Les sentences non sentencieuses de Corneille
1La thèse d'Elena Garofalo pose comme enjeu principal la définition de la sentence comme forme, comme esthétique (c'est une phrase brillante et sonore) et comme éthique (elle délivre une instruction morale) ; elle devient problématique chez Corneille quand l'utilité morale doit se faire discrète derrière le principal enjeu, le plaisir théâtral. Cette réflexion en deux parties envisage d'abord l'héritage et la tradition dans l'usage de la sentence pour appréhender sa spécificité dans l'œuvre cornélienne, posant comme principe le refus d'une étude thématique qui n'aboutirait qu'à la mise en évidence d'un fonds commun entre Corneille et les autres auteurs.
2Partant d'une confrontation entre les termes "sentence" et "maxime", l'auteur parvient à la définition de la première comme une belle pensée en rime contenant une vérité générale alors que la maxime a trait aux mœurs, aux caractères des personnages. Suit une étude précise de la théorie de la sentence depuis la tragédie humaniste jusqu'à Corneille, qui met en place les étapes d'une évolution vers le raffinement et vers la précision dans l'insertion de cette forme brève ; il s'agit, dès lors, d'une poétique et une définition dramatique de la sentence. En effet, l'histoire de la sentence est liée à l'évolution même des conceptions concernant le poème dramatique, ce qui explique sa mise en débat au début du XVIIe siècle et la condamnation, bien connue, de son emploi rhétorique et artificiel, contraire aux mouvements des passions, où d'Aubignac rejoint Corneille. La sentence est aussi une pratique de la réécriture, ce que montre la confrontation entre les Médée et les Hippolyte modernes et antiques ; ce travail de repérage analytique reporté en tableaux met en évidence les modalités d'adaptation des sentences d'Euripide et de Sénèque. Ainsi, l'auteur montre que jusque vers 1640, la sentence apparaît comme une parole qui suscite le pathétique et sert bien la fonction morale de la catharsis puis la question du vraisemblable, imposant la suppression du prologue, et la mise en situation du personnage, la modifient considérablement. Il ne s'agit plus de préceptes guidant le public dans un parcours moral qui se déroule tout au long de la tragédie ; tout dépend du contexte dramatique qui "naturalise" la sentence.
3La seconde partie de la thèse consiste en une confrontation entre la théorie et la pratique des sentences chez Corneille, dont le Discours du Poème dramatique recommande de "les semer presque partout" mais de "ne les pousser guère loin". Cette étude précise de la sentence cornélienne confirme qu'elle est bien un art, une science du vers éclatant mais dont l'autonomie reste relative dans la mesure où elle n'a pas une simple fonction d'embellissement et d'ornement esthétique car elle délivre du sens. L'examen de la morphologie des sentences à partir d'un ensemble de pièces de Corneille, jusqu'en 1660, souligne clairement, grâce à la répartition par tableaux, le fonctionnement dramatique du discours sentencieux. Enfin, l'étude de l'intertextualité, avec l'influence de Sophocle et du Tasse, le confirme ; Corneille n'est pas un "moraliste" ni un "politique". Cette comparaison fructueuse établit la sentence comme modèle poétique et rhétorique.
4La sentence ne délivre pas une leçon, morale ou théologique, elle ne relève pas non plus des embellissements inutiles : son utilité, dramatique, ne se confond pas avec l'utilité morale. L'ouvrage renouvelle, par ce biais des sentences étudiées selon les points de vue des personnages et les situations, la lecture des pièces importantes de Corneille ; leur confrontation avec un vaste ensemble de textes dramatiques, rhétoriques et critiques enrichit et complète l'actuel renouveau des études cornéliennes menées à la suite du travail de Georges Forestier sur l'élaboration dramatique de l'œuvre. Le répertoire très conséquent des sentences cornéliennes donné en annexes indique le sens général de chacune et le contexte précis de la scène où elles s'insèrent.
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