Essai
Nouvelle parution
Alain Badiou, Pascale Fautrier, La question Sartre

Alain Badiou, Pascale Fautrier, La question Sartre

Publié le par Marc Escola

De l’histoire ancienne, Sartre ? Bien au contraire. Parmi les grandes figures de la pensée du XXe siècle, peu ont été aussi mal comprises. Souvent caricaturé comme le représentant d’un extrémisme politique désormais dépassé, il est au contraire celui qui, parmi les intellectuels de son époque, a tenu de la manière la plus rigoureuse la barre d’une pensée refusant de renoncer à l’horizon de l’émancipation de tous. À l’heure où les forces réactionnaires les plus terribles semblent ressortir des poubelles de l’histoire pour anéantir les derniers restes de l’histoire du combat pour l’égalité et le bonheur, il est temps de se remettre à étudier l’itinéraire et les idées d’un homme qui aura passé sa vie à combattre tous les fascismes. Depuis toujours, la pensée de Sartre se situe au cœur de celles d’Alain Badiou et Pascale Fautrier. Ensemble, dans un kaléidoscope de textes, ils rectifient les interprétations malveillantes et restituent l’irréductible cœur philosophique et politique d’un penseur plus que jamais pour notre temps.

On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article de Marc Lebiez sur cet ouvrage :

"Le philosophe rouge qu’Alain Badiou se plaît à être avoue avec délice avoir été foudroyé à dix-sept ans par la lecture de l’Esquisse d’une théorie des émotions. La philosophie lui « est soudainement apparue, en février 1954, comme peut le faire de la conviction religieuse la venue d’un ange ». Pourtant, ce n’était pas alors ce livre de Sartre qui avait le plus de chances de séduire un lycéen plus attiré par la scientificité mathématique que par la thématique de l’angoisse ou la description de la contingence. Ce petit livre austère eut donc sur lui l’effet d’une révélation, non de quelque religion, mais de la philosophie elle-même. Il fut l’origine aussi de sa manière propre d’être communiste.

Badiou n’a jamais été sartrien au sens d’une adhésion globale à cette vision du monde et des choses, mais il se reconnaît dans un certain nombre de thèmes comme la conception de l’engagement ou ce que disait de la conscience l’auteur de L’être et le néant. Le Sartre qui l’intéresse le plus fut celui du Diable et le Bon Dieu puis de la Critique de la raison dialectique, sa volonté d’approcher le monde par la voie de la philosophie plutôt que par la révolte pure ; sa vision quasi pascalienne de l’engagement ; sa réflexion sur la violence politique, la dictature, la terreur.

L’ouvrage qui nous parvient cet hiver juxtapose deux ensembles de nature différente. D’abord, trois conférences de Badiou consacrées à Sartre et une autre présentant « l’idée communiste » sur un mode platonicien. Ensuite, un ouvrage de Pascale Fautrier se livrant à une analyse approfondie des évolutions théoriques de Badiou. Cette étude montre une bonne connaisseuse de l’œuvre sartrienne et sait être claire et éclairante. Mais elle ne contredit pas l’intuition du lecteur selon laquelle l’objet de cet ouvrage est plutôt la question Sartre pour Badiou. Et la réponse à cette question est assez simple à formuler par le lecteur, même si elle fut sans doute délicate aux yeux de l’intéressé : celui-ci lit Sartre comme un autre lui-même, celui qu’il voudrait être. Non qu’il approuve tous ses propos, et il peut même afficher un clair désaccord, comme à propos des mathématiques ou avec l’individualisme ; mais l’auteur de la Critique de la raison dialectique, le combattant anticolonialiste, apparaît comme un modèle. Ce n’est pas un mince compliment que de créditer Sartre de « trente années d’exactitude dans la révolte » qui « ne sont comparables dans notre histoire littéraire qu’à Voltaire, qu’à Rousseau, qu’à Victor Hugo ». Quand on a dit cela, on ne va pas mégoter sur des divergences que chacun devine : l’idéal sartrien subsiste." — Marc Lebiez