, la question de l’humain y est avant tout une question de langage : elle interroge non pas les faits que serait censée transmettre la vérité scientifique mais sa « manière de dire », son expression, ses faces et ses façades. Tom Stoppard, Michael Frayn, Timberlake Wertenbaker, Bryony Lavery, Caryl Churchill, Sarah Kane, Complicite, On Theatre, Stan’s café, Unlimited Theatre, offrent autant de visages ou d’expressions de la vérité scientifique qui rendent compte se sa réalité aspectuelle, labile, et non normative. Qu’ils soient « théâtres de l’hypothèse » (Stoppard, Frayn, Wertenbaker), théâtres du conflit entre savoir et pouvoir (Kane, Churchill), ou encore des théâtres qui inventent une poétique inédite de la science (Complicite), selon la catégorisation par chapitres qu’en fait L. Campos, ils transforment et détournent leur objet pour proposer un autre discours, un autrement dire.

10Ce qui est en question dans cette étude, ce n’est donc pas de savoir si la science est de l’ordre du bien ou du mal, mais de la rendre moins froide et indifférente au temps vécu des corps en scène ou en salle, (con)cernée par son public. Ainsi seulement serait‑elle capable de ré‑enchanter le réel, sans pour autant édifier et sans que la pièce ne se transforme en vulgate pédagogique. Le théâtre est un des rares lieux où la science peut faire face à son public sans l’éviter, sans détourner les yeux, en prenant la mesure de la responsabilité qui incombe à ses recherches. Dans ce contexte, le dispositif théâtral mis en place par les collectifs comme Complicité ou On Theatre, prend tout son sens : la science est en quelque sorte sommée de « parler en face » et de toucher : l’évitement ou l’aversion du regard est impossible. Cette manière de dire la science est aussi une manière d’écrire, le geste d’un corps qui prend forme et d’une idée qui prend corps. Au sujet de Mnemonic de Simon McBurney, L. Campos écrit :

Par cette pirouette mathématique, McBurney rappelle en passant le principe fondateur de sa compagnie : celui d’une complicité censée relier tous les participants à l’événement théâtral. Mais il ancre aussi le concept mathématique dans une réalité physique et visuelle, et donne à sentir la beauté du calcul. Les idées scientifiques prennent ainsi corps, et leur matérialisation dans le dialogue ou la mise en scène prépare le spectateur à considérer le concept scientifique précisément comme une forme, une idée qui pourra être détournée de son sens premier. (p. 45)

11Le théâtre rend donc aux formes idéelles leur sensualité et permet de « sentir la beauté du calcul », de sentir ce qui a priori ne s’adressait pas aux sens. Mais qui dit que les idées ne s’adressent pas aux sens ? N’est‑ce pas une forme d’idéologie que de considérer la raison vivante comme autre chose qu’une racine émotive, telle la mandragore de Beckett, ou comme le roseau pensant et pensif de Pascal ?

12Ce que dévoile le théâtre qui expose la mise en scène de toute vérité scientifique, c’est en réalité l’existence et la révérence d’une profonde « émotion rationnelle », que L. Campos appelle « enchantement ». Le trouble, le flottement ou encore l’ambiguïté qu’elle diagnostique dans le traitement de la vérité scientifique au théâtre s’apparente à la description d’une affection, d’un affect de la rationalité. Le théâtre mettrait en évidence pour le regard du spectateur la sensibilité de la raison, aussi paradoxal que cela puisse lui paraître a priori. Seule une raison sensible pourrait rendre compte de la question de l’humain et faire disjoncter la mise en scène du vrai et du faux. Cette turbulence de la raison au théâtre redonne au discours scientifique son vivant, le ré‑humanise par l’affect et en particulier par la douleur. Le théâtre montre que la souffrance d’autrui n’est pas un simple fait, qu’il n’y a pas d’esquive possible. Au sujet de A Number, L. Campos écrit : « la rationalisation génétique du corps est mise à mal par la réalité de la souffrance : le personnage de B1 incarne la contradiction du corps théorique par le corps vécu » (p. 181). Il ne s’agit plus alors de la « question » ou de la « conception » de l’humain mais bien de dresser le « portrait » de l’humain (p. 19). À la rationalité génétique se superpose l’urgence éthique de cet événement secret de la souffrance du clone. Par leur fragilité même, les créations collectives des compagnies comme On Theatre ou Unlimited Theatre, qui exploitent une forme d’écriture toujours vulnérable et expérimentale, sont peut‑être plus à même de répondre à des situations d’urgence, de crise rationnelle, qui nécessitent parfois davantage de spontanéité. L. Campos semble dire cependant que cet « alter‑théâtre » pèche parfois par utopie ou par un désir trop fort d’étonnement devant le pouvoir théâtral de la science. Il démontre clairement en revanche la théâtralité essentielle du discours scientifique : « La greffe d’une structure expérimentale sur le drame est d’autant plus aisée que l’expérimentation scientifique est intrinsèquement théâtrale. » (p. 63)

L’émotion rationnelle ou le « genre » de la vérité

13Quand la science se pose en figure d’autorité, elle devient alors un obstacle à l’intégrité du jugement humain, ce que déjouent les écritures poétiques de Kane et Churchill de façon très efficace. Ces écritures, sans défendre un scepticisme absolu, deviennent son portrait de Dorian Gray, son temps perdu. Au travers de ces pièces finement choisies, L. Campos montre bien que par delà les questions d’esthétique, celle de savoir si l’on a affaire à des écritures post‑modernes, déconstructionnistes, ou post‑dramatiques, ce qui importe est de voir que dans ces théâtres la vérité scientifique n’échappe pas à sa passion. Pour valoir quoi que ce soit, il faut qu’elle souffre. La précédence de la souffrance sur la vérité, telle qu’elle apparaît dans les théâtres de Kane, Churchill et Wertenbaker, impose celle‑ci à l’entendement avec plus de force. Si la vérité résiste à l’ébranlement de la douleur que le théâtre met en scène alors seulement peut‑elle se révéler comme telle. Autrement dit, au théâtre, le savoir fait preuve de courage. Ce qui ne signifie pas que toutes les pièces réussissent à faire éprouver l’émotion scientifique qui en résulte, mais certaines, comme Mnemonic ou On Emotion semblent y parvenir si l’on en croit la lecture qu’en fait L. Campos. Il faut que la science tremble, qu’elle soit touchée et que le savoir qu’elle donne à voir devienne « saveur » sur scène. Cette « haptognosis » pourrait‑on dire, cette autre façon de savoir, rend au discours scientifique toute sa beauté, sans pour autant qu’il « fascine » totalement et ne se transmue en idéologie ou en pédagogie.


***

14Au terme des analyses de Liliane Campos, n’est‑il pas légitime d’introduire la question du genre (au sens anglais de gender) dans le rapport des dramaturges qu’elle invoque à la science ? En effet, comme elle l’écrit, il existe des tensions fortes vis‑à‑vis de la « vérité » scientifique chez des dramaturges comme Churchill, Kane ou Wertenbaker, alors que Simon McBurney, Jon Spooner, Tom Stoppard développent concrètement des collaborations étroites avec les travaux des chercheurs dans leur activité même de création. La science semble dans leurs pièces vouloir réhabiliter et réanimer le discours dramatique plus que le miner, et vice versa. Le discours théorique est questionné dans sa forme — L. Campos dit justement dans sa « formulation » — mais il exerce encore une forte fascination de pouvoir et le théâtre de ces hommes de théâtre ne remet pas si radicalement en cause la « valeur vérité » et surtout son autorité philosophique.

15Au contraire, Churchill, Kane, Bryony Lavery et Wertenbaker, dramaturges femmes voire féministes, affirment une priorité toute autre que le pouvoir de la « vérité » dans le jugement, invoquant par la poésie de leur écriture une éthique particulière de la blessure qui outrepasse le discours théorique, le précède toujours et le déconstruit, comme on l’a noté dans l’analyse que L. Campos fait de la pièce de Caryl Churchill A Number. La contingence du face‑à‑face, l’anarchie de l’humain cloné, l’imprévisibilité et le risque des corps en scène, défient toute théorisation de la vie ou du chaos. Il s’agit d’un refus de « saisir » la vie par la pensée, qu’elle soit scientifique ou théâtrale, et d’une affirmation de l’aspect sauvage et nomade de son flux. À la vérité, ces femmes substituent une forme de liberté radicale et difficile née de la passion destructrice de la vérité — dans le suicide chez Kane ou par la guerre dans le théâtre de Churchill. Si la science peut momentanément envahir la scène d’un certain enthousiasme créateur, elle ne célèbre en rien, dans ce théâtre féminin, le triomphe de la vérité, mais bien plutôt sa kénose.  

16Au fond, le théâtre contemporain que décrit L. Campos ne conjugue‑t‑il pas histoire de la vérité et histoire de la sexualité, en montrant qu’elles participent d’une même mise en scène, qu’elles sont, l’une et l’autre, enjeu de pouvoir — autorité ou résistance, rapport de force ? En ne détournant pas le regard, dans le face‑à‑face orchestré à l’avance qu’il impose, le théâtre, malgré ses éventuelles maladresses et la contingence de sa technique, enjoint néanmoins la raison à se révéler non pas comme vérité, mais comme courage.