La bande dessinée, un objet culturel pour l’enseignement des langues : corpus, dispositifs, représentations (revue Comicalités)
Appel à contributions pour la revue Comicalités : "La bande dessinée, un objet culturel pour l’enseignement des
langues : corpus, dispositifs, représentations"
Dossier thématique dirigé par
Justine Favre (Université de Lausanne) et Donatienne Woerly (Diltec, Université Paris Sorbonne)
Modalités de soumission
Le présent appel à communication est ouvert à tou·te·s les chercheuses et chercheurs, quel que soit leur statut et leur origine. Nous les invitons à nous répondre e nous soumettant deux documents :
• Une courte notice bio-bibliographique.
• Un texte anonyme de maximum 3000 caractères, espaces compris.
Ce résumé présentera le positionnement théorique et le corpus retenus, ainsi que les principales
conclusions attendues.
Les propositions seront évaluées de façon anonyme par le comité éditorial de la revue : son acceptation vaudra encouragement et suggestions quant à un article d’une taille comprise entre 25 000 et 50 000 signes, espaces compris. Elle devra nous parvenir avant le 1er février 2025 aux adresses électroniques suivantes : justine.favre@unil.ch et donatienne.woerly@sorbonne-nouvelle.fr.
Les articles complets seront à rendre pour le 1er mai 2025. Les propositions ainsi que les articles complets peuvent être rédigés en français ou en anglais.
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Argumentaire
Si l’histoire des liens entre bande dessinée et éducation remonte au moins aux pratiques pédagogiques de Rodolphe Töpffer (Groensteen 2014 ; Groensteen et Peeters 1994), puis s’est prolongée dans certains périodiques pour la jeunesse (Kohn 2022), ces liens sont longtemps demeurés conflictuels. Les critiques proférées par les « professionnels de l’enfance » (Morgan 2019, 59) l’illustrent fort bien, et contribueront à l’adoption de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Ainsi la bande dessinée, du fait qu’elle s’est longtemps destinée en majorité à un public enfantin ou populaire, « s’inscrit dans une tradition de la didactique par l’image » (Kohn 2022, 199) dès la fin du XIXe siècle, mais ne commence à acquérir une légitimité scolaire que dans le dernier quart du XXe siècle (Roux 1970 ; Rouvière 2019). Si, du moins en France, la bande dessinée est aujourd’hui définitivement entrée dans les programmes de l’Éducation nationale (Depaire
2019), de nombreuses problématiques occupent les didacticien·nes, autour de la dimension multimodale et médiatique de la bande dessinée, des carences de formations initiales et continues pour les enseignant·es et formateur·ices, ou encore des dilemmes pédagogiques propres au médium (Schaer 2023). La bande dessinée demeure ainsi un « objet disciplinaire mal identifié » (Blanchard et Raux 2019).
Qu’en est-il dans les contextes éducatifs plurilingues que sont les classes de français langue étrangère et seconde et plus largement de langues, en contexte scolaire ou d’enseignement supérieur ? On retrouve des extraits de bandes dessinées dans les manuels de langue dès les
années 1980 (Giroud 2021), dans un contexte méthodologique où l’usage de documents authentiques pour renforcer la dimension praxéologique de la communication (Giroud 2021) devient prégnant. Dès lors, la bande dessinée, en tant que support didactique, trouve plusieurs usages en classe de langue (Blanco-Cordon 2012), comme l’acquisition de compétences d’analyse (littéraires et multimodales), mais aussi de compétences communicatives, métaculturelles et interculturelles (Rouvière 2019). L’introduction de ces nouveaux corpus dans les supports didactiques n’est pas surprenante : la didactique des langues et des cultures (DLC) convoque des formes culturelles plurielles et se distingue de l’enseignement scolaire de la langue maternelle par une moindre disciplinarisation, de sorte que les usages de la BD, en tant que qu’« imaginaire narratif d’une collectivité » (Rouvière 2019) sont perçus comme moins transgressifs. Point de hors cadre lorsque le cadre est souple. La BD, parce qu’elle s’empare notamment des questionnements et des enjeux de nos sociétés plurilingues et pluriculturelles contemporaines (Ollivier 2011 ; Ben-Rafael et Ben-Rafael 2012) apparaît comme une ressource riche pour la classe, notamment dans sa dimension anthropologique ou au travers d’autobiographies de locuteur·ices plurilingues (Woerly 2023). Considérée, dans sa dimension textuelle, comme un espace de figuration de la langue parlée (Pustka 2022), elle peut également permettre de travailler les variations du français, du point de vue diastratique, diaphasique ou diatopique (Giaufret 2021). Cependant, la prise en compte des spécificités du médium reste à approfondir : lorsqu’on envisage la BD comme « document authentique », ou comme « échantillon linguistique », on passe à côté de la complexité de la polyphonie multimodale qui la parcourt. C’est au développement de ces travaux, dans le cadre de l’étude des pratiques de lecture et de création plurilingues et de leurs enjeux didactiques, que s’intéresse ce dossier thématique. Son positionnement est résolument pluridisciplinaire, afin d’envisager la production de savoirs didactiques en amont et en aval des pratiques. En amont, les enseignant·es et les chercheur·euses ont besoin de s’approprier de nouveaux corpus : les perspectives littéraires, comparatistes et linguistiques apportent une analyse préalable des œuvres permettant leur didactisation. Les œuvres ainsi abordées peuvent notamment être mobilisées dans le cadre de la formation des futurs enseignant·es. En aval, l’analyse des dispositifs didactiques, l’observation des pratiques et la réception par les apprenant·es contribuent également aux connaissances. Dans ce cadre, le dossier pourrait permettre d’ouvrir le dialogue avec des spécialistes de la bande dessinée en mesure d’apporter des corpus plus confidentiels ou demandant une expertise particulière, pour penser leur rôle éventuel dans l’enseignement des langues-cultures.
L’objectif de ce dossier sera double. Il questionnera d’abord la place de la bande dessinée dans l’enseignement des langues-cultures (premières, secondes ou étrangères, à tous les niveaux de l’enseignement, du primaire au supérieur) en tant qu’objet culturel. Quels sont ses apports pour la didactique des langues et des cultures en relation à sa dimension socio- et interculturelle ? Comment s’inscrit-elle dans la didactique de la littérature en langues secondes et étrangères
(L2), et à quelles conditions ? Une autre dimension invite à une prise en compte de la matérialité du médium, celle des affordances didactiques de la bande dessinée, au sens où certaines propriétés de la bande dessinée invitent à des usages spécifiques en contexte éducatif. Il s’agira aussi, dans une perspective médiatique, littéraire et linguistique, d’aborder par le prisme de la bande dessinée différentes problématiques liées à la pluralité des langues et des
cultures. De quelle manière les bandes dessinées intègrent-elles le changement de langue (alternance codique, traduction, plurilinguisme de l’iconotexte, du narratif, des bulles), les contacts de langue et les variations des langues ? Reflètent-elles des pratiques langagières plurilingues ou les symbolisent-elles ? Comment l’héritage et le parcours linguistique (plurilingue, translingue…) des auteur·ices s’intègrent-ils à leur création ? Les bandes dessinées
sont-elles de ce fait un outil privilégié pour une didactique du plurilinguisme, et pour prendre en charge dans l’enseignement des langues premières, étrangères et secondes la dimension multiculturelle des sociétés contemporaines ? Dans une perspective interdisciplinaire, en quoi les approches littéraires, linguistiques et comparatistes aident-elles à définir et analyser des corpus pour une réflexion sur le plurilinguisme et l’interculturalité ? Ces deux objectifs ne sont pas indépendants, mais viennent dialoguer, voire se confronter l’un avec l’autre : ainsi, la question de la familiarisation au français parlé que peut permettre l’étude de bandes dessinées s’appuie à la fois sur l’étude linguistique et littéraire de corpus bédéistiques et sur une observation des pratiques d’enseignement. De même, la dimension plurilingue de certaines œuvres offre à la fois un outil de réflexion et un corpus didactique.
Axes
Axe 1 : Plurilinguisme et interculturel dans la bande dessinée
Quelles scénographies de la pluralité des langues-cultures les bandes dessinées mettent-elles en œuvre (Suchet 2014) ? En quoi aident-elles à comprendre les enjeux des sociétés plurilingues et pluriculturelles contemporaines (Ollivier 2011 ; Ben-Rafael et Ben-Rafael 2012) ? Cette partie se donne comme but épistémique de proposer des analyses d’œuvres ou de corpus d’œuvres susceptibles d’être enseignés ou de favoriser la compréhension des enjeux plurilingues ou pluriculturels multimodaux. Elle intègrera des propositions portant sur des corpus d’œuvres hétérolingues (Suchet 2014). La bande dessinée, parce qu’elle associe narration, dessin et texte, comporte une large palette de représentations des contacts de langue, des pratiques plurilingues, de la variation linguistique et de l’interculturel. Quelles sont les manières propres à la bande dessinée de faire apparaître le plurilinguisme ? Quels usages narratifs du plurilinguisme mobilise-t-elle ? Comment décrire les figurations des rapports entre les langues ? Qu’en est-il de la sémiographie des langues en tant que systèmes graphiques ?
Axe 2 : La bande dessinée en didactique des langues et des cultures
Quels sont les usages didactiques de la bande dessinée dans les classes de langue première (Raux 2023), seconde ou étrangère (Pustka 2022) ? Comment ces usages répondent aux enjeux médiatiques multimodaux (Hamez 2022) plurilingues et pluriculturels dans la classe de langue ? En tant que ressource multimodale, la bande dessinée possède un potentiel avéré pour la didactique des langues et le développement de la littératie multimodale (Lebrun, Lacelle, et Boutin 2012, Schaer 2023). Quel est son apport pour développer des compétences langagières et littératiées, et quel est son potentiel pour les compétences en littérature ? Ces propositions pour l’enseignement/apprentissage et la formation des enseignant·es peuvent par exemple faire écho à la pratique de la biographie langagière, relever d’études des variations du français pour de futur·es enseignant·es ou de réflexions sur l’enseignement-apprentissage de la langue parlée, ou peuvent mettre en jeu des pratiques créatives pour l’acquisition de la L2.
Axe 3 : bande dessinée et variation, focus sur le français parlé
En tant que transposition graphique et textuelle de phénomènes appartenant au domaine de l’oralité, la bande dessinée offre-t-elle une bonne médiation pour l’enseignement du français parlé ? Des enseignant·es de langue s’appuient sur le caractère dialogique de la bande dessinée pour
aborder certaines formes de la variation du français. Comment en tirer le meilleur parti, que ce soit par le choix des corpus ou l’encadrement des documents dans la classe ? Quels sont les éléments lexicaux, morphosyntaxiques, phonologiques ou discursifs représentés dans la bande dessinée que l’enseignement des langues gagnerait à prendre en compte ? La figuration du français parlé ne relève-t-elle pas de l’hétérolinguisme en tant que mise en scène des variations de la langue au sein d’une même langue (Grutman 1997) ? Les propositions aborderont ces questions dans une perspective didactique ou linguistique.
Bibliographie
Ben-Rafael, Miriam, et Eliezer Ben-Rafael. 2012. « Plurilingualism in Francophone Comics ». In Linguistics and the Study of Comics, édité par Frank Bramlett, 142-62. London : Palgrave Macmillan UK. https://doi.org/10.1057/9781137004109_7.
Blanchard, Marianne, et Hélène Raux. 2019. « La bande dessinée, un objet didactique mal identifié ». Tréma, no 51 (mars). https://doi.org/10.4000/trema.4818.
Blanco-Cordon, Tatiana. 2012. « Éléments de réflexion pour l’exploitation du récit de bande dessinée dans la pratique de l’espagnol langue étrangère : Estraperlo y tranvía d’Alfonso López ». In Bande dessinée et enseignement des humanités, édité par Nicolas Rouvière, 349-66. UGA Éditions. https://doi.org/10.4000/books.ugaeditions.1269.
Depaire, Colombine. 2019. État des lieux : La place de la Bande dessinée dans l’enseignement. Syndicat national de l’édition.
Giaufret, Anna. 2021. Montréal dans les bulles : représentations de l’espace urbain et du français parlé montréalais dans la bande dessinée. Les Voies du français. Québec : Presses de l’Université Laval.
Giroud, Anick. 2021. « La bande dessinée dans les manuels de FLE (1919-2020) ». In Enseigner la bande dessinée comme (de la) littérature, édité par Raphaël Baroni et Gaspard Turin. Vol. 4. Transpositio.
Groensteen, Thierry. 2014. M. Töpffer invente la bande dessinée. Bruxelles : Les Impressions nouvelles.
Groensteen, Thierry, et Benoît Peeters. 1994. Töpffer, l’invention de la bande dessinée. Collection savoir Sur l’art. Paris : Hermann.
Grutman, Rainier. 1997. Des langues qui résonnent : l’hétérolinguisme au XIXe siècle québécois. Nouvelles études québécoises. Québec : Fides.
Hamez, Marie-Pascale, éd. 2022. « Littérature et multimodalité en classe de langue. Quels enjeux ? Quelles pratiques ? », numéro spécial, Les Langues Modernes, 4/2022.
Kohn, Jessica. 2022. Dessiner des petits mickeys : une histoire sociale de la bande dessinée en France et en Belgique, 1945-1968. Histoire contemporaine 33. Paris : Éditions de la Sorbonne.
Lebrun, Monique, Nathalie Lacelle, et Jean-François Boutin. 2012. La littératie médiatique multimodale : De nouvelles approches en lecture-écriture à l’école et hors de l’école. Québec : Presses de l’Université du Québec. https://doi.org/10.2307/j.ctv18pgvfz.
Morgan, Harry. 2019. « De l’éradication de l’“illustré gangster” à l’analyse de bandes dessinées en classe (1929-2009) : ruptures et continuité ». In Bande dessinée et enseignement des humanités, édité par Nicolas Rouvière. Didaskein. Grenoble : Éditions Université Grenoble Alpes.
Ollivier, Gilles. 2011. « L’immigration dans la BD française ». Hommes & migrations, no 1294 (novembre), 120-23. https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.586.
Pustka, Elissa, éd. 2022. La bande dessinée : perspectives linguistiques et didactiques. Romanistische Fremdsprachenforschung und Unterrichtsentwicklung. Tübingen : Narr Francke Attempto.
Raux, Hélène. 2023. La bande dessinée en classe de français. Presses Universitaires de Rennes. Paideia. Rennes.
Rouvière, Nicolas. éd. 2019. Bande dessinée et enseignement des humanités. Didaskein. Grenoble : Éditions Université Grenoble Alpes.
Roux, Antoine. 1970. La bande dessinée peut être éducative. Paris : Éditions de l’école.
Schaer, Camille. 2023. « Le rapport à la bande dessinée des enseignant·e·s de français au secondaire suisse romand : conceptions et pratiques en construction ». Lausanne : Université de Lausanne.
Suchet, Myriam. 2014. L’imaginaire hétérolingue : ce que nous apprennent les textes à la croisée des langues. Paris : Classiques Garnier.
Woerly, Donatienne. 2023. « Représentations d’un plurilinguisme conflictuel dans l’album autobiographique l’arabe du futur de Riad Sattouf ». Glottopol, no 38 (janvier). https://doi.org/10.4000/glottopol.3381.
Woerly, Donatienne. 2024. « Le continuum hétérolingue dans les bandes dessinées de la migration : de l’effet de réel à l’expérience plurilingue ». Language Education and Multilingualism – The Langscape Journal, 2024, 7, pp.14-29. ⟨10.18452/30829⟩.