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"Rien que le battement d’une absence de bruit". Rythme, souffle et silence dans les arts (Angers)

Publié le par Marc Escola (Source : Marion Duquerroy)

 Appel à contributions

« Rien que le battement d’une absence de bruit »

Rythme, souffle et silence dans les arts 

Colloque organisé à l’Université catholique de l’Ouest-Angers, du 13 au 14 mars 2025

Dans Sphère (1977), le poète breton Eugène Guillevic écrit ces vers : « Pas d’aile, pas d’oiseau, pas de vent, mais la nuit, / Rien que le battement d’une absence de bruit. » Dire le silence et son imperceptibilité par la cadence de l’aile spectrale confère leur poésie à ces quelques mots. C’est ainsi par le rythme et la temporalité que nous proposons d’appréhender l’insaisissable silence : la mesure, le tempo, la ponctuation, l’intervalle, la chute. La réflexion peut également se mener en creux en prenant en compte les seuils du silence, ceux où les bruits, les sons, les voix se logent – frontières encore qui conditionnent les manifestations du silence, espaces de tension, de relâche, d’attente et de saturation. 

Ce colloque a l’intention de mettre les intervenants et intervenantes, comme le public, dans des situations plurielles, tant par la temporalité choisie – un cycle de 24 heures – que par la diversité formelle des événements. Au cours d’une journée complète, rythmée à la manière des heures monastiques, nous invitons à faire l’expérience d’une forme de distension temporelle articulant paroles et silences. Fil tiré de la thématique de l’axe 2 du CHUS « Tempo et temporalité du silence », ce colloque singulier convoque aussi bien les pratiques de la recherche-création dans ses formes expérientielles, que les communications de format plus classique, ouvrant à la réflexion autour des trois axes déclinés ci-dessous.

  • Performer le silence 
    Appréhender le silence suppose une approche négative[i], c’est-à-dire le définir par ce qu’il n’est pas : « absence de bruit » ou de son, absence de parole. Dans les mots employés pour le désigner, toujours une marque négative apparaît : in-audible, in-ouï, in-dicible. La performance, a contrario, impose une présence, sensiblement perceptible, et en cela positive. « Performer le silence » relèverait donc a priori d’une antithèse, c’est-à-dire d’une conciliation impossible entre deux idées en apparence opposées. Il est des moyens cependant de saisir et signifier le silence, dont John Cage fut bien sûr l’un des premiers expérimentateurs modernes. Aussi, nous faut-il interroger les tentatives artistiques qui ont tâché de performer le silence ; mais cet axe invite aussi les performeuses et performeurs à rendre au silence sa présence, par le rythme, par le souffle, par la figuration ou par le corps.  
  • (Re)sentir le silence 
    « La bonne manière de savoir si un tableau est mélodieux est de le regarder d’assez loin pour n’en comprendre ni le sujet ni les lignes. S’il est mélodieux, il a déjà un sens[ii]. » Ainsi Baudelaire appelle, lors du Salon de 1846, à une plus grande autonomie de la peinture vis-à-vis de la nature en s’appuyant sur les qualités émancipatrices du médium. Ce dépouillement amène d’autres manières de (re)sentir l’œuvre, en interrogeant sa mélodie ou son silence. Poursuivant notamment la réflexion de Kandinsky dans Du spirituel dans l‘art, et souhaitant que la création se détache du bruit théorique devenu légion dès le début des années 1960, Susan Sontag publie en 1967 The Aesthetics of Silence[iii], appelant également à une forme de mutisme de l’artiste. Les mots, selon la théoricienne, provoqueraient une hyperactivité de la conscience au détriment des autres sens. Faire silence par et pour les œuvres stimulerait alors la vue, l’ouïe, le toucher, etc. Cela ne va pas sans un appareillage militant du silence qui, prouvant ainsi sa matérialité, peut être performé : une politique de la négation, en somme. 

Cet axe invite toutes et tous à penser le silence et la question de sa mesure (temporelle/formelle/visuelle) comme une expérience plastique et esthétique. De la musicalité au bruit émanant des œuvres, il faudra discuter de leur mise en dormance, par intermittence ou prolongée, et des effets produits par l’artiste pour/par le spectateur.    

  • (D)écrire le silence 
    Le silence comme manifestation sonore et élément constitutif du langage – ponctuation, respiration, suspension – existe aussi sous forme graphique, dès lors qu’il est question d’une textualité au sens large ; qu’il s’agisse de littérature, de musique ou de toute autre forme d’expression sonore mais fixée par l’écrit. La mise en signe du silence est une matérialisation, un geste montrant l’arrêt, la suspension momentanée ou non, du flux sonore qui est sa raison première. On sait effectivement combien la ponctuation usuelle d’un texte non seulement signale la place des interstices, mais peut aussi en décrire la qualité et l’éloquence. Le silence tel qu’il s’écrit est une manière d’apprivoiser, et parfois de circonscrire, un vide nécessaire à l’appréhension et la signification du langage. 

Cet axe invite ainsi à explorer le silence dans sa dimension graphique et sémiologique : comment rendre compte par l’écriture d’une phénoménologie du silence, de sa qualité, de sa durée, de ses effets ? Sous quelles formes inscrire l’absence de son et quel sens donner à ces gestes graphiques ? Quelles sont leurs limites pour rendre compte de l’expérience du silence ? 

Les propositions sont à envoyer avant le 2 décembre 2024 à l’adresse colloque-silence@uco.fr

Elles se composeront d’un résumé de la proposition (entre 1500/2000 caractères, espaces compris) et d’une courte biographie. Elles devront également préciser l’axe thématique dans lequel elles s’inscrivent ainsi que la forme envisagée (communication, entretien, performance, lecture, écoute, projection, workshop, etc.). 

Lieu du colloque : Université catholique de l’Ouest, 3 place A. Leroy, 49000, Angers.

Comité d’organisation : Marion Duquerroy, Jocelyn Godiveau, William McKenzie, Anne-Zoé Rillon-Marne 

Comité scientifique : Mathilde Bataille (Université d’Angers) Marion Duquerroy (UCO Angers), Jocelyn Godiveau (UCO Angers), Patrick Lang (Université de Nantes), William McKenzie (UCO Angers), Anne-Zoé Rillon-Marne (UCO Angers), Sarah Troche (Université de Lille), Mélissa Van Drie (University of Copenhagen)

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Bibliographie sélective :

Armand, Claudine (dir.). Voix et silence dans les arts : passages, poïèsis et performativité. Nancy, Presses universitaires de Lorraine, 2019. 

Bindeman, Steven. Silence in Philosophy, Literature, and Art. Leiden, Brill, 2017.

Boulègue, Laurence, et al. Silence et sagesse. De la musique à la métaphysique : les anciens Grecs et leur héritage. Paris, Classiques Garnier, 2014.  

Boutang, Adrienne et Nathalie Pavec (dir.). Le silence dans les arts visuels. Paris, Michel Houdiard éditeur, 2016.

Cage, John. Silence : conférences et écrits. Trad. Vincent Barras, Genève, Contrechamps : Héros Limite, 2003.

Corbin, Alain. Histoire du silence, de la Renaissance à nos jours. Paris, Albin Michel, 2016.

Debiais, Vincent. Le silence dans l’art : liturgie et théologie du silence dans les images médiévales. Paris, Cerf, 2019.

Doctor, Jenny, et Nicky Losseff (dir.). Silence, Music, Silent Music. Londres, Routledge, 2007.

Drathen, Doris von. Vortex of Silence: Proposition for an Art Criticism beyond Aesthetic Categories. Milan, Charta, 2004.

Dronke, Peter. « Silence sacré et silence profane dans la poésie médiévale. » dans Sacred and profane thought in the Early Middle Ages. Florence, Sismel, 2016, p.65-79.

Le Breton, David. Du Silence. Essai d’anthropologie. Paris, Métailié, 1997.  

Picard, Max. Le Monde du silence. Genève, Éditions La Baconnière, reéd. 2019, 1e éd. 1953.

Rougé, Bertrand (dir.). Ellipses, blancs, silences, actes du colloque du CICADA, Pau, publications de l’université de Pau, 1992.

Silence, cat. exp., Houston, The Menil collection, 2012.

« Silence », vol. 1, Paris, L’Ecarquillé, 2023.

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Image : Berenice Abbott, The Wing, 1946, épreuve à la gélatine argentique, 48,7 x 38 cm.

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[i] Voir Pierre Caye, « Introduction » dans Boulègue Laurence et al., Silence et sagesse. De la musique à la métaphysique : les anciens Grecs et leur héritage, Paris, Classiques Garnier, 2014, p.7 et sq. 

[ii] Charles Baudelaire, Salon de 1846, « De la couleur », Œuvres complètes II, Paris, Gallimard, 1954, p.614, 615.

[iii] Sontag Susan, « The Aesthetics of Silence », [1967], in Styles of Radical Will, Londres, Secker & Warburg, 1969.