Édition
Nouvelle parution
Gustave Roud, Passage du peintre. Écrits sur l'art 1923-1973

Gustave Roud, Passage du peintre. Écrits sur l'art 1923-1973

Publié le par Marc Escola

Préface de Célia Houdart

Dès les années 1920, les arts font voyager le jeune Gustave Roud (1897-1976) hors de la campagne vaudoise où il vit: il va voir des fresques de Masolino en Lombardie, une exposition de René Auberjonois à Zurich, les toiles de Poussin au Louvre. Au fil des décennies, il décrypte aussi bien la peinture de Cézanne et les gravures de Félix Vallotton que les photographies de Suzi Pilet, toujours guidé, comme l’a souligné Philippe Jaccottet, par «sa pudeur, son tact et sa capacité d’admiration».

Poète, Gustave Roud (1897-1976) est l’auteur d’une œuvre rare. Les trois volumes d’Écrits, publiés par Philippe Jaccottet en 1978, qui rassemblent l’ensemble de son œuvre poétique, sont de plus en plus lus. Ses textes poétiques répondent à des préoccupations contemporaines via une écriture d’une grande pureté classique : L’imaginaire roudien séduit les amateurs de poésie mais intéresse aussi les champs suivants : écocritique, géographie littéraire, études sur le paysage, ou encore queer studies.

Extrait

C’est l’art d’un magicien de parfaite probité. «Peut-on imaginer métier plus honnête?» nous disait un jour Auberjonois qui venait de copier un fragment de l’Eliézer au Louvre. Et cela vaut pour toute l’oeuvre de Poussin. Transparence… sera-ce pour nous le mot-clé ? Oui, la contagion de Poussin est une contagion de transparence. Un souvenir ancien me le redit sans équivoque possible: dans une salle du Louvre – un Louvre d’il y a vingt-cinq ans, hélas! – où des hautes verrières pleuvait au lieu de jour une sorte d’impalpable cendre, cet ingénu debout devant le Phocion qui émerge lentement de la pénombre, un ingénu qui s’abandonne à la contemplation, mais à une contemplation encore impure. Fraîchement tiré des rues, le cerveau brouillé de leur vacarme récent, le corps immobile, mais encore habité par le rythme de la marche, il voit naître devant lui sur cet espace de toile peinte, entre les rives du cadre d’or, un monde singulier qui se précise, s’ordonne et se colore: l’arc sur le ciel d’un grand arbre incurvé, de multiples architectures grises et roses, maisons, temples et tombeaux ; d’autres architectures de feuillages que des arbres élèvent avec noblesse au-dessus du miroitement de longues eaux luisantes et calmées; puis des hommes apparaissent, les porteurs de la civière où gît la dépouille du guerrier, un berger parmi ses ouailles, la théorie, sous les murs de la cité, de processionnaires imperceptibles… Un monde clos et parfait, qui n’est pas celui du rêve, car il n’en possède ni les surprises hagardes, ni les failles de ténèbres, ni la fugacité. Qui ne demeure pas non plus un reflet du réel: loin d’en être le double, il en devient comme le mystérieux achèvement.