Actualité
Appels à contributions
L'objet en sciences sociales : approches doctorales et pluridisciplinaires. Journée d'étude de l'ED Normandie Humanités

L'objet en sciences sociales : approches doctorales et pluridisciplinaires. Journée d'étude de l'ED Normandie Humanités

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Marine Ollivary)

Appel à communications - Journée d'étude de l'ED Normandie Humanités

« L'objet en sciences sociales : approches doctorales et pluridisciplinaires »

27 novembre 2024 - Université du Havre

La journée d'étude inter-sites 2024 de l'École Doctorale Normandie Humanités, regroupant des doctorant·es et des jeunes chercheur·euses en sciences humaines et sociales, aura lieu à l'université du Havre le mercredi 27 novembre 2024.

Cette journée d'étude s'inscrit dans la continuité des différents questionnements qui ont animé les sites de notre École Doctorale autour de la construction et de la déconstruction des symboles (Caen, le 15 novembre 2023), de la thématique de l'impasse (Le Havre, le 2 février 2024) ou du travail de thèse et ses transformations (Rouen, le 5 juin 2024).

Ainsi, dans le cadre de cette journée d'étude inter-sites de l'ED Normandie Humanités, nous allons étudier l'objet en sciences sociales, selon des approches doctorales et pluridisciplinaires.

L'objet, s'il a été défini par certaines sciences humaines (comme la sociologie ou la géographie), ne possède pas de définition scientifique transdisciplinaire. Il constitue pourtant, par sa polysémie, le cœur de nombreuses disciplines qui nous animent, comme la littérature, le cinéma, la psychologie, l'histoire ou la musique. Dans le cadre de cette réflexion épistémologique, l’objet pourra être pensé aussi bien seul qu’en relation avec d'autres éléments, autant dans son acception littérale que figurée, objet matériel comme objet d’étude. On remarquera évidemment que cette dernière notion jouit, elle aussi, d’une dualité sémantique riche de possibilités, de l’objet étudié au champ d’étude.

L'objet est en effet susceptible de se voir attribuer différentes positions. Si l'on se réfère à son étymologie, du latin objectus, us (1) qui signifie « ce qui est placé, jeté devant », l'objet, dans son sens le plus littéral, peut ainsi être compris comme un point initiateur, borne située à l’avant de quelque chose, et par là offerte à l'appréciation des sens. S'ensuit une autre possibilité d'interprétation, l'objet comme centre, placé au cœur d'un système, sensoriel, appréciatif, scientifique, historique ou encore littéraire. C’est le cas par exemple dans son acception linguistique, où l'objet désigne la personne ou la chose sur laquelle se porte l'action exprimée par le verbe, en corrélation inséparable avec le sujet qui accomplit cette action. Enfin, l'objet peut également être envisagé en position finale, lorsqu'il est perçu comme but à atteindre. Il est entendu que ces définitions préliminaires sont évidemment appelées à être elles-mêmes questionnées.

1.      Objet et temporalité

La temporalité de l'objet constitue le premier axe de réflexion proposé dans le cadre de cette journée d’étude. Dans un extrait célèbre de son roman comique Trois Hommes dans un Bateau, Jerome K. Jerome s’interrogeait sur le processus de réappréciation chronologique des objets quotidiens : « Les objets sans intérêt d’hier continueront-ils de devenir les trésors estimés de demain ? […] Nous autres ne voyons pas aujourd'hui la beauté de [cet objet]. Il nous est trop familier. Il en est ainsi du soleil et des astres : nous ne savons pas admirer leur charme, parce qu'ils sont à nos yeux trop communs. »(2)

À l'image de l'auteur victorien, il s’agira donc dans un premier temps de questionner la relation entre l’objet matériel et sa temporalité : des fouilles archéologiques aux diverses archives, la recherche en sciences humaines érige sans cesse des « objets sans intérêt » en sources, « trésors estimés » du chercheur. Questionner la temporalité des objets permet d'historiciser le système d´appréciation qui leur est appliqué : d'objet du quotidien, dont la valeur est déterminée dans son contexte de production, à son évolution en relique ou en rebut, comment, pourquoi un objet acquiert-il, ou au contraire échoue-t-il à acquérir, le statut d’antiquité, de trophée, d’artefact ? Comment cette temporalité affecte-t-elle l’évaluation, culturelle ou marchande, d’un objet ? Cette relation entre objet et temps peut-elle être envisagée comme une forme de co-dépendance (A. Beyaert-Geslin, 2015) ?

Au-delà de l’objet tangible, les communicant·es seront également invité·es à réfléchir à l’influence exercée par une époque et les valeurs sociétales, historiquement évolutives, qui y sont attachées, sur l’émergence et la prépondérance ou, à l’opposé, la dépréciation d’un objet d’étude. La fin du XXe et le début du XXIe siècles ont ainsi vu émerger de nouvelles approches scientifiques, du linguistic turn à l’éco-critique, en passant notamment par la queer theory ou les études postcoloniales. Ces grilles d'analyse, comme la critique féministe ou marxiste avant elles, permettent d’insufler à l’objet d’étude auquel elles s’appliquent des possibilités d’entendement novatrices, qui entrent en résonance avec les préoccupations de leur temps. 

2.      L’objet au centre

Du latin objectus, dérivé de objicere (3), proprement "placé, jeté devant, exposé", l'objet est étymologiquement destiné à occuper le premier plan, à jouir d’une dimension prépondérante. À titre d’illustration, le choix d’une thématique comme focale de thèse érigera de facto cette thématique en objet central du travail du doctorant.

Ce deuxième axe invite ainsi les communicant·es à questionner la centralité de l'objet. À nouveau, la polysémie du terme permet une grande diversité d'interprétations. Elles peuvent aussi bien concerner un objet matériel   auquel    sera   conféré une   place primordiale, ceci le plus souvent en lien avec son pouvoir symboliste, qu'interroger le statut quasi-totémique d’un sujet d'étude (« Encore une thèse sur Shakespeare ? »). De fait, la question de la centralité de l’objet, qu'il soit tangible ou théorique, nous enjoint à replacer celui-ci dans le système de valeurs, scientifiques ou sociétales, qui lui accorde cette primordialité. S’ensuit dès lors une nécessaire analyse des courants fondamentaux par lesquels ce système est mû, à la manière de la thing theory et du rapport de questionnement que celle- ci entretient avec le matérialisme, donc l’objet dominant, comme moteur social, historique ou encore littéraire.

Questionner la centralité de l’objet invite donc à une démarche réflexive et épistémologique : ce sont les vecteurs qui construisent cette centralité que les communicant·es pourront en l'occurrence choisir d'examiner. 

3.       Dépasser l’objet

Dérivé tardif, l’objectus du latin médiéval s’écarte de la primordialité que lui conférait son acception classique pour devenir contradiction, réfutation (4). Ce rapport d’opposition nous amènera donc dans un troisième temps à questionner l’objet dans sa relation à l’altérité, à laquelle il est de fait confronté : il s'agira ainsi de dépasser l'objet.

En effet, le rapport d'opposition qu'entretient l'objet central à un élément tiers invite à décentrer le regard pour questionner ce qui l’entoure, son contexte. Empruntant à la méthodologie de l'histoire de l'art, il s'agira, par exemple, de ne pas se concentrer sur le point où est naturellement attiré le regard dans un tableau, mais plutôt d’étudier ses conditions de conservation, sa scénographie ou sa réception par le public. En effet, par la remise en cause de sa prépondérance ou de son statut, c’est également la signification implicite de l’objet que l’on choisit alors de confronter, à l’image du railleur LHOOQ d’un Duchamp revisitant, en l’affublant d’une moustache, la trop illustre Joconde. À nouveau, la polysémie du terme invite les communicant·es à interroger la dimension matérielle aussi bien que littérale de l'objet d'étude.

Enfin, le dépassement de l'objet peut amener à sa déconstruction par la remise en question de ses valeurs symboliques, anciennement centrales. Les débats suscités par le déboulonnage des statues à connotation esclavagiste à l'été 2020 dans la continuité du mouvement Black Lives Matter (5) ou par la représentation dichotomique de la figure de Napoléon comme héros ou dictateur français, notamment au cinéma comme à l’occasion de la sortie du film de Ridley Scott en 2023, illustrent ce mouvement de remise en question de la centralité de l’objet initial. Dès lors, cette déconstruction de l'objet permet son dépassement et l'émergence de nouveaux objets, sujets, voire totems, au sein de la société.

D’abord but ou épicentre, puis contrepoint, l’objet devient ainsi un nouveau point de départ, focale initiale d’une réflexion destinée à adresser ensuite des champs plus larges.

Modalités de soumission des propositions :

Les propositions de communication, d'une page environ, accompagnées d'un titre ainsi que d’une présentation bio-bibliographique, sont à envoyer par mail avant le 15 septembre 2024 à :

-  angelina.giret@etu.univ-lehavre.fr

-  sarah.levy-valensi@etu.unicaen.fr

-  faika.saci@unicaen.fr

-  helene.sannier@univ-rouen.fr

Vous recevrez une réponse par mail au plus tard début octobre.

Lors de la journée d'étude, qui se déroulera le 27 novembre 2024 à l'université du Havre, les communications ne devront pas excéder 20 minutes.

Comité d'organisation :

Sophie Beaumont, Laetitia Boaretto-Dembreville, Léa David, Océane Daza, Angélina Giret, Sarah Levy Valensi,

Octave Moreau, Marine Ollivary, Esther Person, Chloé Richard-Desoubeaux, Faïka Saci, Hélène Sannier.

Indications bibliographiques :

-  A. APPADURAI (dir.), The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective, New York, Cambridge University Press, 1986.

-  F. BERTIN, Mémoires d'objets, Histoires d'hommes, Rennes, Ouest France, 2004.

- A. BEYAERT-GESLIN, Sémiotique des objets, Liège, Presses universitaires de Liège, 2015, https://doi.org/10.4000/books.pulg.2585.

- B. BROWN, Things, Chicago, Chicago UP, 2004.

-  B. BROWN, Other Things, Chicago, Chicago University Press, 2015.

-  B. BROWN, A Sense of Things: The Object Matter of American Literature, Chicago, University of Chicago Press, 2003.

-  B. BROWN, « Thing Theory » dans Critical Inquiry, Vol. 28, N°1, 2001.

-  M. CARAOIN (dir.), Usages de l’objet. Littérature, histoire, arts et techniques. XIXe-XXe siècles, Seyssel, Éditions Champ Vallon, coll. « Détours », 2014.

-    B.G. CARSON, « Interpreting History through Objects » dans The Journal of Museum Education, Vol 10, N°3, 1985, (Interpreting Historic Sites and the Built Environment).

-   T. DACOSTA KAUFMANN, « Antiquarianism, the History of Objects, and the History of Art before Winckelmann » dans Journal of the History of Ideas, Vol 62, N°3, 2001.

-   R. DE ANGELIS, « De l'objet linguistique à l'objet d'écriture » dans Dossiers d’HEL, 2016, Écriture(s) et représentations du langage et des langues, 9, pp. 317-332, hal-01305406.

-  E. DEDENON, Géographie des objets, Paris, L'Harmattan, 2015.

-  J. DURHAM PETERS, The Marvelous Clouds: Toward a Philosophy of Elemental Media, Chicago, Chicago UP, 2015.

-   R.R. FALKOFF, Possessed: A Cultural History of Hoarding, Cornell, Cornell University Press, 2021.

-  E. FREEDGOOD, « The Ideas in Things, Fugitive Meaning » dans the Victorian Novel, Chicago, Chicago UP, 2006.

-    E. FREEDGOOD, « What Objects Know: Circulation, Omniscience and the Comedy of Dispossession in Victorian It-Narratives » dans Journal of Victorian Culture, Vol 15 n°1, 2010.

-  G. GLORIEUX, L'histoire de l'art : Objet, sources et méthodes, Rennes, Presses Universitaires Rennes, 2015.

-  G.C. GUILBERT, Le genre des objets, Paris, L'Harmattan, 2014.

-  M. HEIDEGGER, What is a Thing ?, Barton Deustch trad., Chicago, H. Regnery, 1968.

-   A. HEPBURN, Enchanted Objects: Visual Art in Contemporary Fiction, Toronto, University Toronto Press, 2010.

-  H. HESSEL, Objets d'histoire, histoires d'objets, Paris, La Martinière, 2021.

-  E. HEUMANN GURIAN, « What Is the Object of This Exercise? A Meandering Exploration of the Many Meanings of Objects in Museums » dans Daedalus, Vol. 128, N°3, 1999.

-  C.A. JONES, The Global Work of Art: World’s Fairs, Biennials, and the Aesthetics of Experience, Chicago, Chicago UP, 2017.

-  C.B. LAKE, Artifacts: How We Think and Write about Found Objects, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2020.

-  F. LEBARON, C. GAUBERT, M.P. POULY, « 3. Construire l’objet sociologique » dans Sociologie, F.    LEBARON,    C.    GAUBERT,   M-P.   POULY,   Paris, Dunod, 2013, pp.    47-68. URL : https://www.cairn.info/sociologie--9782100547357-page-47.htm

-  L. LEPALUDIER, L'objet et le récit de fiction, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004.

-  N. MACGREGOR, Une histoire du monde en 100 objets, Paris, Les Belles Lettres, 2018.

-  L. MALAFOURIS, How Things Shape the Mind: A Theory of Material Engagement, Cambridge, MIT Press, 2013.

- H. MATHIAN, L. SANDERS, « Temporalités et objets géographiques », L'Information géographique, 2015/2 (Vol. 79), pp. 55-64. DOI : 10.3917/lig.792.0055. URL : https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2015-2-page-55.htm

-  D. MILLER, Materiality, Durham, Duke, Duke University Press, 2005.

-  D. MILLER, Material Culture and Mass Consumption, Cambridge, Basil Blackwell, 1987.

-  P.N. MILLER, History and Its Objects: Antiquarianism and Material Culture since 1500, Cornell, Cornell UP, 2017.

-  F. NEF, L'objet quelconque : recherches sur l'ontologie de l'objet, Paris, Vrin, 1998.

-  K.S. ONG-VAN-CUNG, L'objet de nos pensées - Descartes et l'intentionnalité, Paris, Vrin, 2012.

- J.A. PERRAS, Comment la littérature pense les objets : théorie littéraire de la culture matérielle dans M. CARAION, French Studies, Volume 76, Issue 2, Avril 2022, pp. 296–297.

-  K. PETERSON, Speculative Markets: Drug Circuits and Derivative Life in Nigeria, Duke, Duke UP, 2014.

- L. PINTO (dir.), La construction d'objet en sociologie - Actualité d'une démarche, Paris, Éditions du croquant, 2021.

-  J. PLOTZ, « How to Do Things with Things: Materiality in Theory » dans Stanford Humanities Center, 2017, URL : https://shc.stanford.edu/arcade/interventions/how-do-things-things- materiality-theory.

-   J. PLOTZ, Portable Property: Victorian Culture on the Move, Princeton & Oxford, Princeton University Press, 2008.

-   L. PRICE, How to Do Things with Books in Victorian Britain, Princeton & Oxford, Princeton University Press, 2012.

-  R. RECHT, L'objet de l'histoire de l'art, Paris, Fayard, 2003.

-  J.T. SCHLEBECKER, «The Use of Objects in Historical Research » dans Agricultural History, Vol. 51, N°1, 1977, (Agriculture in the Great Plains, 1876-1936 : A symposium).

 - J.P. TERRENOIRE, « Images et sciences sociales : l'objet et l'outil » dans Revue française de sociologie, 1985, 26-3. pp. 509-527. DOI : 10.2307/3321747.

(1) Occurrence confirmée chez Cornelius Nepos, premier siècle avant JC dans F. GAFFIOT, Dictionnaire Latin- Français, révisions par G. GRECO, Paris, Hachette, 2016, p. 914.

(2) Jerome K. JEROME, Three Men in a Boat, traduction libre, London, Arrowsmith, 1889, p.53.

(3) F. GAFFIOT, Dictionnaire Latin-Français, révisions par G. GRECO, Paris, Hachette, 2016, p. 914.

(4) DU CANGE, Glossaire du moyen et bas latin, Niort, Favre, 1883-87.

(5) La vie des personnes noires compte.