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Fortune et infortune des stéréotypes culturels, XXe-XXIe siècles (Créteil)

Fortune et infortune des stéréotypes culturels, XXe-XXIe siècles (Créteil)

Publié le par Marc Escola (Source : Jeanne Meslin)

Journée d'étude - Appel à communications

Fortunes et infortunes du stéréotype culturel – XXe et XXIe siècles

"Le stéréotype schématise et catégorise ; mais ces démarches sont indispensables à la cognition, même si elles entraînent une simplification et une généralisation parfois excessive. Nous avons besoin de rapporter ce que nous voyons à des modèles préexistants pour pouvoir comprendre le monde, faire des prévisions et régler nos conduites."

(R. Amossy, A. Pierrot Herschberg, 2001, p 36)  

Néologisme formé au XIXe siècle à partir des termes grecs týpos (l’image ou le caractère imprimée par la frappe de la presse) et stereós (dur, solide), le mot « stéréotype » évoque à l’origine un élément technique qui permet la reproduction en série d’un même élément. De là vient le sens péjoratif que le stéréotype prend ensuite : simplification outrancière du réel, uniformisation des objets et des modes de pensée. Désormais, c’est la plupart du temps comme synonyme de banal, lieu commun, poncif, idée reçue ou encore cliché qu’il est employé. Comment le comprendre alors dans la perspective de relations interculturelles ? Si le stéréotype catégorise et simplifie l’autre culture, l’autre peuple, l’autre nation, l’autre religion, l’autre langue, n’est-il pas symptomatique d’un ethnocentrisme ? Il serait la porte ouverte à la xénophobie et au racisme. Mais comment expliquer la présence de stéréotypes positifs, voire valorisants ? Dans ce cas-là, ne serait-il pas un signe d’amitié, de respect, de fraternité, d’admiration ? Certes, ces stéréotypes-là ne sont pas non plus exempts de torts.

Lieux et formes du stéréotype

Tous les domaines de production humaine sont susceptibles de créer des stéréotypes culturels pour des raisons différentes et avec des objectifs spécifiques. Le discours politique, lié à la diplomatie, aux questions migratoires, favorise son lot de stéréotypes culturels tout comme le discours juridique. À l’instar du discours politique, le discours didactique ou pédagogique peut être le vecteur de stéréotypes culturels dans la transmission d’une culture ou d’une langue étrangère : « pour l’élève, intégrer des modèles figés, c’est accéder à la possibilité de lire » (A. Béguin, 1982, p 181). Les discours à visée scientifique peuvent également produire des idées reçues : l’ethnographie, l’histoire, la sociologie, la linguistique, etc. Le discours publicitaire, parce qu’il fait appel à des conceptions communes et qu’il s’intègre désormais à un monde globalisé, peut également reprendre à son compte des images culturelles figées. Enfin, les discours porteurs d’idéaux, tels que le discours religieux, le discours artistique ou le discours humanitaire peuvent également instrumentaliser ou réutiliser des conceptions « toutes faites » de l’autre culturel. Dans le cadre du discours humanitaire, par exemple, peut-on alors parler d’un discours de l’autre « sans adversaire » ? (P. Juhem, 2001) Il conviendra donc de s’intéresser également aux raisons de l’utilisation des clichés culturels dans ces différents domaines. Quelle est la stratégie à l’œuvre derrière la mise en place de ces stéréotypes ? La valorisation ou la dévalorisation de l’autre, du moins la construction de son image simplifiée, peut s’effectuer dans une perspective géopolitique, diplomatique, didactique, humoristique, esthétique, etc. Rappelons qu’aux travaux sur l’orientalisme d’Edward Saïd, dans le cadre des théories postcoloniales, ont ensuite succédé des travaux sur l’occidentalisme, comme Occidentalism: The West in the Eyes of Its Enemies de Ian Buruma et d’Avishai Margalit, ce qui montre que la construction d’un regard stéréotypé sur l’ « Autre » culturel correspond à des contextes historiques, chaque époque ayant des enjeux spécifiques.

Les moyens utilisés pour créer ou relayer les stéréotypes culturels sont divers : littérature, musique, arts de l’image (peinture, photographie, cinéma, etc.), littérature « grise » (production scientifique, production pédagogique et didactique, production administrative et législative), médias d’information (radio, journaux quotidiens, hebdomadaires satiriques, etc.) ou réseaux sociaux. La production de pseudo-discours scientifiques à la fin du XIXe siècle en Europe, dont la nature raciste n’est plus à démontrer, et la diffusion de contenus haineux en ligne contre un groupe spécifique de personnes ont-ils des mécanismes communs ?  Enfin, quelles formes précises prend l’image culturelle stéréotypée ? S’agit-il d’expressions figées, de gestes ou mimiques, accents, de proverbes ou vérités générales, d’images célèbres, d’imaginaires partagés, de personnages ou mascottes culturels, de blagues ? 

Création et trajectoire des stéréotypes culturels 

Les idées reçues sur les autres pays ou cultures naissent dans certains contextes historiques, politiques, économiques. Elles connaissent des trajectoires différentes. Certains stéréotypes passent d’un pays à un autre, d’une génération à une autre. Comment cette transmission dans l’espace et dans le temps se fait-elle alors, et selon quelles modalités et finalités ? De même, les stéréotypes culturels peuvent être modifiés, complétés, entretenus ou périr. En passant d’un lieu à un autre ou d’une époque à une autre, ils peuvent également se déplacer à travers différents champs de production humaine (du religieux vers le politique, du politique vers l’artistique, etc.).  Comment fonctionnent les réseaux producteurs et transmetteurs ? Selon Claire Oger et Alice Krieg-Planque, les discours institutionnels s’érigent à partir de deux aspects principaux : « la stabilisation d’énoncés et l’effacement de la conflictualité » (C. Oger et A. Krieg-Planque, 2010). Cela entraînerait des phénomènes de stéréotypie et de « sloganisation » (M. Tournier, 1985). À travers ces questions, il s’agit aussi de s’intéresser à la postérité ou à l’absence de postérité des stéréotypes pour interroger les évolutions des relations interculturelles.

Le XXe siècle, qui connut les prises d’indépendances et les partitions de plusieurs régions, fut le siècle d’une explosion du nombre d’États. Quels rôles ont joué les stéréotypes culturels dans ces processus de redéfinition des identités nationales les unes par rapport aux autres ? Le XXIe siècle, avec l’apparition des réseaux sociaux, a contribué à mettre en contact, à tout instant, l’intégralité des cultures du monde. Or, quelles conséquences cette époque du « Tout-monde », comme dirait Glissant, a-t-elle sur l’entretien, la redéfinition, la transformation (ou la disparition ?) des « clichés » associés à une nationalité, une région, une religion, un peuple, une langue, etc. ? 

Stéréotypes et connaissance 

Synonyme le plus récurrent de stéréotype, le terme cliché – dans son sens originellement photographique – interroge le rapport à la réalité telle que saisie de manière fragmentaire, éphémère. Si le cliché ne révèle pas toute la complexité de la réalité à saisir, il n’en demeure pas moins un moment figé de la réalité.  Daniel-Henri Pageaux distingue ainsi l’image de l’autre du stéréotype culturel. Selon l’imagologue, l’image est une représentation de l’autre – subjective, mais pas forcément négative ou nocive – alors que le stéréotype dans sa dimension monosémique tend à essentialiser voire à discriminer. Dans quelle mesure peut-on faire cette distinction entre stéréotype et image ? Faut-il considérer que le stéréotype est nécessairement nocif ? Peut-on penser les relations interculturelles, internationales, interethniques et interreligieuses qui soient exemptes de toute image préconçue ? Le stéréotype culturel ouvre-t-il la voie à une connaissance de l’autre ou bien faut-il le considérer au contraire comme une barrière aveuglante ? Plus inquiétant encore qu’un rapport à l’autre incapable de fonctionner en dehors du stéréotype, l’absence totale de stéréotypes dans une société, quelle qu’en soit la raison, ne signifierait-elle pas un désintérêt profond pour l’autre, un renfermement sur soi le plus total ?

Enfin, la dynamique identité/altérité à l’œuvre dans le processus de la stéréotypie amène à questionner les relations entre le pôle émetteur du stéréotype et le pôle qui en est l’objet. Ce qu’on produit, en tant que société, en tant que nation, en tant que communauté, dit ce que l’on est. On se définit dans une dynamique d’opposition à l’autre mais on peut également se définir en produisant des clichés sur soi, en nourrissant des stéréotypes sur soi-même. Le stéréotype permet alors de se redéfinir en tant que groupe, de poser une identité collective.

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Axes de réflexion suggérés (liste non exhaustive) : 

-       Discours politiques et stéréotypes nationaux 

-       Discours juridiques

-       Médias, réseaux sociaux 

-       Arts et images culturelles stéréotypées 

-       Enseignement scolaire

-       Rire et stéréotypes 

-       Imagologie 

-       Tourisme et « clichés » 

-       Auto-exotisme

-       Stéréotypes, stratégie, idéologies

-       (Re)lire les clichés culturels

Modalités et calendrier prévisionnel : 

La liste d’axes de réflexion n’est pas exhaustive, toute autre approche est la bienvenue. Cet appel s’adresse prioritairement à un public de jeunes chercheurs (doctorant·e·s, post-doctorant·e·s, étudiant·e·s de master). Il vise à créer une réflexion collective autour des stéréotypes culturels dans une perspective interdisciplinaire.

Les propositions de communication, accompagnées d’une courte présentation, sont à envoyer au plus tard le 4 octobre 2024, à jmeslin@parisnanterre.fr et laura.navarro-marin@u-pec.fr.

Date de la journée d’étude : 21 novembre 2024, 20-25 minutes de présentation par intervenant·e.

Lieu : Université Paris-Est Créteil. 

Organisation : CSLF (Nanterre) et EUR FRAPP (Créteil)

Comité scientifique :

Stefania Cubeddu-Proux, maîtresse de conférence en littératures françaises et francophones (Université Paris-Nanterre)

Jean-Marc Moura, professeur de littératures francophones et comparées (Université Paris Nanterre)

Yolaine Parisot, professeure de littératures francophones et comparées (Université Paris-Est Créteil)

Graciela Villanueva, professeure de littérature hispano-américaine (Université Paris-Est Créteil)

Bibliographie indicative :

Anderson, Benedict. L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme. Traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat. Paris, La découverte, 1996, 212 p.

Amossy, R., et Pierrot Herschberg, A. Stéréotype et clichés : langues, discours, sociétés. Paris, Armand Colin, 2001, 160 p.

Amossy, Ruth. Les idées reçues, Sémiologie du stéréotype. Paris, Nathan , coll. « Le texte à l’œuvre », 1991, 215 p.

Begin, Annette. Lire- écrire : Pratique nouvelle de la lecture au collège. Paris, École des loisirs, 1982, 236 p. 

Boyer, Henri. « La place du stéréotype dans la pensée sociale et les médias », Hermès, La Revue, vol. 83, no. 1, 2019, pp. 68-73.

Dridi, Mohamed. « Les représentations stéréotypées de la famille dans le nouveau manuel de français de la 3ème Année de Primaire ». Revue des Sciences humaines et sociales, nº 31, p. 27-40, 2017. 

Dufays, Jean-Louis. Stéréotype et lecture. Essai sur la réception littéraire. Bruxelles, Peter Lang, coll. « ThéoCrit » , 2010.

Edrom, J., Guérin, R., Witold, G., Somlovic, K., Villard, F. « Pour un usage du stéréotype en Histoire », Hypothèses, vol. 21, n°1, p. 93-102, 2018.

Fuller, Karla Rae, Hollywood goes Oriental : CaucAsian performance in American film, Wayne State University Press, Detroit, 2010, 288 p.

Geybullayeva, Rahilya. « About stereotypes without stereotypes? ». Stereotypes in literature and culture. Frankfurt, Peter Lang, 2010, 302 p.

Glissant, Edouard, Traité du Tout-Monde. Poétique IV, Gallimard, Paris, 1997, 268 p.

Goody, Jack. La peur des représentations. L’ambivalence à l’égard des images, du théâtre, de la fiction, des reliques et de la sexualité. Traduit par Piere-Emmanuel Dauzat, Paris, La Découverte, coll. « Laboratoire des sciences sociales », 2003. 

Juhem, Philippe. « La légitimation d’un discours humanitaire : un discours sans adversaires ». Mots, nº65, 2001.  

Justo, Florencia. «Representaciones de la variación geolectal en manuales de español franceses». Quaderna, nº5, Université Paris-Est Créteil, 2021.

Moliner P., Vidal, J. « Stéréotype de la catégorisation et noyau de la représentation ». Revue Internationale de Psychologie Sociale, nº1, p. 157-176, Université Paul Valéry, Montpellier III, 2003.

Oger, Claire, Krieg-Planque, Alice. « Discours institutionnels : Perspectives pour les sciences de la communication » [en ligne]. Mots : les langages du politique, nº 94, 2010, p. 92-93.

Pageaux, Daniel-Henri. Rencontres, échanges, passages. Paris, L’Harmattan, 2006, 353 p. 

 Pageaux, Daniel-Henri. Littératures et cultures en dialogue. Essais annotés et commentés par Sobhi Habchi, Paris, L’Harmattan, 2007, 341 p.

Ruscio, Alain. « Des Sarrasins aux Beurs, une vieille méfiance ». Le Monde diplomatique [en ligne] février 2004, URL : https://www.monde-diplomatique.fr/2004/02/RUSCIO/10999

Schapira, Charlotte. Stéréotypes en français : proverbes et autres formules. Paris, Éditions Ophrys, 1999.

Rosenthal C., Wolkmann L., Zagratzki U. (dir.). Disrespected Neighbo(u)rs: Cultural Stereotypes in Literature and Film. Cambridge Scholar : 2018, 270 p.

Tournier, Maurice, « Texte “propagandiste” et cooccurrences. Hypothèses et méthodes pour l’étude de la sloganisation », Mots, nº11, 1985, p. 155-187.

Veyrat-Masson, Isabelle. « Les stéréotypes nationaux et la construction européenne », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°66, avril-juin 2000. Religions d’Europe, p. 162-164.