
"[…] il y a une dizaine d'années, alors que je travaillais à la biographie d'Henri Cartier-Bresson, j'étais tombé sur un os. Un vrai mystère. Je savais qu'il avait réalisé plusieurs films et que, dans l'Espagne déchirée par la guerre civile, il s'était rendu du côté républicain en 1937 et 1938 afin de soutenir la cause par des documentaires de propagande. Deux d'entre eux (Victoire de la vie et Espagne vivra) étaient de longue date connus de tous ; le troisième était une arlésienne. Quelques uns en parlaient mais nul ne l'avait jamais vu. Tant et si bien que des proches et des chercheurs m'avaient convaincu que ce film mythique n'avait vraisemblablement jamais existé et qu'il était le fruit de la légende. Enfin, presque convaincu, n'eut été une mention de ce documentaire invisible dans une fiche que j'avais retrouvée en cherchant dans les archives de la BIFI.A peine quelques lignes précisant, si ma mémoire est bonne, le nom d'un opérateur, l'unique projection du film le 21 mai 1938 au cinéma Cameo de la 42ème rue et surtout le titre “Con la Brigada Lincoln en Espana”. Il s'agissait bien d'un reportage de commande sur la geste des volontaires américains, canadiens et britanniques, idéalistes sans uniforme intégrés aux Brigades internationales. L'indice était léger mais suffisant pour m'empêcher d'écrire que ce film n'avait jamais existé ; en revanche, je ne pus me défendre d'écrire qu'il avait disparu à jamais. Or il vient de réapparaître. Juan Salas, un chercheur de l'université de New York, en a retrouvé une copie après des années de recherche. Où ça ? Tout simplement au siège de l'association des anciens combattants de la Brigade Lincoln à New York, mais après un patient travail de recoupement avec un certain nombre de pictogrammes extraits du film. 18 minutes sur le quotidien de ces soldats de fortune, militants antifascistes commandés par Robert Merriman, professeur d'économie à l'université de Californie, leurs espoirs et leurs doutes, une poignée parmi les 2 800 volontaires américains, dont un certain nombre furent tués au front […]."