
À chacune des étapes qui ont conduit de la première guerre mondiale à l’hypercrise actuelle (sanitaire, climatique, économique, géostratégique), des pans entiers du savoir accumulé depuis des siècles se sont effondrés, plongeant dans le silence et la nuit l’expérience des hommes. De cette histoire du silence, toute la littérature moderne témoigne.
De Nicolas Gogol à Franz Kafka, de Hermann Broch à Witold Gombrowicz, de Danilo Kis à Milan Kundera, de Don DeLillo à Antoine Volodine, l’histoire littéraire nous parle d’une même expérience problématique. Non plus celle du narrateur omniscient qui embrasse la vie humaine dans ses complexités, mais celle d’un narrateur confronté à la destruction des conditions d’une expérience possible et à la difficulté croissante de raconter.
Loin du pathos qui l’a enrobé pendant tout le XXe siècle, le silence des écrivains n’est pas un symptôme pathologique, c’est le cœur même de l’expérience littéraire. Le silence soustrait le langage aux manières codifiées de voir et de penser et rend sensibles des forces jusque-là muettes, des formes porteuses d’autres possibilités de vie.
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Table des matières
Prologue
Introduction
Enrique Vila-Matas : le syndrome Bartleby
Coronarration : Kafka aux temps du confinement
Antoine Volodine : les paradis irradiés
Don DeLillo : une archéologie du silence
Joseph Conrad à Manhattan
Salman Rushdie : une fatwa sans fin
Nicolas Gogol : le tombeau du rire
Danilo Kiš : guerre au kitsch
Daniel Mendelsohn : une « hantologie » des disparus
Hermann Broch : le blanchiment du monde
Le paradoxe du romancier
Witold Gombrowicz : une fiction doublée de honte
Un instant sans surveillance
Nicolas Gogol : le pathos de l'autodafé
Marcel Proust : l'aventure de l'involontaire
Le mausolée de Kafka
Kafka face aux Gafam : la stratégie du silence
Conclusion. Comment le monde est devenu kundérien
Épilogue. L'amour de la vie
Références
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Christian Salmon est écrivain. Il est membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS). Il a été l’assistant de Milan Kundera à l’École des hautes études en sciences sociales (1984-1988). En 1993, il a fondé, avec l’appui de plus de trois cents intellectuels des cinq continents, le Parlement international des écrivains dont le premier président fut Salman Rushdie. Il a dirigé le Réseau international des villes refuges et la revue AUTODAFÉ, publiée en 8 langues (1993-2005). Il a collaboré à plusieurs journaux dont Libération et Le Monde . Depuis 2013, il est éditorialiste pour Mediapart. En octobre 2020, il fait paraître La Tyrannie des bouffons aux éditions Les Liens qui libèrent.
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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :
"Les trous noirs de la littérature", par Jean-Pierre Orban (en ligne le 15 février 2023).
Avec L’art du silence, Christian Salmon dit revenir à ses premières amours, la ou les littératures, du temps où il était l’assistant de Milan Kundera, dirigeait le Carrefour des littératures européennes à Strasbourg et lançait, en 1993, le Parlement international des écrivains, où serait prononcé notamment ce texte essentiel de Jacques Derrida, plus utopique encore aujourd’hui qu’alors, Cosmopolites de tous les pays, encore un effort (Galilée, 1997). En réalité, Christian Salmon n’a jamais vraiment délaissé la littérature, avec plusieurs essais littéraires qui ponctuent son parcours, avec un roman paru en 2017, Le projet Blumkine, et même lorsque, dans son ouvrage le plus connu, paru en 2007, il décrivait le phénomène à l’œuvre dans nos sociétés contemporaines, celui du Storytelling.
Et sur nonfiction.fr un entretien de Nicolas Poirier avec l'auteur…