Colloque annuel de la SEAA 17-18
Dates : 15 et 16 janvier 2021
Lieu : Université Paris-Diderot
Conférence plénière : Max Edelson (University of Virginia)
Les cartes sont des objets d’étude multidimensionnels. Elles impliquent, en effet, des enjeux scientifiques, artistiques, politiques, diplomatiques, militaires et économiques. Sur le plan scientifique, la question des techniques de cartographie et leur évolution se pose en rapport avec l’établissement du métier de cartographe, d’arpenteur et de géographe professionnel. Qui réalise les cartes, dans quel but et pour qui sont des éléments indispensables à la compréhension de ces documents. Il faut distinguer les cartes à usage secret de celles imprimées et diffusées. Les premières sont utilisées par les gouvernements pour les négociations de paix et pour les opérations militaires (comme les cartographes auxquels ont recours les Français et les Américains pendant la Guerre d’Indépendance), mais également pour l’exploration et la conquête de nouveaux territoires, notamment l’Amérique du Nord et du Sud, ainsi que l’Afrique et l’Inde. Les cartes rendues publiques ont été la plupart du temps publiées dans des ouvrages à destination du public lettré, mais leur degré d’exactitude et la part artistique de celles-ci doivent être évaluées. On peut ainsi considérer que les cartes créent des espaces plutôt que ne les épousent. Les cartes circulent également sous forme d’objets individuels comme par exemple les globes terrestres. Il est donc nécessaire de se pencher sur la fabrication de ces objets et l’impression de ces cartes, mais également sur leur commercialisation, leur diffusion, leur exposition dans les cabinets de curiosité, ainsi que leur circulation entre sociétés savantes européennes et américaines.
Au-delà de ces enjeux, il faudra s’interroger sur la manière dont la cartographie et la connaissance et l’usage de la géographie ont transformé l’écriture de l’histoire, l’historiographie, celle des 17e et 18e siècles, mais également comment les cartes ont été utilisées par les historiens et auteurs des siècles suivants qui ont écrit sur ces périodes. Le discours historiographique sur ces siècles a évolué en parallèle et en rapport avec les progrès de la science géographique et topographique. Ces changements sont particulièrement notables aujourd’hui puisque récemment les outils numériques ont relancé l’intérêt pour les cartes comme supports de réflexion historiographique. Inversement des bases de données comptables tirées de registres ou d’autres documents ont été compilées grâce aux logiciels informatiques et ont permis de créer des outils de cartographie numérique qui changent notre perception du passé et de l’histoire (voir par exemple des sites internet comme Mapping Early American Elections : earlyamericanelections.org, ou Slave Voyages : slavevoyages.org.). Ces évolutions de la cartographie entraînent sur le plan historiographique une redéfinition des espaces comme étant doublement à la croisée des enjeux de pouvoir et de savoir.
Il conviendra par ailleurs de s’interroger sur l’écriture de l’espace dans le dix-huitième siècle britannique, en s’attachant à la cartographie narrative ou encore au motif de la carte insérée dans les récits de voyages, de fiction ou dans les utopies / dystopies (voir par exemple les cartes insérées au début de chacun des voyages de Gulliver ou celle que Thomas More insère dans son Utopie). Dans les textes fictionnels, la carte réitère et renforce le réalisme par ses qualités scientifiques. Ainsi Defoe ou Swift empruntaient-ils des cartes à Herman Moll, grand cartographe de l’époque, afin de donner à leurs récits l’apparence du vrai et la crédibilité du géographe, nettement supérieure à celle de l’écrivain de fictions. Outre l’apparence scientifique que revêtent la carte et l’activité de cartographier le monde, il y a toujours eu de l’art dans la cartographie, qui peut être définie comme l’art de dessiner les cartes : « la carte met toujours en jeu un imaginaire d’un genre particulier. » (Palsky, Artistes de la carte, 202) Cet imaginaire, qui est au centre de la relation entre carte et œuvre, pourra également être exploré à travers l’ornementation des cartouches ou encore les blancs de la carte remplis par les cartographes à l’aide de dessins d’animaux, de monstres ou de bateaux. Interroger l’articulation entre les langages cartographique et littéraire ou esthétique permet en outre d’adopter une approche interdisciplinaire des 17e et 18e siècles : la géocritique (Westphal, Tally) ou la cartographie littéraire (dont le projet mappingwriting) permettront de réfléchir à cette articulation et à la manière de cartographier les récits fictionnels.
Il s’agira en somme de se demander en quoi la cartographie a influencé, d’une part, le cours de l’histoire ou en quoi la perception de la géographie a eu un impact sur l’histoire politique, scientifique, intellectuelle et littéraire des 17e et 18e siècles, et en quoi elle a influencé, d’autre part, la science historiographique ancienne et actuelle, en lien avec le développement de nouvelles approches historiographiques, comme l’histoire atlantique et l’histoire globale, celle de la culture matérielle et des sociabilités, ainsi que les études de genre et du rôle des minorités.
Parmi les multiples pistes de réflexion possibles, on pourra s’intéresser, à titre indicatif, aux suivantes :
- cartographie et récit
- l’insertion de cartes réelles ou fictives dans les récits fictionnels
- la contribution des écrivains à la culture géographique et contribution de la géographie comme discipline et comme langage à la production littéraire (« fertilisation croisée »)
- la véracité et la vérité des données géographiques dans les textes littéraires
- la carte comme vecteur de souveraineté politique et comme instrument de colonisation, notamment en interrogeant le rôle du Board of Trade
- la cartographie comme acte performatif (création de l’espace, espace de création)
- les supports cartographiques comme objets esthétiques
- la carte comme objet historiographique réel et virtuel `
- l’autorité investie dans les cartographes, géographes et arpenteurs et l’autorité empirique des cartes (le biais, l’omission et l’échelle à dessein)
- la matérialité des cartes (fabrication, taille, papier, poids, qualité graphique et d’impression)
- le rôle des Académies des sciences
- ligne de contour, ligne de séparation : délimiter l’abstraction géographique
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Les propositions de communication en anglais (éventuellement doublée d’une version en français) d’une longueur de 300 mots environ et accompagnées d’une courte bio-biblio sont à envoyer à colloque1718janvier2021@gmail.com pour le 20 juin 2020. Les participants retenus seront notifiés mi-juillet.
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Bibliographie sélective:
Ouvrages et articles:
Richard H. Brown and Paul E. Cohen, Revolution: Mapping the Road to American Independence 1755-1783. New York: London W.W. Norton et Company, 2015.
Martin Brückner, The Social Life of Maps in America, 1750-1860. Chapel Hill: Published for the Omohundro Institute of Early American Culture by the University of North Carolina Press, 2018.
Eric Bulson, Novels, Maps, Modernity. The Spatial Imagination. 1850-2000. New York & London, Routledge, 2007.
Lucy P. Chester, “The Mapping of Empire: French and British Cartographies of India in the Late-Eighteenth Century”, Portuguese Studies, Vol. 16 (2000), pp. 256-275.
Max Edelson, The New Map of Empire: How Britain Imagined America before Independence. Harvard University Press, 2017 and website with maps online: http://mapscholar.org/empire/
Matthew H. Edney, Mapping an Empire: The Geographical Construction of British India, 1765–1843. Chicago: University of Chicago Press, 1997.
Matthew H. Edney, Mary Sponberg Pedley (eds.), The History of Cartography, Volume 4: Cartography in the European Enlightenement. Chicago University Press, 2019.
Jean-Paul Forster, Eighteenth-Century Geography and Representations of Space in English Fiction and Poetry. Berne: Peter Lang, 2013.
John Brian Harley, Paul Laxton, and J.H. Andrews, The New Nature of Maps: Essays in the history of Cartography. Baltimore, MD: Johns Hopkins UP, 2002.
Catherine Hofmann ed, Artistes de la carte de la renaissance au XXIe siècle. Paris, éditions Autrement, 2012.
Stephen J. Hornsby, Surveyors of Empire: Samuel Holland, J. W. F. Des Barres, and the Making of The Atlantic Neptune. Ithaca, N.Y.: McGill-Queen's University Press, 2011.
Christian Jacob, L'Empire des cartes : approche théorique de la cartographie à travers l'histoire. Paris, Bibliothèque Albin Michel, 1992.
Jacques Lévy, ed. A Cartographic Turn. Mapping and the Spatial Challenge in Social Sciences. Routledge, 2016.
Mary Sponberg Pedley, The Commerce of Cartography: Making and Marketing Maps in Eighteenth-century France and England. Chicago: University of Chicago Press, 2005
Margaret B. Pritchard and Henry G. Taliaferro, Degrees of Latitude: Mapping Colonial America. Williamsburg, VA: Colonial Williamsburg Foundation, 2002 and digital collection https://www.nyhistory.org/exhibitions/degrees-latitude-mapping-colonial-america
John Rennie Short, Cartographic Encounters: Indigenous Peoples and the Exploration of the New World. London: Reaction Books, 2009.
Robert T. Tally, Spatiality. Londres et New York : Routledge, The Critical Idiom, 2013.
Judith A. Tyner, Stitching the World: Embroidered Maps and Women’s Geographical Education. Ashgate, 2015.
Bertrand Westphal, La Géocritique. Réel, fiction, espace. Paris : Les Editions de Minuit, 2007.
--. Le Monde plausible. Espace, Lieu, Carte. Paris : Les Editions de Minuit, 2011.
Humanités numériques :
The Grand Tour Travelers Project, Stanford University : https://classics.stanford.edu/projects/grand-tour-project, part of the larger project : Mapping the Republic of Letters : http://republicofletters.stanford.edu/publications/index.html
Mapping Early American Elections : http://earlyamericanelections.org/
Slave Voyages : https://www.slavevoyages.org/
Mapping Writing : https://mappingwriting.com/
Nicholas Gliserman, (forthcoming): Cartography and Empire in Northeastern America, 1580-1760--digital humanities project employing ArcGIS to extract geospatial data from historical maps to analyze the changing colonial landscape.
Comité scientifique :
Peter Barber (Hakluyt Society)
Michael Barritt (Hakluyt Society)
Jim Bennett (Hakluyt Society)
Martin Brückner (University of Delaware)
Yann Calberac (Université de Reims)
Robert Clark (University of East Anglia/Literary Encyclopedia)
Matthew Edney (University of Southern Maine)
Stephen Hornsby (University of Maine)
Mary Pedley (University of Michigan)
Bertrand Van Ruymbeke (Université Paris 8)
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Comité d’organisation :
Carine Lounissi (Université de Rouen et Université Paris-Diderot, LARCA)
Emmanuelle Peraldo (Université de Nice, CTEL)
Agnès Trouillet (Université Paris III, CREW)
Sophie Vasset (Université Paris-Diderot, LARCA)