« Tradauctrices » autour de 1800, « une autre créativité »
Angela Sanmann, Die andere Kreativität. Übersetzerinnen im 18. Jahrhundert und die Problematik weiblicher Autorschaft
Dir. Lucie Garrigues, Eleonora Bellentani, Mattia Bonasia, Małgorzata Fabrycy, Menghan Gao, Lilas Imbaud, Melina Moschou et Caroline Payen
La série « enVO » d’Acta Fabula est consacrée à la publication de comptes rendus, de traductions et d’entretiens sur la recherche étrangère non anglophone. Ces contributions ont pour objectif de faire connaître des travaux majeurs et innovants rédigés dans des langues moins accessibles aux lecteurs francophones. C’est dans le cadre d’un séminaire, organisé à Sorbonne Université par Maxime Berges et Cassandre Martigny, qu’a été pensé et constitué le quatrième numéro de la série : « Pratiques de la traduction ». L’objectif était d’interroger la manière dont la traduction transforme la langue et ses usages à travers différents contextes historiques, culturels et géographiques. Nous avons choisi d’aborder la traduction sous un angle pratique, en rassemblant les perspectives de traductrices et traducteurs issus de divers horizons, et plus particulièrement celles d’écrivaines et écrivains traducteurs. La diversité linguistique y occupe une place centrale, avec des essais rédigés en allemand, chinois, espagnol, grec, italien et polonais.
La première partie de ce numéro reconsidère certains jalons de l’histoire de la traduction. Les deux premières contributions s’attachent au tournant du xixe siècle pour explorer les ambiguïtés de cette période de transition. L’émergence de l’idée romantique de création originale, exigeant une traduction fidèle au génie propre de l’œuvre, coexiste avec la persistance d’une conception libre de la traduction héritée des Lumières. Lilas Imbaud et Lise Mirville s’intéressent d’abord à l’œuvre des autrices-traductrices des Lumières. Leur compte rendu met en rapport un colloque organisé à Padoue en mars 2024 par Daniele Vecchiato et Angela Sanmann et un ouvrage de cette dernière paru en 2021. L’entretien de Lilas Imbaud avec la chercheuse roumaine Ana-Stanca Tabarasi-Hoffmann offre ensuite l’occasion d’explorer l’œuvre du poète et traducteur danois Jens Baggesen (1775-1826). Se consacrant au début du xxe siècle, Melina Moschou traduit et commente « La psychologie du traducteur » du poète, critique littéraire et traducteur grec Tellos Agras (1899-1944), un essai de 1926 dans lequel l’écrivain explore les motivations qui animent le traducteur. Entre liberté créative, « jeu d’acteur » et renoncement, ses réflexions anticipent les approches modernes de la traductologie.
Dans un deuxième temps, Malgorzata Fabrycy, Caroline Payen, Menghan Gao et Lucie Garrigues s’intéressent chacune à la figure d’un traducteur qui envisage la traduction à la fois comme un espace de rencontre et de confrontation entre deux voix, deux langues et deux cultures. Dans Na okrężnych drogach. Tłumaczenie literackie i jego światy [Sur les chemins détournés : Traduction littéraire et ses mondes], Tadeusz Slawek (1946- ), poète et traducteur polonais, considère la traduction comme un mouvement vers la source des mots et leurs sens cachés. Le traducteur doit alors déséquilibrer sa propre langue pour accueillir l’étrangeté du texte original. Dans « La experiencia de lo extranjero » [« L’expérience de l’étranger »], le poète et traducteur espagnol Miguel Casado (1954- ) réfléchit à la puissance de la traduction à partir de ses manques constitutifs. La traduction prend ainsi la forme d’une expérience de l’étranger, pour le traducteur comme pour le lecteur. Enfin, le traducteur chinois de l’époque maoïste Fu Lei (1908-1966) aborde dans sa correspondance les défis posés par les différences culturelles entre les auteurs français et les lecteurs chinois. Dans un contexte de censure éditoriale, il s’efforce de clarifier les éléments obscurs susceptibles de constituer un obstacle à la compréhension.
Les contributions réunies dans la troisième partie de ce dossier interrogent plus spécifiquement la façon dont la traduction transforme le rapport du traducteur à sa langue et lui permet de trouver sa propre voix. Mattia Bonasia traduit Il turbo e il chiaro [Le Trouble et le clair] de l’écrivain italien Luigi Meneghello (1922-2007), qui revient sur sa pratique de la traduction entre l’anglais, l’italien et le dialecte vénétien, avant de mener un entretien avec Christophe Mileschi, traducteur de Meneghello en français. Enfin, Eleonora Bellentani propose un compte rendu de Narrative in fuga, l’un des derniers livres de l’écrivain italien Gianni Celati (1937-2022), retraçant le rôle joué par la traduction dans son parcours artistique.
Lilas Imbaud, Caroline Payen.