Des limites du jugement : stratégies beckettiennes contre la totalisation
1Les textes de Beckett mettent‑ils en œuvre une éthique consistante ? C’est dans un mode de réception historiquement dominant mais polémique que s’inscrit la réponse affirmative de Caroline Mannweiler à cette question. Selon elle, il est possible de lire au fil des œuvres de Beckett un propos éthique global sur les relations à soi et aux autres. Il s’agit alors de dégager à partir de textes instables et fuyants un ensemble homogène, « l’éthique beckettienne », ce qui engage une réflexion en forme de gageure, sans cesse confrontée au paradoxe.
2En excluant la présence de « thèses morales » chez Beckett, C. Mannweiler prend en compte la malléabilité de son objet et adopte une conception très large de l’éthique. Le choix de l’expression « fluide éthique » (p. 22) est à cet égard significative, dans la mesure où elle indique un glissement du terme, de l’idée d’une posture normative à une manière souple de voir le monde. L’éthique est conçue ici comme une troisième voie entre deux types de réception, qui conçoivent l’œuvre de Beckett comme une affirmation ou une négation. L’ouvrage se donne pour but de donner à voir cet entre‑deux, dans une « analyse idiosyncratique de l’éthique beckettienne qui devra à l’évidence chercher des concepts capables d’élucider l’œuvre, mais qui ne devra pas forcément avoir recours à une terminologie établie » (p. 13). L’introduction insiste ainsi sur la résistance des textes à la théorisation et aux grilles de lecture philosophiques. Sans ignorer l’influence de différents penseurs (mentionnés ponctuellement) sur l’imaginaire beckettien, il s’agit de s’affranchir des outils conceptuels existants pour se centrer sur ce que la forme révèle du rapport aux normes.
3L’enjeu majeur est de comprendre comment la vision du monde propre à l’auteur transparaît dans ses choix esthétiques, c’est‑à‑dire dans sa manière de représenter les relations entre les êtres et de mettre en œuvre un principe d’empathie tout en limitant le désir lorsqu’il devient volonté de pouvoir. À partir de ces deux axes, l’ouvrage parvient à mettre en lien les relations entre les « personnages » et les techniques d’écriture, qui sont autant de stratégies pour éviter les jugements englobants chez le lecteur/spectateur. Il montre alors que la déstabilisation des certitudes et des repères n’est pas synonyme de nihilisme mais correspond à un questionnement permanent de toute idée de totalité. À cet égard, l’ouvrage s’inscrit dans la lignée des travaux de Shane Weller1, qui conçoit lui aussi l’éthique chez Beckett comme un retrait du jugement opérant une double mise en question de l’affirmation et de la négation.
4La première partie s’attache à analyser l’éthique sous‑jacente aux œuvres, en mettant en avant la construction d’un rapport subtil au négatif et d’une exploration de la différence dans les rapports humains et dans la langue. Il s’agit ensuite plus brièvement de revenir sur les caractéristiques de la forme beckettienne, condition de possibilité de la parole et de l’art, définie comme « l’ensemble des stratégies qui visent à empêcher les conclusions » (p. 122). L’ouvrage se termine par une typologie tripartite des principaux textes en fonction de leur rapport à l’image, pour analyser comment celle‑ci participe d’un dialogue avec le lecteur, en interrogeant sa distance par rapport aux textes et son usage des normes dans l’interprétation.
L’entre‑deux de la différence
5Le premier chapitre insiste sur l’importance de l’empathie à travers le contraste entre Hamm et Clov dans Fin de partie. Il développe l’idée que Hamm représente une logique du tout ou rien, synonyme de violence et de nihilisme. Clov constituerait à la fois une force d’opposition et une instance critique par rapport à ces positions, mais dans un système qui n’est ni manichéen ni moral, comme le montre le traitement ironique de l’humanisme et de l’idéalisme. La confrontation des deux figures mettrait ainsi en avant les effets destructeurs des exigences de Hamm, y compris envers lui‑même, en regard du refus de la violence et de l’empathie de Clov, qui révèle les limites du tout ou rien sans pour autant ouvrir un conflit.
6Deux chapitres sont ensuite consacrés à analyser avec finesse les intrications de la solitude et de la compagnie, dans les relations entre les « personnages » et dans le rapport à la langue. Chez Beckett, la solitude est ressentie en coprésence de l’autre et c’est ce lien fragile avec l’autre qui la caractérise et la transforme en relation. Ce désir de fraternité comme potentialité permet de sauvegarder la différence et la liberté (Le Dépeupleur). Les différentes approches de la solitude sont illustrées à travers des traitements différenciés de la routine, garante de l’ordre pour Hamm, simple passe‑temps pour Winnie (Oh les beaux jours). C. Mannweiler montre en quoi Winnie sait concilier le constat d’un décalage entre ses souhaits et le cours du monde et le maintien d’un désir, pont vers l’altérité que peut également créer la voix (Compagnie). Dès lors, relation et solitude ne sont plus antithétiques lorsque « la relation devient elle‑même objet » (p. 55) et anime l’intériorité. Cette question du fossé entre le moi et le monde est également en jeu au niveau de la langue, empreinte d’aléatoire et d’hypothèses. Ici encore, la relation subsiste, notamment dans la conception du moi comme construction sans surplomb sur le monde, et tout réside dans l’attitude du sujet par rapport à un état de fait. Si la langue résiste et n’assume pas toujours sa fonction référentielle, l’enjeu est alors de se détacher de l’exigence du sens. L’anti‑totalité rejoint les pensées de Deleuze et de Foucault, qui promeuvent la différence non comme état transitoire de contestation mais comme une donnée permanente contribuant à ouvrir les possibles.
7L’analyse de la différence se poursuit par une étude des limites et des recompositions de l’identité confrontée aux impératifs extérieurs, à partir de l’exemple de L’Innommable. C. Mannweiler explique en quoi le « moi » beckettien résiste aux exigences d’unité et de fixation, ce qui traduit un rejet plus général de l’ordre et des normes absolues qu’il produit. Si ce rejet aboutit à une limitation du jugement de la part de l’Innommable, il n’exclut pas pour autant l’empathie face au besoin de cohérence qu’exprime l’ordre. L’éthique résiderait alors dans la reconnaissance et l’acceptation de l’imperfection, à la fois dans l’usage de la langue et dans la manière de mener sa vie. Le texte Comment c’est opère un tournant majeur, puisqu’il met en œuvre les conséquences de cette éthique : la parole ne vaut que comme création de différence et ne répond plus à un idéal d’exhaustivité. L’absence de binarité est une fois de plus pertinente pour décrire la démarche beckettienne, qui n’oppose plus la différence du « je » à une majorité menaçante mais représente un homme nuancé, à la fois bourreau et victime, pleinement inclus dans l’humanité. C. Mannweiler retrace les nuances apportées aux positions « anti‑ », en exposant qu’il ne s’agit pas d’opposer une négation totale aux affirmations contestées, ce qui reconduirait les procédés de l’ordre majoritaire, mais de proposer des corrections pour mettre en garde contre toute totalité et redonner sa place à la minorité. La distinction entre éthique et morale réside précisément dans une « modification permanente des positions » (p. 90), afin qu’aucune ne prétende être vraie et juste. Le chapitre se clôt sur une comparaison des stratégies minoritaires dans L’Innommable et dans Molloy. Dans le premier volume de la trilogie est mise en lumière une dynamique d’inclusion de la différence, non pas facteur d’opposition mais lien entre les hommes. Molloy conserverait la morale comme critère, tout en constatant son propre écart par rapport à l’idéal, conjuguant ainsi les deux principes essentiels de l’éthique beckettienne : l’empathie et la clairvoyance.
8La question de la transcendance est au cœur de la dernière section de cette partie. C. Mannweiler y explique avec justesse qu’il est plus pertinent de parler d’« amoralité » que d’« anti‑morale », et que Beckett réfute l’idée de transcendance tout en lui accordant une place comme désir d’un principe englobant. Les sous‑parties consacrées à des comparaisons avec les penseurs de « l’absurde » sont trop peu développées pour être convaincantes2. C. Mannweiler fait de Meursault dans L’Étranger un contrepoint aux figures de Beckett, qui seraient selon elle totalement détachées de l’ordre immanent des besoins physiques et biologiques et de ce fait davantage confrontées à la solitude et à une identité incertaine. C’est sur l’idée d’incohérence que se conclut cette partie, qui revient sur les complexités de la différence, entre l’impossibilité de l’indifférence à l’autre et le maintien d’une spécificité individuelle.
La forme comme questionnement
9L’incohérence est en fait au cœur de l’esthétique de Beckett, à travers les manifestations formelles de la disjonction entre le sujet et le monde. C. Mannweiler discerne les composantes éthiques de l’attitude de l’auteur dans son choix courageux de ne pas taire cette rupture, alors même que l’absence de certitude pourrait a priori contrarier l’obligation de dire. Les liens entre les jugements absolus et la violence sont mis en évidence dans l’esthétique beckettienne, qui se démarque à la fois du réalisme, de l’hermétisme, de l’humanisme et du nihilisme. Les notions d’échec et de relation jouent un rôle central dans cette poétologie souple, qui fait de l’œuvre un lieu de questionnement et non de résolution. Nous retrouvons dans cet art de la nuance un entre‑deux fécond entre l’intelligibilité et le hasard, qui ouvre à des significations potentielles pour le lecteur sans jamais conclure et ainsi figer.
10Une étude des lignes directrices de l’écriture beckettienne met ensuite au jour les stratégies employées pour intégrer l’incohérence à la représentation, ou en d’autres termes donner forme au chaos. Les différentes facettes de l’attente au fil des œuvres révèlent la mise en place d’un régime de l’ambiguïté : l’indécidabilité de l’interprétation permet de focaliser le regard sur les diverses façons d’attendre et ainsi de faire percevoir l’inscription de la différence dans un espace commun. Dans une œuvre qui met en scène les alternatives au oui et au non sans se résoudre au peut‑être, la forme elle‑même devient centrale, en tant qu’elle manifeste un désir de compréhension du monde mais ne prétend à aucune réponse stable. La forme n’opère donc aucune synthèse des affirmations en tension mais ne vaut pourtant pas uniquement comme pur agrément, dans la mesure où elle est un outil d’ouverture qui présente à parts égales les différentes valeurs.
Montrer sans juger
11La troisième partie s’ouvre sur une mise en évidence de l’évolution des œuvres de Beckett qui accordent un rôle croissant à l’image, entendue ici au sens large comme tout changement de médium, au‑delà de la composante visuelle. Les éléments précédemment exposés aboutissent à une opposition à quatre termes, entre les œuvres qui « disent » et jugent d’une part et les œuvres qui proposent une vision sans nécessairement juger d’autre part. Un détour par les affinités picturales de Beckett permet de saisir les enjeux du rapport au visible. Beckett limite le visible comme chez Klee et Feininger pour empêcher les identifications univoques, et retrouve chez Kirchner et Munch la prise en compte du désir d’unité associé à une figuration de l’homme en inadéquation avec le monde qui l’entoure. Comment c’est inaugure le tournant progressif vers l’image. La présence d’une instance hors‑texte productrice de paroles limite l’autorité et le potentiel créatif du narrateur pour faire image avant tout et éviter le commentaire. Les trois derniers chapitres établissent une typologie des œuvres en fonction de leur rapport plus ou moins développé à l’image, par ordre décroissant. Les œuvres en images, tardives dans la production beckettienne (Mal vu mal dit, Quad et Actes sans paroles) sont ainsi distinguées des œuvres radiophoniques (Words and music, Tous ceux qui tombent), et des « œuvres apparemment “conventionnelles” » (titre de chapitre pour le moins déroutant renvoyant à Molloy, Mercier et Camier, En attendant Godot, et Fin de partie).
12Trois œuvres sont convoquées pour envisager avec précision les modalités et les implications de la limitation du jugement, telle qu’elle a été théorisée dans les chapitres précédents. Mal vu mal dit empêche les lectures stéréotypiques par une caractérisation restreinte et fluctuante de la figure féminine et du décor. L’identification ainsi troublée par l’instabilité des images et le brouillage temporel concourent à la création d’une distance juste entre le lecteur et l’objet, entre empathie et détachement. Le désir constitue le principe d’action, et se perpétue sans issue, ce qui rend toute conclusion impossible. C. Mannweiler discute la notion d’épuisement utilisée par Deleuze à propos de Quad, en suggérant qu’il s’agit avant tout dans ce déplacement sans horizon défini de maintenir le suspens de l’interprétation. Dans les deux cas, l’image permet de figurer le processus du désir, qui est mis en valeur comme antidote au jugement. Dans Actes sans paroles sont mises en scène les réactions différentes de deux figures soumises au même contexte et aux mêmes interventions extérieures, ce qui permet de représenter des divergences, sans opposition et sans parti pris. Ces conclusions sont ensuite étendues à quelques autres textes courts de Beckett, où les images et les voix permettent de traduire le mélange de distance et d’attirance par rapport au monde, prenant simultanément en compte l’impossibilité de l’exigence et le désir d’unité.
13Le son est un autre medium permettant de créer un rapport et un partage au‑delà du contenu du message, et ainsi d’éluder l’enjeu de la signification. Dans Words and music, qui exemplifie une relation de simple accompagnement entre les paroles et le son, l’auditeur est mis face au chaos et se voit contraint de d’abandonner l’espoir d’une interprétation stable. La circularité de la répétition devient alors un moyen de mise en mouvement permanente de l’interprétation. Un long détour par une analyse des modalités du désir dans Tous ceux qui tombent met en évidence la volonté de représenter la normalité comme une illusion. Réflexe pour M. Rooney, le désir est porteur d’éthique chez Mme Rooney, dans la mesure où il ne se transforme pas en exigence. La forme de l’œuvre permet d’éviter la tragédie tout en représentant la souffrance et la banalité quotidienne.
14Enfin, la dernière section de l’ouvrage s’attache à explorer dans quatre œuvres majeures « le jeu des discours » (p. 191), c’est‑à‑dire les stratégies de décalage de l’écriture, qui ne conçoit la langue ni comme simple matériel ni comme pur message. Dans Molloy, le thème global de la quête mis en place au début du texte s’avère illusoire, et les critères d’évaluation de la normalité de Molloy sont à la fois mis en scène et révoqués. L’incapacité des normes à rendre compte avec justesse du comportement de Molloy signale leur impuissance à expliquer le monde d’un point de vue englobant. L’élaboration des discours participe de la construction d’une forme aux « structures indéfinissables » (p. 196), où tout fait exception à la norme et prive le lecteur de ses repères habituels, comme le confirme la figure de Moran. Ces stratégies de décalage valent également au plan microstructural, par la création de moments d’indécidabilité qui rendent caduques les visions binaires du monde. Ces conclusions sont reconduites à propos de Mercier et Camier, qui reconfigure le topos du voyage et repense le couple à travers le concept de relation. Plusieurs passages du texte illustrent la déstabilisation des catégorisations, la prévalence des processus contre les entités et l’intrication entre immanence et transcendance. Cette œuvre est envisagée comme une préfiguration des deux pièces En attendant Godot et Fin de partie, qui mettent en évidence la tension entre la monotonie des situations et le désir de changement, deux pôles que le passage à la scène permet de représenter simultanément. C. Mannweiler propose ici des réflexions intéressantes sur les aspects à la fois positifs et négatifs des désirs confrontés à la vanité de la vie. Horizons tout autant que sources de souffrance, ils rendent sensible l’espace entre le hic et nunc et l’ailleurs. L’éthique est avant tout portée par la forme du dialogue, qui illustre le maintien de la relation entre Vladimir et Estragon malgré les désaccords et les tensions, et permet de faire entrevoir le sens comme un événement ponctuel, souvent réorienté par les répliques suivantes. Un retour sur les impasses des dialogues entre Clov et Hamm souligne de nouveau la volonté de limiter l’exigence de sens et d’unité chez le spectateur, invité à supporter l’incohérence.
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15Au terme de ce parcours, trois lignes de force de l’œuvre de Beckett ont été mises en lumière. La combinaison d’une posture empathique et clairvoyante exprime le refus de la totalité et permet d’éviter la transformation destructrice du désir en exigence. Une représentation nuancée de la différence offre une issue à l’opposition entre affirmation et négation, sans pour autant se réfugier dans l’indifférence. L’utilisation de l’image montre les dangers des normes englobantes et permet de continuer à parler sans orienter le jugement.
16Sur le plan formel, signalons ici brièvement la non‑traduction des longues citations critiques (en anglais et en allemand), qui freine la lisibilité du propos, ainsi que la présence de plusieurs coquilles d’orthographe et de ponctuation.
17Malgré une structuration des chapitres peu éclairante sur les articulations logiques de la démonstration, l’ouvrage présente des exemples pertinents pour révéler les soubassements et les implications d’une esthétique de l’instabilité. Si la thèse d’ensemble sur le rapport à la totalité et aux normes reprend plusieurs acquis peu contestables de la critique beckettienne, elle est enrichie d’analyses éclairantes sur le statut de la différence et du désir. La liberté de la démarche est à l’aune de l’absence d’ancrage théorique de Beckett, dont l’œuvre est un creuset de pensées philosophiques mais se démarque de tout système existant.
18Cependant, la méthodologie de l’ouvrage suscite plusieurs réserves. Le double refus d’un ancrage historique et notionnel de l’éthique, qui permet certes de partir du texte lui‑même, induit parfois une certaine désinvolture dans l’approche. S’il apparaît fructueux de penser l’éthique chez Beckett en dehors des grandes références habituellement convoquées, il est plus discutable de ne pas esquisser de définition du terme et de ne jamais en interroger les limites d’application3. C’est en effet le terme même d’éthique qui pose véritablement problème. Une éthique ni morale, ni normative, ni stable est‑elle encore une éthique ? Il semble quasiment impossible de dissocier le concept de l’idée de jugement, qui implique une appréciation ou un positionnement par rapport à des faits, des paroles ou des individus. Or, comme le démontre précisément C. Mannweiler, aucune norme absolue n’est valable dans l’univers beckettien, qui exploite l’incohérence et s’avère avant tout une série de questions. Cet enjeu, qui aurait mérité d’être posé clairement, ne saurait évidemment être résolu en quelques lignes. Il ne semble pas plus juste de dire que Beckett se situe complètement au‑dehors de l’éthique, ni qu’il adopte une éthique relativiste. Si éthique il y a dans les œuvres de Beckett, elle est éminemment paradoxale puisqu’elle n’est pas régulatrice et consiste à limiter les jugements englobants — ce qui suppose qu’elle y échappe elle‑même. Employer ce terme conduit donc à en nuancer certaines composantes. Il faudrait alors peut‑être parler non d’une éthique de Beckett4, mais d’une éthique plurielle, c’est‑à‑dire d’éthiques possibles construites par les lecteurs à partir des représentations beckettiennes.
19Un second point de discussion, plus ponctuel, concerne la conception du mouvement de correction, qui permet selon Caroline Mannweiler de faire alterner les positions majoritaire et minoritaire pour contrer les tendances de la majorité à tout englober. Elle présente cette progression en termes de succession, dans une dynamique circulaire, ce qui semble exclure l’idée de simultanéité. Plusieurs textes font pourtant coexister des perceptions plurielles au‑delà d’une oscillation binaire, ce dont pourrait peut‑être rendre compte la notion de diffraction. Beckett chercherait alors avant tout à susciter un éclatement des possibles, peut‑être moins pour mettre en garde contre la totalité que, sur un versant positif, pour promouvoir une représentation du pluriel.
20Enfin, plusieurs voies apparaissent pour prolonger les acquis de cet ouvrage. Une analyse détaillée du rapport de Beckett à la logique permettrait sans doute de développer les réflexions menées sur le fonctionnement des phrases et de leurs paradoxes. Cet axe pourrait s’appuyer sur une étude stylistique : comment le refus de répondre et de trancher se manifeste‑t‑il dans les choix rythmiques et syntaxiques ? Il serait sans doute également intéressant de travailler l’idée de subversion, à partir de la reprise et du détournement des éthiques existantes au sein des textes. Cette idée pourrait alors être mise en lien avec la question de l’humour, composante centrale de la question éthique.