Colloque « Hugo et Michelet comme penseurs »
Organisation : Aurélien Aramini (aurelienaramini@gmail.com), Tristan Bonnier (tristan.bonnier@orange.fr), Stéphane Haber (shaber@parisnanterre.fr).
Argumentaire
Victor Hugo, l'écrivain, Jules Michelet, l'historien. Mais aussi Hugo et Michelet penseurs. Ou, si l'on veut, philosophes, au moins philosophes par intermittence, puisque, occasionnellement, ils leur arrivèrent, l'un et l'autre, de se revendiquer tels et qu'il n'existe aucune raison valable de les récuser sur ce point. Philosophes, c'est-à-dire capables d'articuler soit explicitement (dans des textes argumentatifs à valeur doctrinale), soit de façon plus diffuse (dans des discours, dans des récits, dans des poèmes, dans des réflexions éparses...) un certain nombre d'idées générales approfondies et coordonnées entre elles.
Diverses (puisqu'elles vont de la métaphysique à la morale en passant par l'esthétique, pour utiliser des catégories traditionnelles), ces idées générales ont bien un centre de gravité, qui s'explique par des trajectoires biographiques en partie parallèles. Ainsi, ayant participé, certes selon une chronologie différente dans les deux cas et selon des modalités distinctes, à un certain enthousiasme progressiste qui culmina autour de 1848, les deux auteurs furent bien ensuite forcés de prendre en considération les côtés sombres de la vie des sociétés, divisions, régressions et stagnations, sans abandonner pourtant leur confiance en une unité majestueuse de l'Histoire. Sans renoncer non plus à une certaine foi dans la supériorité des idéaux républicains et démocratiques, et aussi dans le rôle éminent de la France. Une « vision du monde », aux couleurs vives et immanquables, marquée par ce que l'on a désigné sous le nom de « romantisme humanitaire », avec son lyrisme caractéristique, en résulta. Et c'est sans doute elle qui, du fait de sa force inspirante, leur permit de se faire penseurs, chacun à sa façon, même si tout ne se ramène pas à cela.
Pourtant, cette vision du monde, qui n'a d'ailleurs jamais fait l'unanimité, a lassé, et ce, dès la fin du 19e siècle. Évoquant sa première éducation, Sartre, dans Les Mots, en héritier tardif de cette lassitude, exprime cruellement la manière dont des idées auxquelles on a adhéré passionnément ont pu tourner en tristes platitudes : « Les grandes personnes nous racontaient l'Histoire de France : après la première République, cette incertaine, il y avait eu la deuxième et puis la troisième qui était la bonne : jamais deux sans trois. L'optimisme bourgeois se résumait alors dans le programme des radicaux : abondance croissante des biens, suppression du paupérisme par la multiplication des lumières et de la petite propriété ». Aux yeux de certains, Hugo et Michelet ont sans doute fini assez rapidement par être assimilés à ce « radicalisme » bien terne. Il est vrai que, politiquement, à gauche, des propositions plus fermes (la social-démocratie, le marxisme) s'imposaient ; l'institutionnalisation des sciences sociales faisait apparaître comme vieillottes et impressionnistes les approches sentimentales qu'illustraient des ouvrages tels que Le Peuple ou Les Misérables ; l'avènement de l'histoire-science renvoyait Michelet à un stade dépassé de la connaissance « positive » des faits historiques ; des sensibilités littéraires neuves, entre naturalisme et symbolisme, attiraient l'attention, qui ramenaient Hugo à un passé artistique en voie d'écroulement (ou, pire, peut-être, de consécration scolaire). Et tout cela, avant que les violences et les crises du 20e siècle ne vinssent discréditer pour de bon le progressisme dont Hugo, tout comme Michelet, s'étaient faits les prophètes parfois exaltés.
Cependant, il y a lieu aujourd'hui de rouvrir ce dossier. Non seulement parce que d'importants travaux récents ont permis de mieux cerner la richesse d'idées, la richesse philosophique multiforme, des deux œuvres en question, décidément irréductibles à quelques dogmes simplistes ou à quelques clichés naïfs, et parce qu'il devient tentant, de ce fait, de croire à la fécondité encore peu aperçue d'une confrontation possible. Mais aussi parce que certains des thèmes hugoliens et michelétiens conservent ou retrouvent aujourd'hui une actualité frappante. Nous n'en donnerons qu'un seul exemple. Pour les deux auteurs, nature et société sont en continuité ; et selon eux une société juste et démocratique serait aussi une société où la bienveillance à l'égard des animaux, ainsi que le souci de la nature, deviendraient des valeurs cardinales. Ce sont là des intuitions que, finalement, peu d'auteurs et d'autrices du siècle suivant, que ce soit dans l'ordre littéraire, dans l'ordre philosophique ou dans les sciences sociales, ont su faire leurs et déployer. Des proximités paradoxales avec nos questions et nos problèmes sont donc peut-être à découvrir.
Cette rencontre vise plusieurs objectifs.
Il s'agit d'abord de faire le point sur les aspects historiques de la question. Entre Michelet et Hugo, quel degré de familiarité, quelle présence dans la correspondance, quelles lectures croisées, quelles références plus ou moins précises à l'œuvre de l'autre, quelles façons d'être perçus conjointement par des contemporains (ou par des commentateurs ultérieurs) qui ont pu identifier des affinités et des différences entre les deux œuvres ?
Il s'agit ensuite de détecter quelques-uns des thèmes autour desquels un rapprochement entre l'historien et l'écrivain peut s'avérer intéressant. Hugo s'adressant à Michelet était bien conscient d'une évidente communauté d'inspiration : « Nous trempons donc parfois notre plume au même encrier ; permettez-moi de m'en vanter. Cet encrier qui nous est commun, c'est le grand encrier des ténèbres où il y a tant de lumière ; c'est l'inconnu, c'est l'infini, c'est l'absolu » écrivait-il à l'auteur de L'Insecte qui venait de lui faire parvenir un exemplaire de son nouvel ouvrage avec la dédicace « À notre grand Victor Hugo. De cœur. J. Michelet ». Partant de là, nous ne souhaitons pas seulement placer l'accent sur des catégories très abstraites (l'Histoire, le Peuple, la Révolution...) capables de faire l'objet de grandes considérations générales plus ou moins semblables chez les deux auteurs. Nous voudrions aussi attirer l'attention sur des objets plus précis que Hugo et Michelet ont croisés et qu'ils ont mis en scène de façon originale, surprenante, stimulante : par exemple, et pêle-mêle, la Femme, l'Orient, la violence, l'éducation, les oubliés, les réprouvés et les marginaux de l'Histoire, Paris, la coupure Moyen Age/Renaissance, la mer, l'animal, etc.
Enfin, il peut être question des points de friction et des divergences essentielles (par exemple sur la religion), dans la mesure où ils s'avèrent instructifs, que ce soit dans le contexte des débats du 19e siècle ou du point de vue contemporain.
Déroulement
Jeudi 9 mars, Université Paris Nanterre, Bâtiment Max Weber, salle 2
14 heures Aurélien Aramini & Tristan Bonnier : Intervention introductive : La relation entre Hugo et Michelet à travers leur correspondance.
14.50 Aurélien Aramini : Le jeune Michelet, lecteur de Hugo.
15.40 Pause.
15.50 Stéphane Haber : Ultra-violence. Férocité et cruauté dans la société et dans l'histoire selon Hugo et Michelet.
16.40 Jordi Brahamcha-Marin : Hugo, Michelet et la pitié.
Vendredi 10 mars, Université Paris Nanterre, Bâtiment Max Weber, salle des conférences
9.30 Julien Pasteur : La République et les morts. Hugo-Michelet.
10. 20 Hélène Kuchman : « Extravaguez » : puissance et dangers du rêve dans la pensée de Hugo et de Michelet.
11.10 Pause.
11.20 Gérard Bras : Une justice sainte et divine, fondée sur Celui qui seul fonde : la question de la religion du Peuple chez Michelet.
12.10 Déjeuner.
13.50 Elisabeth Plas : Le tigre de l'invisible ou le mal dans la nature selon Michelet et Hugo.
14.40 Franck Laurent : Penser et figurer le territoire : Michelet, Hugo.
15.30 Pause.
15.40 Tristan Bonnier : Les maux de l'Angleterre : anglophobie et patriotisme chez Michelet et Hugo.