Journée d'étude "Ecrire le sensible. Pratiques artistiques et scientifiques à l'épreuve du numérique"
Des recherches récentes démontrent les conséquences de l’omniprésence du numérique sur les fonctions cognitives humaines. Ces travaux, menés selon différentes approches, notamment en informatique et en neurosciences (Lachaux, 2013 ; Eustache, Desgranges, 2015), en géographie quant à l’évolution des modes de déplacement et des rapports aux espaces (Joliveau et al., 2013 ; Mericksay, Roche, 2011) ou en sociologie et en psychologie (Haroche, 2007, Tapia, 2013), mettent en évidence l’impact des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur l’attention et la mémorisation mais aussi sur les modalités du sentir et du ressentir. Ces études invitent à questionner les rapports sensibles au monde, leurs rôles dans la construction et le fonctionnement psychique des individus, comme dans l’élaboration des normes sociales, en particulier depuis l’apparition des multiples « fractures » induites par le numérique.
Nous proposons, lors de cette journée d’études, de nous attacher à croiser plus spécifiquement les pratiques contemporaines d’artistes et de chercheurs en sciences humaines et sociales ; ainsi que leurs modes de productions. Dans une approche réflexive, comment chercheurs et artistes intègrent-ils, ou non, dans leurs processus de travail, cette nouvelle condition du sensible induite par le numérique ?
L’anthropologue Jack Goody, dans son ouvrage De la raison graphique (1979), a clairement établi le rôle de l’instrumentation utilisée sur le terrain par les chercheurs en sciences sociales – des carnets de terrain aux appareils photographiques, appareils d’enregistrement sonores et vidéos – dans la formalisation des matériaux d’enquête et la transmission des savoirs. Et Maurice Merleau-Ponty souligne dans L’œil et l’esprit que c’est en peignant « l’instant du monde »[1] que le peintre Paul Cézanne le « rend visible », considérant le fait de peindre comme un prolongement de l’artiste lui-même, dans une « réflexivité du sensible » [2] entre l’individu sentant et ce qui est senti. Au rapprochement de la pensée de Jack Goody et de celle de Maurice Merleau-Ponty s’éclaire ainsi ce processus d’« écriture » d’une expérience sensible.
Cette lecture prend aujourd’hui un sens tout particulier dans les arts comme dans les sciences, où les productions tendent à être envisagées du point de vue de leurs « dispositifs » de production et de représentation. La plupart des projets mobilisent en effet non plus un, mais des outils et médias en interaction, comme l’attestent, en géographie, ces nouvelles appellations composées : « Vidéocartographie »[3] et « GéoPhotoGraphie »[4] par exemple. Qu’est-il encore possible, dans ce contexte, de saisir de cet « instant du monde » évoqué par M. Merleau-Ponty ? En d’autres termes, en quoi le développement des technologies de l’information et de la communication vient-il réinterroger l’écriture du sensible ?
La recherche, comme la création, et cela quels que soient les médiums, posent la question de l’écriture, de la forme finale de la production. L’incidence, ou non, des nouvelles technologies, est ainsi manifeste dans les productions mêmes. Alors que certains artistes et chercheurs mettent à distance toute médiation technologique dans leur travail de création et de recherche, d’autres au contraire intègrent le numérique pour éclairer les transformations qu’il induit.
En contrepoint de ces questionnements, des chercheurs et artistes cherchent à placer l’attention au centre de leurs propositions, tout en mettant à distance les outils technologiques dans leurs méthodes de travail et processus de création, afin de permettre au système attentionnel d’être moins fortement mobilisé. L’art-thérapie, en particulier, se conçoit dans cette attention diffuse au sensible, essentielle au processus d’accompagnement thérapeutique.
Cette journée, ancrée entre théorie et pratique, propose de réunir des chercheurs en sciences humaines et sociales (géographes, sociologues, urbanistes, paysagistes), des artistes (chorégraphiques et plastiques), ainsi que des art-thérapeutes afin d’initier une réflexion sur les écritures du sensible scientifiques et artistiques, en particulier soumises aujourd’hui aux usages et aux effets des nouvelles technologies.
Elle s’inscrit dans la continuité d’un travail mené par le groupe de recherche « Ecrire le sensible, laboratoire itinérant de recherche-création » créé par Aline Jaulin et Elise Olmedo en 2015-2016. La journée d’études du 4 novembre 2016 présentera ces recherches tout en ouvrant la réflexion à des artistes et chercheurs également traversés par ces questionnements.
Programme de la journée
9h Accueil
9h15 Introduction par Jean-Marc Besse, Isabelle Barbéris, Elise Olmedo et Aline Jaulin
Sentir 2.0 : les interfaces du sensible
Modération : Jean-Marc Besse (Directeur de recherche au CNRS, UMR Géographie-cités 8504, équipe EHGO)
9h30 Claudine Haroche (Directrice de recherche émérite au CNRS, Centre Edgar Morin, sociologie, anthropologie)
10h30 Discussion
10h45 Pause santé
Du sensible aux écritures, pratiques contemporaines
Modération : Isabelle Barbéris (Maître de conférences en arts du spectacle, Université Paris Diderot/CERILAC)
11h00 Table ronde avec :
- Clémence Lehec (Assistante en géographie et environnement, Université de Genève)
- Albertine Meunier (Artiste numérique)
- Ruth Nahoum (Art-thérapeute)
- Julie Perrin (Maître de conférences, département danse, Université Paris 8)
- Théo Soula (Doctorant en géographie littéraire, Université de Toulouse 2)
12h15 Discussion
[12h45 Déjeuner]
Ecrire le sensible, laboratoire itinérant de recherche-création
14h30 Présentation du groupe de recherche :
- Benoît Feildel (Géographe et urbaniste, Université Rennes 2)
- Aline Jaulin (Doctorante en arts du spectacle, Université Paris Diderot)
- Mathias Poisson (Artiste promeneur et cartographe)
- Pauline Tremblay (Performeuse, art-thérapeute)
Expérimentations
15h15 A la mesure de la marche, « Parcours augmentés » à travers la ZAC Rive gauche.
- Elise Olmedo (Docteure en géographie, Université Paris 1, UMR 8504 Géographie-Cités)
- Mathias Poisson (Artiste plasticien et performer, Agence Touriste)
17h30 Clôture de la journée
***
Cette journée d'étude est co-organisée par Aline Jaulin, du CERILAC, Centre d’Etudes et de Recherches Interdisciplinaires en Lettres, Arts et Cinéma de l’Université Paris Diderot et Elise Olmedo de l’UMR Géographie- cités (UMR 8504) de l’Université Paris 1.
Comité scientifique : Isabelle Barbéris, Jean-Marc Besse, Evelyne Grossman.
***
[1] L’Oeil et l’Esprit, 1964, p. 23.
[2] L’Oeil et l’Esprit, 1964, p. 33.
[3] Voir les travaux de l’artiste Till Roeskens dans le camp d’Aida en Palestine : http://documentsdartistes.org/artistes/roeskens/repro3-8.html
[4] « GéoPhotoGraphie » est un dispositif utilisé dans le cadre scolaire avec des élèves de collèges et de lycée en Ile-de-France. Il explore l’espace scolaire du point de vue du sensible :
http://blog.ac-versailles.fr/geophotographie/