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Préparer le terrain. Gestes, supports et discours du travail exploratoire en littérature et au cinéma

Préparer le terrain. Gestes, supports et discours du travail exploratoire en littérature et au cinéma

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Denis Saint-Amand)

Préparer le terrain

Gestes, supports et discours du travail exploratoire en littérature et au cinéma

Si l’œuvre artistique est généralement présentée et reçue dans sa finitude, elle peut s’appréhender comme le résultat d’un processus plus ou moins long. Ce sont les étapes liminaires de ce processus que ce colloque, organisé sous les auspices du master de spécialisation en Cultures et pensées cinématographiques de l’Université de Namur et de l’Observatoire des Littératures Sauvages (OLSa), voudrait interroger, en se penchant sur les phases exploratoires des projets littéraires et cinématographiques dans le domaine francophone contemporain.

Comment appréhender les prémices d’une production artistique? Comment une idée se concrétise-t-elle ? Comment se transforme-t-elle et quels moyens sont mis en place pour la préciser? Quand et comment un projet se met-il en route? En se penchant sur les brouillons d’écrivains, la génétique textuelle a contribué à rappeler l’importance des travaux préparatoires dans la dynamique de création littéraire, à dissiper l’appréhension monolithique de l’œuvre et à mesurer l’évolution possible des «formes de l’intention» d’un auteur ou d’une autrice (selon l’expression de Michael Baxandall). La réflexion que l’on voudrait développer ici s’inscrit dans le sillage de cette perspective, tout en s’ouvrant à des approches sociologiques, poéticiennes et pragmatiques. On sait combien le motif de la «création» a pu favoriser l’émergence de la mythologie romantique du génie immanent : à rebours de cette représentation tenace du «créateur incréé», selon la formule ironique de Bourdieu, on voudrait ici prendre au sérieux les déclencheurs, les conditions et les occasions qui permettent d’ébaucher un projet avant de lancer une chaîne de production culturelle. Pour ce faire, nous proposons d’envisager trois prises, lesquelles ne sont pas exclusives mais permettent de proposer un premier cadrage de la réflexion:  

a)       Quels gestes ? 

Avant que ne s’ouvre le chantier du texte ou du film, c’est une scénographie de la recherche — plus ou moins réfléchie et plus ou moins ou moins organisée — qui peut s’observer à travers une série de gestes et configurations permettant d’installer un cadre de travail. Lire, collecter, observer, noter ou répéter participent de ces opérations, mais, concrètement, comment se jouent-elles en fonction de celles et ceux qui les mènent et des projets qui s’amorcent? Quelles routines les écrivains et cinéastes mettent-ils en place dans leur travail exploratoire? Quels réflexes se développent? Comment se concrétisent le tâtonnement, le bricolage et l’essai? Quelles discussions, échanges et interactions ces gestes impliquent-ils? Quelle est la part de collaboration et de collectivité dans ce travail de préparation?

b)      Quels supports ? 

Le travail préparatoire à l’écriture et à la réalisation se matérialise par des formes spécifiques, plus ou moins abouties (du brouillon au plan, de l’esquisse au séquencier), accueillies sur des supports multiples (du carnet de notes au story-board), dont il paraît opportun d’étudier les logiques et les fonctions. Que peut-on y observer? Comment la pensée s’y structure-t-elle? Quelles sont les spécificités à la fois poétiques et matérielles de ces objets? La question du support peut s’envisager dans un sens extensif comme l’ensemble des médiations qui supportent le travail créatif (en ce compris, par exemple, les institutions permettant des résidences d’écriture: comment ces configurations favorisent-elles concrètement la gemmation artistique?) ; elle invite, par ailleurs, à dépasser une conception trop cloisonnante des espaces et étapes : l’époque contemporaine fait la part belle aux productions jouant d’une position indécidable, à l’image de ce que François Niney qualifie de « films d’interférence », situés à l’intersection du documentaire et de la fiction et impliquant le spectateur dans le «making of» (comme D’un château l’autre d’Emmanuel Marre ou By the Name of Tania de Bénédicte Liénard et Mary Jiménez), ou de ce qu’Antony Fiant appelle «cinéma soustractif» (transformant en le manque de moyens en principe  — «moins d’histoire, moins de scénario, moins de récit, moins de parole, moins de musique, moins de décor»), mais aussi des publications révélant les coulisses d’un projet d’écriture (qu’il s’agisse de L’Atelier noir d’Annie Ernaux, du projet Lieux de Perec ou des écrits d’Edouard Levé qui misent sur l’esquisse et l’inachèvement).      

c)       Quels discours ? 

Comment cette question de la préparation est-elle commentée par les écrivains et cinéastes?  Que disent-ils des déclencheurs, des sources d’inspiration ou des moyens mis en place pour susciter des idées? Quels mots emploient-ils pour désigner leurs habitudes et rituels, les ressources et adjuvants sur lesquels ils se fondent? Robert Bober parle de son carnet de notes comme d’un «cahier où [il va] comme on va dans un café près de chez soi et où l’on sait retrouver des amis». Quels imaginaires, valeurs et représentations sont associés à la préparation? Et, de notre côté, quels concepts utilisons-nous pour rendre compte de ces questions? De l’«avant-texte» au «terrain», en passant par le «brouillon» et le «pitch», quels sont les termes que nous mobilisons pour traiter cette étape exploratoire et comment ceux-ci nous engagent-ils?

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C’est à ces différentes questions que nous voudrions consacrer un espace de réflexion, ouvert aux approches théoriques et aux traitements de cas. Le colloque se tiendra les mardi 15 et mercredi 16 avril 2025, à l’Université de Namur (Belgique). Les propositions de communication (titre programmatique et résumé de 500 signes, suivis d’une biobibliographie) peuvent être adressées pour le 15 novembre 2024 à Jean-Benoit.Gabriel@unamur.be et Denis.Saint-Amand@unamur.be.

Bibliographie sélective 

Michael Baxandall, Formes de l’intention, Jacqueline Chambon, 1991. 

Jean Bellemin-Noël, Le Texte et l’avant-texte, Larousse, 1971. 

Alain Bergala, La Création cinéma, Yellow Now, 2015. 

Adrien Chassain, « La rhétorique du projet dans l’œuvre de Georges Perec », dans Christelle Reggiani (dir.), Relire Perec, Presses Universitaires de Rennes, « La Licorne », 2017.

Adrien Chassain, « Nihil nisi propositum : Roland Barthes et la poétique de l’œuvre à venir, entre projet et commande », dans Revue Roland Barthes, no 4, « Les avenirs de Barthes », 2018.

Pierre-Marc de Biasi, La Génétique des textes, Nathan, 2000. 

Pierre-Marc de Biasi et Anne Herschberg Pierrot (dir.), L’œuvre comme processus, CNRS éditions, 2017. 

Daniel Ferrer, Logiques du brouillon, Seuil, 2011

Antony Fiant, Pour un cinéma soustractif, Presses universitaires de Vincennes, 2014.

Christian Jouhaud et Alain Viala (dir.), De la publication. Entre Renaissance et Lumières, Fayard, 2002.

Andreï Minzentanu, Carnets de lecture. Généalogie d’une pratique littéraire, Manuscrits modernes, 2016.  

Gilles Mouëllic, Improviser le cinéma, Yellow Now, 2011. 

François Niney, L’épreuve du réel à l’écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, De Boeck, 2000

Mathilde Roussigné, Terrain et littérature, nouvelles approches, Presses universitaires de Vincennes, 2023. 

Danièle Thibaut, Brouillons d’écrivains, BNF, 2001. 

Dirk Van Hulle et Mark Nixon, Write Cut Rewrite, Bodleian Library, 2024. 

Kazuyoshi Yoshikawa et Noriko Taguchi (dir.), Comment naît une œuvre littéraire ? Brouillons, contextes culturels, évolutions thématiques, Paris, Honoré Champion, 2011.