Pour les ephemera, des nomenclatures sans frontières ?
Le cas des dénominations espagnoles
1Sous ce qu’il est convenu d’appeler ephemera1, ou encore: non-livres, imprimés mineurs, travaux de ville, remendería, jobbing prints, retacería, selon l’autorité et la langue concernés, sont regroupés — j’exprime un point de vue « espagnol » — des objets qui doivent leur dénomination à leurs usagers plus qu’à leurs producteurs (éditeurs, libraires et imprimeurs), aux collectionneurs (qui sont tout à la fois les inventeurs et les conservateurs des ephemera) plus qu’aux bibliologues ou bibliothéconomistes et aux universitaires, dans leur majorité peu intéressés par le sujet.
2Il suffit pour s’en convaincre de confronter ce que Martínez de Souza en dit dans son Diccionario de bibliología y ciencias afines2, ou même le catalogue de l’exposition organisée en 2003 à la Biblioteca Nacional de España (Ephemera. La vida sobre papel3) d’un côté, et la revue Paperàntic ou le site web Todocolección, de l’autre.
3Dans son Dictionnaire Martínez Souza se réfère, pour l’essentiel, à la culture de l’imprimerie et de la bibliothéconomie traditionnelle ou contemporaine4. C’est pourquoi, sur les quelque 3 400 termes ou entrées retenues et définies, seule une trentaine a quelque chose à voir avec les ephemera, les non-livres ou des travaux de ville : donnés sous leur forme française, il s’agit de termes comme « estampe », « image », « imagerie », « colportage », « colporteur », « affiche », « écriteau », « en-tête », « almanachs », « calendriers », « album », « agenda », « abécédaires », « bande dessinée », « livret de famille », mais aussi d’éléments appartenant au péritexte du livre (comme « couverture », « livraison », « exlibris », « superexlibris », « marque éditoriale », « encart »), et enfin de quelques objets comme libelo, pasquín et aleluya (traduit en français par « petite image pieuse »). En revanche ne figurent pas, par exemple, l’entrée « chromo », ni les équivalents de « carte de visite », « faire-part », et le terme « placard » renvoie exclusivement aux épreuves d’imprimerie, tout comme « étiquette » ne s’applique qu’au dos du livre. On trouve néanmoins l’entrée « carte de lecteur ».
4Dans le catalogue de l’exposition Ephemera — la première officiellement consacrée au fonds existant à la Biblioteca Nacional de España (BNE)5 — les objets exposés sont regroupés en 14 catégories ou « genres » qui sont ensuite détaillés selon une organisation en arborescence et assortis de notices très fouillées. Par exemple les felicitaciones ou cartes de vœux sont classées en deux catégories, avec d’un côté les cartes en général, et de l’autre celles de Noël et de Nouvel An, cette dernière catégorie étant subdivisée en quatre : cartes de vœux personnelles, d’entreprises et commerces, de métiers (33 sont répertoriés) et divers. Pour d’autres catégories comme les cartes et prospectus de produits et établissements commerciaux, il est fait une distinction entre productos varios et productos farmaceúticos (sans doute en raison des fonds conservés), puis sont distingués les sujets représentés (les hommes, les femmes, les enfants, les couples, les figures allégoriques, les oiseaux, les animaux, les paysages, etc.).
5Quant à la liste que j’ai proposée en 2011 à l’occasion du xive Seminario Litteræ sur « El impreso no libro. Tipología y prácticas », complétée depuis avec l’aide de Joaquín Díaz qui conserve dans son Centro Etnográfico d’ Urueña (Valladolid) environ 25 000 objets pertinents, elle comporte, pour l’instant, entre 130 et 150 entrées6.
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6Si l’on s’intéresse à présent au point de vue de l’usager et du collectionneur tel qu’il s’exprime dans la revue Paperàntic mais surtout sur le site spécialisé, créé en 1997, Todocolección, il permet quelques considérations encore plus intéressantes pour notre sujet.
7Parmi les 25 rubriques et 2 315 sous-rubriques où sont classés les quelque 13 millions d’objets offerts aux collectionneurs par Todocolección (depuis les bouteilles et les montres jusqu’au timbres et les BD), de façon exhaustive et finalement assez ordonnée, celles qui renvoient le plus explicitement au monde des ephemera ou du non-livre abritent plus de la moitié des items : il s’agit de Papel, Postales (la catégorie la mieux représentée avec 1 876 397 pièces), Tebeos, Filatelia (742 452 pièces), mais aussi une partie des objets regroupés sous la rubrique Arte, et généralement imprimés sur papier.
8La plupart de ces rubriques sont construites en arborescence. Ainsi figurent sous la rubrique Papel des objets comme Acciones (españolas/extranjeras), Billetes de transporte, Calendarios, Carteles (affiches), Catálogos publicitarios, Cromos y álbumes (y compris les trading cards, en espagnol7), Documentos, Etiquetas, Folletos (brochures) de turismo, Líneas de navegación, Loterías, Mapas (cartes), Marca páginas (marque pages), Papel secante (papier buvard) Recortables (planches à découper), Revistas y periódicos antiguos (avant 1939) et modernos (après 1939) qui, à leur tour, donnent lieu parfois à des subdivisions. Ainsi Documentos est subdivisée en cartas (lettres) comerciales, documentos bancarios, facturas, manuscritos et otros, quand Etiquetas n’en comporte aucune, à la différence du catalogue Ephemera ou — on le verra — de l’Encyclopedia of Ephemera.
9Mais on pourra trouver les mêmes objets (par exemple des chromos ou des affiches) sous d’autres rubriques qui reflètent les centres d’intérêt dominant des collectionneurs, comme Cine, Coleccionismo deportivo, où les chromos et albums sont deux fois plus abondants que tous les autres items confondus (768 856 contre 348 108), Tauromaquia, Militar (avec peu d’imprimés non-livres) et Otros coleccionismos, comme les sobres de azúcar (sachets de sucre) ou les tarjetas telefónicas (cartes téléphoniques). Un autre système d’interrogation permet d’observer qu’il y a 13 000 items classés sous Erótica (et non Curiosa qui est le terme convenu auprès des libraires et les amateurs), soit autant que les documents classés sous Religión, où l’on trouve seulement 818 postales (cartes postales) religiosas y recordatorios (images-souvenir). Dans ce foisonnement organisé auquel on peut également accéder à partir de quelque 23 000 entrées en langage « naturel » (par exemple, Astérix, l’éditeur Grijalbo, aleluyas, Perú), il y a donc une tension perceptible entre des dénominations empiriques et la prétention à catégoriser ou classer.
10Telle est, rapidement décrite, la situation espagnole du point de vue de la terminologie et de la taxonomie dont on peut essayer, pour commencer, de trouver des équivalences en anglais et en français.
Terminologies croisées : le domaine anglais
11Pour ce faire, le recours à la Bible de M. Rickards et M. Twyman, The Encyclopedia of Ephemera (New York Routlege, London British Library, 2000), est évidemment primordial.
12Une fois surmonté l’immense complexe devant ces quelque 600 termes si précisément définis et souvent illustrés, alors que s’agissant de l’Espagne, l’indispensable travail d’investigation historique est, sauf pour quelques objets, encore à faire, on peut d’abord essayer de comprendre les raisons d’une telle distorsion entre le monde anglo-saxon des ephemera et celui du monde hispanique, historiquement moins identifié, il est vrai, à la culture écrite/imprimée, avec sa maigre liste de 130-150 termes.
13Dans le domaine anglo-saxon, on observe d’abord une conception très large et pragmatique des ephemera (définis comme « minor transient documents of everyday life ») qui combine le point de vue du collectionneur, du conservateuret de l’historien, et prend en compte aussi bien le rail ticket, la place mat ou la time table que le « zine » (fanzine) le plus récent et la presse en général ; des objets uniques manuscrits comme inventory, scholar’s letters, will, draft, handwritten ephemera, artwork for reproduction ; tout ce qui entoure le livre ou le précède (comme les épreuves), les mails, mais pas les lettres (sauf anonymous letter et desinfected letters) ; des supports métalliquescomme les capsules de bouteilles de lait (milk-bottle closure) ou les badges ; toutes formes d’adjonctions comme les postal cachet, ainsi que les résultats de l’application de certaines techniques, comme embossing ou lace paper, facsimilé et iriscent printing.
14Un même objet peut être considéré selon ses différents secteurs d’application : il en va ainsi de l’étiquette (label) qui donne lieu à des entrées comme air-transport label, biscuit label, beer label, book label, hotel label, dental label, can label, candle label , chease label, etc. et même, comme le remarque M. Twyman, broom label et fez label… On peut observer un traitement similaire pour d’autres objets. Organisée comme un dictionnaire, l’Encyclopedia inclut parfois des articles thématiques qui reprennent, par catégorie englobante, différents items : funeralia, qui regroupe onze termes ; gaol/jail papers, avec onze termes ; armed force papers avec également onze termes auxquels s’ajoute army printing. C’est l’occasion de réaliser qu’en Espagne, à la fin du xixe siècle, il y avait 124 sortes d’imprimés militaires disponibles à l’imprimerie de la Ilustración Militar, qui pourraient donner lieu à un traitement ou une collection spécifiques.Mais pourquoi, par exemple,excentric advertisingfigure-t-il comme catégorie englobante, et pas advertisingtout court ?
15On perçoit également des biais historiques et culturels ou des pratiques propres au monde anglo-saxon, comme les entrées renvoyant au concept de charity et à la tempérance (temperance paper , pledge cards or certificate) ou encore american-civil war papers pour les Etats-Unis d’Amérique, le change packet pour la Grande-Bretagne ou les gold miners’ papers pour l’Australie. D’autres entrées correspondent à des pratiques limitées dans l’espace et dans le temps comme Bellman’s verses, Frost fair ou Mulready caricature, ou à des usages très particuliers comme peal card (indications sur les sonneries), neck card, seidlitz-ower label (qui doivent être l’équivalent des lithinés du Dr. Gustin), ou limités dans le temps (comme air-raid papers ou hat duty stamp). Il sera sans doute difficile de nourrir à propos de l’Espagne tout un paragraphe sur le rowing comme le fait Rickards dans la rubrique sport papers ou autant d’entrées reflétant l’importance de la culture du livre et de l’imprimé.
16À l’inverse, des entrées comme chapbooks mais aussi ballad, street literature ou tout ce qui relève de l’imagerie populaire et des chromos semble traité assez succinctement8, quand en Espagne elles recouvrent de nombreux objets imprimés spécifiquement désignés, qui peuvent donc donner lieu à un traitement particulier9.
17Après ces premières constatations à propos d’une œuvre qui est, comme le rappelle M. Twyman, une « one-man encyclopedia » et sur une cette sorte d’« encyclopédie participative » qu’est Todocolección, partant du principe que la notion d’ephemera a tout à gagner à être inclusive et non exclusive et qu’il y a une grande part d’arbitraire dans la façon qu’ont les chercheurs de marquer leur territoire, on peut essayer d’établir des équivalences terme à terme entre l’anglais et l’espagnol. Il y en a d’évidentes : menu / menú, cigar band / vitola, cut-out toys / recortables, poster / cartel ou peut-être aussi poster, playing cards / naipes, direction for uses / instrucciones de uso, Book mark / separador ou marcapáginas, billhead et letterhead / membrete, post card / postal, credit card / tarjeta de crédito, greeting cards10/ tarjetas de felicitación, burial papers / esquelas, ABC primer / cartilla, indulgence / indulgencia, toy theater / teatrillo, packaging / envoltorios, poster / cartel, kitebag / cucurucho, book token / ex libris, etc. De la même façon les équivalences des différents supports (paper, card, tag, silk…), des formes génériques (compliment slip / volante, form / impreso) ou des techniques (embossing, lace paper, facsimilé, wood engraving, xerography) ne posent guère de problèmes. Mais flag-day emblem est-il plutôt un sticker ou une pegatina ? L’objet sobre est-il l’équivalent à la fois de postal cover et de envelope ? Tarjeta de visita vaut-il pour carte de visite et visiting card ? Un BLM (Besalamano) était-il l’équivalent de At home card ? Se risquera-t-on à supposer que marrowbone announcement est en lien avec le charivari ou la cencerrada, avec la manifestation imprimée en plus ? En revanche, l’existence de l’objet acquaintance card incitera peut-être à trouver un nom pour son équivalent connu en Espagne mais jusqu’ici sans dénomination particulière.
18Dans cette démarche, ici juste ébauchée à titre d’exemple, on se heurte fréquemment à un triple problème : la matérialité de l’objet, sa fréquente spécificité, et la difficulté à trouver des équivalents dans plusieurs langues.
19Le fait de ne pas disposer de l’objet physique original, mais seulement de sa description ou d’une image est un handicap réel : aucun terme équivalent ne devrait être attribué sans avoir pu vérifier qu’il s’agit effectivement du même objet. À titre d’exemple, avant de décider que l’équivalent de sheet-music cover sera partitura en espagnol, et en français « partition » ou « chanson détachée », il faudra vérifier que le terme anglais renvoie à autre chose qu’à la simple couverture et à son illustration.
20Dans le cas d’objets propres à une culture ou à un pays, la recherche de termes équivalents peut ne pas avoir beaucoup de sens : pour rendre compte en anglais de ce qu’est au Mexique une calavera11,ou dans la culture catholique espagnole une medida12,il vaut sans doute mieux conserver le terme original et s’en remettre à une image ou à une description avec toutes les précisions sur les usages associés. Les aleluyas, qui en Espagne renvoient aussi bien à des petits morceaux de papier (9 x 6 cm) avec Alleluia, à des petits poèmes imprimés sur une face et qu’on lance en l’air dans les églises le jour de la Résurrection, ou encore à un imprimé in-folio13, sont-ils exactement la même chose et ont-ils exactement les mêmes usages que les aerial leaflets qui pleuvent en certaines occasions dansla Ve avenue de New York ?
21Cette démarche comparative sert aussi à réaliser que la pratique de la tauromachie ou la culture catholique apostolique et romaine ont eu en Espagne des effets qui sont inexistants ou plus difficilement constatables dans les terres du protestantisme ou de l’Église anglicane, ce qui expliquera que religious card soit succinctement traité dans l’Encyclopedia et la moindre importance des indulgences et des bulles, éphémères malgré leur valeur pour l’éternité14. Les facteurs climatiques peuvent expliquer l’existence en Espagne d’éventails ou fans autres que les éventails repliables, comme les éventails de foire ou écrans dits ventalls (un terme catalan), abanicos de feria ou paipay (un mot philippin), et un certain déphasage technologique, l’absence apparente d’intérêt pour la collection du lavatory paper ou des airsickness bag qui sont pourtant bien en usage. On observera aussi que la collection d’étiquettes de Porto ou de Xérès et des objets liées au cigare de Havane a beau être sans frontières, le même degré de sophistication dans leur énumération et leur description peut être poussé très loin, comme dans tel site spécialisé. On ne saurait confondre, par exemple, ce qui est vitola (7 496 bagues sont proposées dans Todocolección) et marquilla ou habilitación !
Vers une multicaractérisation empirique des éphémères
22Quant à l’établissement d’équivalences terme à terme entre les différentes langues, dans la perspective d’un inventaire transnational et pan-linguistique des non-livres, l’option la plus raisonnable – qui a priori peut sembler déraisonnable – consisterait, sans trop se préoccuper de définitions précises, à partir de la somme de l’existant en matière de non-livres ou ephemera. Soit tout ce qui a été produit ou est produit par des imprimeurs et éditeurs qui peut être reconstitué à partir du dépôt légal, des catalogues15, d’inventaires, de petites annonces, de collections, de sites, et qui a donné lieu ou donne lieu à des usages et à une éventuelle conservation ou collection, pour aussi spécifique ou anecdotique que tel objet puisse sembler (y compris un chimney sweep certificate, donc). Et de travailler sur pièces pour donner une description tenant comptedes critères des collectionneurs autant que de ceux des professionnels, imprimeurs, bibliothécaires ou conservateurs.
23Cette description pourrait comprendre (outre les données conventionnelles concernant l’intitulé, l’éditeur ou le commanditaire, l’imprimeur, la date, le ou les auteurs, les caractéristiques physiques de l’objet) la technologie utilisée, la nature du support (du papier à la cire), le format ou les dimensions (pour les objets en trois dimensions), la présence ou non d’éléments iconographiques (noir et blanc / couleur), la périodicité éventuelle, etc. Mais il conviendrait aussi de qualifier la finalité ou les finalités attribuées à l’objet16, ainsi que les modalités de sa mise en circulation (par affichage, distribution, vente, etc.), son lien à la sphère publique ou privée, son rapport à des destinataires supposés…
24Tout cela étant à confronter avec les usages de fait, y compris dans la durée : telle boîte d’allumettes, une fois découpée l’image qu’elle comporte, pourra échouer dans l’album d’une jeune fille, comme celui de Felisa Alcalde17 ; tel imprimé pieux pourra être porté contre le corps à des fins de protection ; un calendrier, par définition éphémère, pourra être conservé et collectionné ; les objets les plus infimes pourront porter des marques de propriété ou d’appropriation, etc.
25Généralement considérés isolément, ces objets éphémères sont pour la plupart, par ailleurs, à resituer dans leur contexte de production et dans un processus de circulation transmédiatique et transnationale, européenne mais également transatlantique, plus intense qu’on ne le suppose : c’est évidemment le cas de beaucoup d’images sans frontières, comme les images d’Épinal, et du matériel d’imprimerie disponible et utilisé, en particulier les vignettes d’ornementation18, qui servent à la production des travaux de ville et créent une sorte d’homogénéisation du genre.
26S’agissant des différentes dénominations génériques, dans chaque langue ou pays, il est sans doute raisonnable de tenir compte des différentes cultures (celles des professionnels et celles des amateurs) et d’accepter des dénominations multiples, le mélange de termes usuels et de catégories adventices (ephemera / non livre / vieux papier / paperantic), sans vouloir à tout prix unifier la terminologie ni faire entrer à toute force un objet dans une catégorie. On observera, par exemple, que su le site Todocolección, les faire-part de décès (recordatorios) peuvent être aussi considérés comme des estampitas (petites images), des oraciones (prières) ou des postales (cartes postales) et être qualifiés de fúnebres, mortuorios, necrológicos, ou encore de recordatorios de entierro, de deceso, de óbitos, de fallecidos, de muerte, de defunción19, mais pas classés dans la catégorie inexistante de « funeralia ». L’occasion de rappeler, concernant une catégorie comme l’imagerie dite « populaire », que cette étiquette n’appartient pas au peuple, mais qu’elle lui est attribuée, de façon souvent discriminatoire.
27Une multicaractérisation, donc, d’après les formes, les thèmes, les finalités, les usages, etc., depuis un vocabulaire naturel ou artificiel qui permettra de ne pas chercher à tout prix à désigner par un seul terme ou à faire entrer dans une seule catégorie des objets comme celui intitulé Soy católico (un document « d’identité » mesurant 9 x 6cm ouvert et 6 x 4,5 cm fermé20) ou encore la carte d’identité de Jésus (contrefaite), telle qu’elle a pu être artisanalement confectionnée21.
28Ce n’est qu’après cet ensemble de vérifications et spécifications qui ne sont coûteuses qu’en apparence, car elles sont évidemment source de progrès dans la connaissance et la compréhension mutuelle, qu’on pourrait éventuellement proposer des équivalences et établir une sorte de pan-thésaurus, avec, au moins, une reproduction en couleur de l’objet qui permette de mieux s’entendre. Et si l’on doit un jour en arriver à une taxonomie, que celle-ci soit le fruit d’une démarche empirique et qu’elle puisse évoluer.
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29Arrivé au bout de ce rapide parcours, l’impression peut être qu’à l’ordre du livre et de la bibliotaxonomie, s’oppose le désordre du non-livre et de l’ephemera, à peine organisé par un simple inventaire par ordre alphabétique avec un système de renvois, et sous-tendu par toutes les pratiques souvent peu orthodoxes que cet ordre-désordre semble favoriser. Mais l’intérêt principal de cette démarche contrastive me semble être qu’elle permet de s’interroger sur les finalités de l’objet éphémère ou ephemera, sur les besoins qu’il est censé satisfaire ainsi que sur ses usages effectifs, pour le plus grand bénéfice de l’histoire culturelle, notamment celle de la culture matérielle.
30Car ce qui importe le plus in fine ce n’est pas tant de pouvoir nommer ou classer, que de donner à un objet — ou à la série d’objets unifiée — tout le sens qu’il tient de son origine, de sa finalité et surtout de ses usages.