Journée d'étude
Engagement et imaginaires de la Révolution
(Littératures du XIXème au XXIème siècle)
L’écrivain doit pour Sartre s’engager dans l’action historique, qui consiste à inventer des «solutions nouvelles à partir d’une situation définie»[1]. L’idée d’une littérature comme «Révolution permanente»[2] suggère cette exigence d’une rupture renouvelée à chaque époque, dans le même temps qu’une permanence de la référence à 1789.
C’est ce lien que nous voulons interroger, entre des engagements très divers et la référence obligée à l’imaginaire de la Révolution française. Cet imaginaire nourrit l’artiste engagé, mais il peut également l’en détourner, l’aveugler, empêcher une « praxis » révolutionnaire nouvelle, à la manière d’un fantasme ou d’une croyance à dépasser[3]. Dans quelle mesure l’engagement politique est-il modifié, transformé, voire trahi par les représentations imaginaires ? L’écrivain embarqué dans un projet de transformation du monde peut-il faire abstraction de l’imaginaire de la Révolution, dans ses dimensions historiques et instituées, romantiques ou fantasmées ?
C’est dans la perspective historique d’une création qui met en gage des images héritées dans l’aspiration à un nouvel ordre symbolique de la société que nous souhaitons interroger les liens entre engagement de l’écrivain du XIXème au XXIème siècle, imaginaire et révolution.
Les propositions de communication (maximum 500 mots) sont à envoyer au plus tard le 5 mai, accompagnées de vos coordonnées et d’une courte bio-bibliographie, aux adresses suivantes : erwan.gueret@gmail.com ; aramafanny@yahoo.fr
Nous vous proposons trois pistes de réflexion :
1 - Engagement et imaginaires de la Révolution
La révolution peut se définir concrètement par des mécanismes socio-économiques, fonctionnels, symboliques qui la déterminent. Dans le même temps, elle est création et perpétuation d’une inépuisable série de connotations en constante évolution, et qui forment le fond imaginaire de notre société comme de nos subjectivités. En cela, la révolution participe de l’imaginaire social, que Castoriadis définit comme « cet élément, qui donne à la fonctionnalité de chaque système institutionnel son orientation spécifique, qui surdétermine le choix et les connexions des réseaux symboliques, création de chaque époque historique, sa façon singulière de vivre, de voir et de faire sa propre existence, son monde et ses rapports à lui [...] »[4]. Dans quelle mesure la révolution de 89 persiste-t-elle à innerver l’imaginaire des artistes et penseurs engagés dans les conflits qui lui sont postérieurs, voire apparemment étrangers (guerres mondiales, guerre froide, révolutions chinoises, russes, cubaines) ? Quelles évolutions, inflexions et transformations de cet imaginaire de la Révolution pouvons-nous observer dans les écrits engagés dans les idéologies des XIXème, XXème et XXIème siècles (marxismes, communisme, anarchisme…) ? Comment cet imaginaire est-il détourné, occulté ? Assistera-t-on à une disparition postmoderne de l’imaginaire de la révolution ?
2 - Histoire nationale : entre allégorie, récit et légende
L’engagement des écrivains dans un imaginaire exalté ou repoussoir de la révolution ne fait-il pas courir le risque d’un brouillage entre « fait et fiction »[5] ? De Jules Michelet qui, dans son Histoire de la Révolution française, se revendique de « la légende», de « l’histoire du cœur du peuple et de son imagination » qui serait « vraie au total quoiqu’elle soit, dans le détail, chargée d’ornements légendaires, étrangers à l’histoire des faits »[6] jusqu’à André Malraux qui, préfacier du Saint-Just d’Albert Ollivier, critique les historiens qui confondent l’histoire de la Révolution, « vaste domaine d’imaginaire », avec l’ordinaire « conflit des intérêts du monde »[7] - la grande Révolution se situe au cœur des problématiques entre histoire et fiction, entre exigence d’un grand récit national et rigueur des faits. Dans la littérature du XIXème au XXIème siècle, à quelles occasions l’identité légendaire ou imaginaire prend le pas sur la vérité factuelle ? Quand la Révolution de 1789 devient personnage romanesque à part entière, et en quoi cela change la perception de l’événement historique ainsi transformé par l’acte littéraire ? Comment des écritures contemporaines reviennent à l’inverse puiser dans les archives pour repenser notre héritage politique, comme le font récemment Joël Pommerat dans Ça ira, ou Eric Vuillard dans son récent 14 Juillet[8] ?
3 - Un engagement partagé entre révolution et réaction ?
En outre, l’engagement politique en littérature, déterminé en France par l’imaginaire social mis en place après la Révolution de 1789, a longtemps été condamné à la division entre révolution et réaction. Dès lors, l’imaginaire de l’engagement a été polarisé, notamment tout au long du XIXème siècle, entre révolution et contre-révolution. Aux XXème et XXIème siècles, l'engagement politique en littérature est-il condamné à choisir entre la radicalité de ces deux pôles ?
[1] Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ?, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1985, p. 291.
[2] Ibid. p. 163.
[3] C’est notamment la thèse de Jean-Claude Milner dans son essai paru récemment, Relire la Révolution, Lagrasse, Verdier, 2016.
[4] Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Points, coll. « Points Essais », 1999, p. 219.
[5] Pour faire référence au dernier ouvrage de Françoise Lavocat, Fait et fiction, pour une frontière, Seuil, coll. « Poétique », 2016.
[6] Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, I, édition de Gérard Walter, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2007, p. 282
[7] Albert Ollivier, Saint-Just et la force des choses, préface d’André Malraux, Gallimard, coll. « NRF », 1954, p. 25.
[8] Joël Pommerat, Ça ira (1) fin de Louis, Actes-Sud Papiers, 2016 ; Eric Vuillard, 14 Juillet, Actes Sud Littérature, 2016.