![Recompositions de la sémiosphère. Dynamiques d’innovation dans la littérature brésilienne au seuil du XXe s. (16e Congrès allemand des lusistes, Munich)](https://www.fabula.org/actualites/documents/125684_c2268c70617a81dda76a764022bf63d6.png)
Recompositions de la sémiosphère. Dynamiques d’innovation dans la littérature brésilienne au seuil du XXe s. (16e Congrès allemand des lusistes, Munich)
Les histoires de la littérature brésilienne ont traditionnellement été écrites à partir de critères développés par les littératures européennes. Cette perspective se justifie dans la mesure où la circulation des littératures européennes, et notamment française, dans le Brésil du XIXe siècle a été considérable. Ainsi, on peut lire dans un ouvrage de référence allemand que « le romantisme, le réalisme ou le naturalisme et le mouvement parnassien se développent [au Brésil] plus que dans d’autres pays d’Amérique latine et s’adaptent en fonction du caractère national [...] et de la voie de médiation française dominante » [1]. Cependant, en présentant le réalisme et le naturalisme brésiliens comme un produit d’importation, dont les « idoles stylistiques sont Flaubert, Zola et Eça de Queirós » [2], cet ouvrage rejoint de nombreux autres qui tendent à réduire la littérature brésilienne antérieure au modernisme à un dérivé des littératures européennes.
Nous pensons qu’il est nécessaire de continuer à repenser les relations littéraires entre le Brésil et l’Europe du XIXe siècle. C’est pourquoi nous proposons de concevoir l’espace littéraire brésilien comme une « sémiosphère », c’est-à-dire un système de signes à la structure interne complexe qui se recompose sans cesse à travers les transferts culturels [3]. En effet, aux frontières internes et externes de cette sémiosphère, il existe un processus constant de négociation, de traduction et d’appropriation des formes et des contenus littéraires. En plaçant le Brésil au centre, il sera possible de comprendre comment les apports d’autres contextes culturels sont accueillis et transformés au contact des codes propres au pays.
Sur la base de cette hypothèse, nous voulons nous concentrer sur les dynamiques d’innovation dans la littérature brésilienne au seuil du XXe siècle. Nous entendons ainsi contribuer à la réécriture de l’histoire littéraire brésilienne de l’époque, traditionnellement marquée par le préjugé d’une imitation des modèles européens. Nous valoriserons l’œuvre d’auteurs brésiliens marginalisés ou oubliés et relirons l’œuvre d'auteurs reconnus à la lumière de recherches plus récentes. Nous établirons également les points de contact et de divergence entre la littérature brésilienne et les publications étrangères.
La littérature brésilienne au seuil du XXe siècle nous semble particulièrement intéressante pour diverses raisons liées au contexte politique, social et culturel dans lequel elle a vu le jour. À cette époque, un vaste processus de réorganisation de la sémiosphère brésilienne est en cours, sous l’impulsion de différents facteurs. Avec la proclamation de la République en 1889, un nouveau modèle politique est mis en place. L’abolition de l’esclavage, l’année précédente, a accéléré la transformation économique du pays, sans toutefois mettre fin à la discrimination raciale. Sur le plan idéologique, on assiste au triomphe du positivisme, rapidement concurrencé par d’autres philosophies, comme celle d’Arthur Schopenhauer.
En 1990, Roberto Schwarz a parlé de la « volubilité » du style littéraire de Machado de Assis [4], auteur que l’histoire littéraire traditionnelle avait présenté comme le représentant ultime du réalisme brésilien. Ce terme reconnaît cependant l’œuvre complexe et diversifiée de l’auteur des Memórias póstumas de Brás Cubas (1880), ainsi que l’aisance avec laquelle il combine et développe différents styles littéraires. À notre avis, ce terme peut également décrire l’œuvre d’autres auteurs de l'époque.
Plusieurs chercheurs ont participé à la réhabilitation du naturalisme brésilien, longtemps resté dans l’ombre de la littérature moderniste. Par exemple, Pedro Paulo Catharina et Leonardo Mendes ont attiré l’attention sur la singularité de l’œuvre de Figueiredo Pimentel, auteur de la Belle Époque de Rio qui, avec son roman O aborto (1893), a écrit un véritable best-seller [5]. Malgré le grand effort déjà accompli, la réévaluation du naturalisme reste inachevée. Que l’on pense à Inglês de Sousa, auteur du Pará peu étudié aujourd'hui, peut-être en raison de la distance entre l’espace de ses récits et Rio de Janeiro, le centre politique et culturel du Brésil de l’époque.
D’autres noms de cette période, considérés comme « dilettantes » [6], ont été relégués à l’arrière-plan de l’histoire littéraire pendant longtemps. Pensons, par exemple, à l’écrivaine Júlia Lopes de Almeida, dont les romans, les nouvelles et les chroniques, qui traitent des défis des femmes dans le pays, sont restés en marge du canon, malgré la reconnaissance de ses contemporains [7]. Même un personnage comme João do Rio, reconnu pour son travail de reporter et de chroniqueur, a vu une partie de sa production littéraire dépréciée. Dandy de Rio de Janeiro, traducteur de divers textes d’Oscar Wilde en portugais et lecteur de Jean Lorrain, il a publié plusieurs récits décadents, pleins de dénouements grotesques et d'effets typiques de la littérature d’horreur [8].
On pourrait également citer les cas de Coelho Neto, Olavo Bilac et Medeiros e Albuquerque, fondateurs de l’Académie brésilienne des lettres et très populaires à l’époque, mais sévèrement critiqués par les modernistes et décrédibilisés par l’histoire littéraire ; Lima Barreto, observateur et analyste perspicace de la société brésilienne, qui est de plus en plus lu dans une perspective ethnico-raciale [9], et une série d’écrivains moins connus tels que Elísio de Carvalho, Gastão Cruls, Gonzaga Duque, Madame Chrysanthème et Valentim Magalhães, dont les œuvres révèlent la variété de la vie littéraire brésilienne de l’époque [10].
En accord avec le thème du XVIe Congrès allemand des lusistes, nous poursuivons trois objectifs avec le panel que nous proposons :
1) revisiter les processus de sélection et les modèles d’organisation de l’histoire littéraire brésilienne au début du XXe siècle afin d’obtenir une image plus équilibrée et plus complète de la production littéraire de cette époque ;
2) réorienter les pratiques d’écriture de l’histoire littéraire en utilisant des critères alternatifs, tels que la sémiosphère, qui mettent en évidence les dialogues singuliers de la littérature brésilienne avec d’autres traditions littéraires ;
3) réparer symboliquement les dommages causés aux auteurs qui ont été effacés par l’histoire littéraire – que ce soit en raison de leur situation géographique, de leur appartenance ethnique ou de leur sexe, ou parce qu’ils pratiquent une poésie qui a été négligée par les critiques.
Pedro Paulo Catharina (Université féderale de Rio de Janeiro), spécialiste des relations entre le naturalisme français et le naturalisme brésilien, ainsi que Júlio França (Université d’État de Rio de Janeiro), référence dans l’étude des poétiques du mal, comme le gothique, l'horreur et le grotesque, dans la littérature brésilienne, participeront à notre panel.
Les personnes intéressées doivent envoyer leurs propositions (250 mots maximum) et une brève bio-bibliographie, indiquant leur affiliation institutionnelle actuelle, avant le 15 mars 2025 aux adresses électroniques suivantes : tikehren@uni-mainz.de et daniel.augustopsilva@gmail.com. Chaque communication durera 20 minutes. La langue du congrès est le portugais. Les frais de déplacement et d’hébergement sont à la charge des participants.
Responsables du panel :
Timo Kehren (Université Johannes Gutenberg de Mayence)
Daniel Augusto Pereira Silva (Université d’État de Rio de Janeiro)
Références bibliographiques :
[1] « In stärkerem Maße als in anderen Ländern Lateinamerikas entfalten sich so Romantik, Realismus bzw. Naturalismus und die parnassianische Bewegung, die entsprechend der nationalen Eigenart Brasiliens und dem dominanten Vermittlungsweg über Frankreich adaptiert werden. » Gerhard Wild, « Brasilien bis zum Ende des Kaiserreichs », dans : Lateinamerikanische Literaturgeschichte, éd. Michael Rössner, Stuttgart : Metzler, 2007, p. 190-199, ici : p. 190.
[2] « Diese unter den Schlagwörtern des Realismus und des Naturalismus verbreitete literarische Doktrin wird wiederum importiert : Die stilistischen Idole sind Flaubert, Zola und Eça de Queirós. » Ibid., p. 198.
[3] Youri Lotman, La Sémiosphère, Limoges : PULIM, 1999.
[4] Roberto Schwarz, Machado de Assis, um mestre na periferia do capitalismo, São Paulo : Duas Cidades/Editora 34, 1990.
[5] Leonardo Mendes & Pedro Paulo Garcia Ferreira Catharina (éds.), Figueiredo Pimentel : um polígrafo na Belle Époque, São Paulo : Alameda, 2019.
[6] Lúcia Miguel Pereira, Prosa de ficção : história da literatura brasileira (de 1870 a 1920), Belo Horizonte : Editora Itatiaia; São Paulo : Edusp, 1988.
[7] Angela di Stasio, Anna Faedrich & Marcus Venicio Ribeiro (éds.), O cotidiano carioca por Júlia Lopes de Almeida, Rio de Janeiro : Cadernos da Biblioteca Nacional, 2016.
[8] Júlio França & Daniel Augusto P. Silva (éds.), Poéticas do mal : a literatura de medo no Brasil (1830-1920), 2ª éd., Rio de Janeiro : Acaso Cultural, 2022.
[9] Lilia M. Schwarcz, Lima Barreto : triste visionário, São Paulo : Companhia das Letras, 2017.
[10] Brito Broca, Naturalistas, parnasianos e decadistas : vida literária do Realismo ao Pré-Modernismo, Campinas : Editora da UNICAMP, 1991.