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Care ou anticare dans la littérature gaie contemporaine (APFUCC 2025, Kingston)

Care ou anticare dans la littérature gaie contemporaine (APFUCC 2025, Kingston)

Publié le par Jean-Christophe Corrado (Source : Guillaume Girard)

Selon Alexandre Gefen dans Réparer le monde (2017, quatrième de couverture), « [s]auver, guérir ou du moins faire du bien, tels sont les mots d’ordre, souvent explicites, placés au cœur des projets littéraires contemporains ». Si une telle affirmation s’avère souvent juste, notamment chez des écrivaines lesbiennes comme Marie-Claire Blais, Nicole Brossard et Nina Bouraoui, où le care semble davantage reconnu, qu’en est-il de la littérature gaie en particulier ? En effet, à bien des égards, les écrivains gais ne conçoivent pas toujours le care comme on pourrait s’y attendre, soit comme les nombreuses variations du mot anglais le laissent entendre : « Comme verbe d’action, to care pourrait vouloir dire préférer quelque chose, se sentir concerné ou avoir du souci ; care to : avoir envie de ; to care about : donner l’attention, aimer ; to take care : soigner ; to care for : éprouver de l’affection, de l’attachement ou de l’amour. Son substantif signifie tout à la fois l’inquiétude, la responsabilité, la précaution, le problème pris en main […]. » (Carrière, 2016 : 205-206) Est-ce à dire que la littérature gaie serait pour autant privée de care ? Ou, plutôt, serait-elle l’expression d’un care insoupçonné, alternatif, queer ? Faut-il redéfinir le care pour arriver à le percevoir dans la littérature gaie ? Le care est-il là où on le cherche ou s’exprime-t-il plutôt d’une façon différente dans les productions littéraires des hommes gais, dans le sens où il prendrait là une forme inattendue qui, à la première lecture, ne s’apparenterait pas à une éthique ou à une politique du care telle qu’elle a été conceptualisée par des féministes comme Carol Gilligan (Une voix différente, 1982) et Joan Tronto (Un monde vulnérable, 2009) ?

En littérature québécoise, par exemple, Simon Boulerice est l’un des rares écrivains gais à créer autour d’une conception plus traditionnelle du care axée sur les bons sentiments ; tous ses livres, d’une manière ou d’une autre, cherchent à apaiser, à réparer, à transformer positivement. À l’inverse, chez des écrivains comme Antoine Charbonneau-Demers, Gabriel Cholette, Nicholas Giguère, Guillaume Lambert, Mathieu Leroux, Éric Noël ou Juan Joseph Ollu, on a affaire à des personnages qui embrassent leur abjection en cherchant le plus souvent à « reconnaître l’existence du plaisir [qu’ils peuvent] prendre à être plus bas que terre, à être vils, hors-la-loi, à trahir à la fois [leurs] propres valeurs et celles de ceux qui [les] entourent. » (Halperin, 2010 : 72) On a alors l’impression que, comme l’écrit Arthur Dreyfus dans son Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui, ces personnages considèrent « le sexe (ou l’obsession sexuelle) […] comme […] une dissipation de l’angoisse d’être au monde. » (2021 : 784)

Est-ce que ces formes de prise de risque et d’annihilation temporaire ne seraient pas aussi du care, une façon de s’entraider dans le but de trouver l’apaisement en se défaisant respectivement de son moi social normatif ? En effet, malgré l’intolérance et le rejet qui s’y manifestent parfois, peut-on vraiment dire que le care est absent des bars et des saunas, par exemple, ces lieux hétérotopiques où les personnages se défont de leur identité pour se reconnecter à leur subjectivité queer et à leur corps de sensations (une porosité qui est souvent accentuée par la consommation de drogues et l’échange de fluides) ? N’y a-t-il pas aussi une forme de care dans cet être-ensemble impersonnel que João Florêncio nomme « the ethics of becoming-pig », soit « [a] life-affirming [...] sexual ethics [...] [that] often involve practices of care and communion » (2020 : 159) ? Serait-ce donc dire que le care queer n’est pas conditionnel à une conception identitaire de la communauté, mais plutôt à une expérience alternative de communion (Caron, 2015 : 194-195) ?

Par cet atelier, nous vous convions à explorer les différentes manifestations de ce qu’on pourrait considérer comme du care dans la littérature gaie contemporaine. Vos communications pourraient dès lors aborder les sujets suivants :

·        Le care queer comme résistance à la normativité

·        Care, sexualité et subjectivité gaie

·        Les lieux hétérotopiques comme espaces de care

·        Care et prise de risque/autodestruction

·        Care et désidentité

·        Care et pratiques ascétiques

·        Care et abjection

·        Care et chemsex

·        Care et communion

·        Redéfinition des frontières entre bienveillance et malveillance dans la littérature gaie

·        Les frontières du care dans les relations intimes et sexuelles

·        Le care et la vulnérabilité

Bibliographie

Brugère, Fabienne, L’Éthique du « care », Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2014 [2011].

Caron, David, Marais gay, Marais juif. Pour une théorie queer de la communauté, Paris, EPEL, 2015 [2009].

Carrière, Marie, « Mémoire du care, féminisme en mémoire », Women in French Studies, dans Dawn M. Cornelio, Margot Irvine et Karin Schwerdtner (dir.), Femmes et mémoire. Women in French Studies: Select Essays from Women in French International Conference (2015), s.l., Women in French, 2016, p. 205-217.

Florêncio, João, Bareback Porn, Porous Masculinities, Queer Futures. The Ethics of Becoming-Pig, New York, Routledge, 2020.

Garrau, Marie, Care et attention, Paris, PUF, coll. « Care Studies », 2014.

Garrau, Marie, et Alice Le Goff, Care, justice et dépendance. Introduction aux théories du Care, Paris, PUF, coll. « Philosophies », 2010.

Gefen, Alexandre, Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Paris, Éditions José Corti, 2017.

Gilligan, Carol, Une Voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, coll. « Champs essais », 2008 [1982].

Halperin, David, Que veulent les gays ? Essai sur le sexe, le risque et la subjectivité, Paris, Éditions Amsterdam, 2010 [2007].

Le Goff, Alice, Care et démocratie radicale, Paris, PUF, coll. « Care Studies », 2013.

Molinier, Pascale, Sandra Laugier et Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite bibliothèque Payot », 2009.

Paperman, Patricia, Care et sentiments, Paris, PUF, coll. « Care Studies », 2013.

Petit, Emmanuel, L’Économie du care, Paris, PUF, coll. « Care Studies », 2013.

Ricot, Jacques, Du bon usage de la compassion, Paris, PUF, coll. « Care Studies », 2013.

Tronto, Joan, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte, 2009.

Tronto, Joan, Le Risque ou le care ?, Paris, PUF, coll. « Care Studies », 2012.

Le colloque annuel 2025 de l’APFUCC sera en personne. Les communications devront être en français.

L’adhésion à l’APFUCC est requise pour participer au colloque. Il faut également régler les frais de conférence de l’APFUCC. De plus amples informations seront envoyées à ce sujet. 

Vous ne pouvez soumettre qu’une seule proposition de communication au colloque, sauf si vous soumettez également pour un atelier conjoint en tant que membre d'une autre association, ou si vous soumettez une proposition pour l'atelier de développement professionnel (atelier 1).

Veuillez soumettre votre proposition (titre, résumé de 250-300 mots, adresse, affiliation et notice bio-bibliographique de 150 mots) directement sur le site Fourwaves avant le 15 décembre 2024.

Pour soumettre sur le site, rendez-vous sur la page principale (https://event.fourwaves.com/fr/colloque2025apfucc/pages) puis cliquez sur « soumissions ».