L’année 2017 marquera le dix-neuvième centenaire de la mort de l’empereur Trajan et de l’accession au principat de son parent Hadrien. À l’occasion de cet anniversaire, nous souhaiterions étudier lors d’un colloque les mémoires contrastées et complexes de ces deux empereurs romains. Cette manifestation se déroulera les jeudi 28 et vendredi 29 septembre 2017 à l’université de Lille SHS-Lille 3. Elle s’inscrira dans la continuité de plusieurs événements et programmes scientifiques qui ont récemment marqué la région : le séminaire « Réception de l’Antiquité » de l’École doctorale SHS Lille Nord de France (depuis 2010), l’exposition « Hadrien, empereur » à la villa Marguerite Yourcenar (2011), l’exposition « Rome en pays nervien » à Ath et Bavay (2015), ou encore la journée d’étude « L’empereur Auguste et la mémoire des siècles » organisée à l’université d’Artois (mars 2015). Il s’inscrit dans les thèmes de recherche des principales équipes partenaires : le laboratoire « Histoire, archéologie et littérature des mondes anciens » (HALMA, UMR 8164, CNRS-Université de Lille SHS-Lille 3), l’unité de recherche « Histoire, langues, littérature et interculturel » (HLLI, EA 4030, Université du Littoral Côte d’Opale, Boulogne-sur-Mer), et l’équipe « Littératures et représentations de l’Antiquité et du Moyen Âge » (CELIS, EA 1002, Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand).
À première vue, tout oppose la manière dont on s’est souvenu de Trajan et celle dont on s’est souvenu d’Hadrien. Le premier est apparu de son vivant comme « le meilleur des empereurs » : les textes des périodes ultérieures le présentent comme un prince conquérant, désireux d’étendre les frontières de l’Empire. Hadrien a connu des fortunes et des réputations plus contrastées, mais on peut dire que globalement son image est souvent symétriquement opposée à celle de Trajan : esthète, ami des arts et de la culture hellénique, il est parfois présenté comme efféminé, sa relation avec Antinoüs suscitant des réactions très diverses selon les périodes et les milieux ; il est aussi présenté par l’historiographie comme celui qui, à l’inverse de Trajan, a mis fin à l’expansion territoriale et a retranché l’Empire romain derrière le limes. Ainsi il semble que ces deux empereurs aient été pensés, et surtout pensés ensemble, dans l’historiographie comme dans les arts et la littérature, comme des modèles de prince diamétralement opposés : viril contre efféminé, conquérant contre prudent, ami du Sénat contre meurtrier des « quatre consulaires », ouvert contre calculateur, mais aussi soldat contre esthète, simple contre intelligent, voire Romain contre Grec. Trajan le Romain, défenseur du mos maiorum, a pu être vu comme le symétrique d’Hadrien, le « petit Grec » (graeculus).
Pourtant, bien des traits rapprochent ces deux personnages, et leur mémoire a pu garder trace de ces points communs. Tous deux descendants de colons romains implantés en Bétique, ils sont les premiers Romains provinciaux à accéder à l’Empire. Ils sont parents, et ce trait n’est pas anecdotique : au moment de la succession de 117, la logique de la parenté l’a emporté sur le discours sur l’optimus princeps. Tous deux ont enfin reçu une formation militaire : ce qui semble évident pour Trajan est aussi vrai d’Hadrien, qui a accompli trois milices et a participé à bien des campagnes.
Ces deux mémoires, bien souvent pensées ensemble, ont sans doute été actives dès les premiers moments du règne d’Hadrien, et elles se poursuivent jusqu’aux productions les plus récentes, qu’il s’agisse de discours savants (historiographie), d’œuvres d’art (littérature en particulier) ou de médiation culturelle (muséographie, expositions). Nous souhaiterions par conséquent étudier la mémoire de ces deux empereurs au cours de l’ensemble des périodes qui s’étendent entre 117 et 2017. Le colloque sera donc résolument pluridisciplinaire : il réunira entre autres des littéraires, des historiens, des historiens de l’art et des archéologues. Les communications pourront s’attacher à la mémoire d’un des empereurs en particulier, mais nous retiendrons en priorité celles qui proposeront une approche croisée de leurs mémoires.
Parmi les moments et les phénomènes sur lesquels on pourra mettre l’accent, on mentionnera sans exclusive :
- La fortune de l’appellation optimus, accordée à Trajan, que l’on pourra contraster avec la mauvaise réputation qui a longtemps été le lot d’Hadrien. Il serait intéressant d’observer à partir de quand l’historiographie a considéré Hadrien comme un « bon empereur » et l’a pleinement intégré au discours positif sur le « Siècle des Antonins ».
- L’entretien de la mémoire de Trajan par Hadrien, et des deux empereurs (mais aussi, dans une certaine mesure, de leurs épouses et de leurs parentés) par leurs successeurs qui ont pu se réclamer d’eux : à travers l’épigraphie, la monnaie ou le culte impérial, la reprise d’éléments de leur nom et de leur titulature.
- La question de la personnalité des deux empereurs, en particulier les approches genrées de leurs personnalités, dans l’historiographie comme dans les arts. L’épisode Antinoüs tient une place essentielle dans ces considérations. La question de l’homosexualité et de son traitement dans les siècles ultérieurs (en particulier au XXe siècle) est intéressante, car elle concerne les deux empereurs, avec des portraits souvent très différents. Même leur pilosité peut s’avérer intéressante ! Le « viril » Trajan est (comme ses prédécesseurs) glabre, alors qu’Hadrien est (comme ses successeurs) barbu. Toutes les périodes sont ici concernées. Cette question peut être rapprochée de celle de leur rapport à l’art : Antinoüs a aussi à voir avec l’art, et Trajan ne s’en désintéressait pas, comme en témoigne le soutien apporté à Apollodore de Damas. Dans la continuité du rapport à l’art, on pourra se pencher sur leur rapport à l’humanisme, à la romanité et à l’hellénisme. Ici aussi, la pilosité peut être convoquée !
- L’épisode de la succession de 117. Ce moment problématique a été traité de manières très diverses : il a pu être l’occasion de louer l’intelligence politique d’Hadrien, ou au contraire à le présenter comme un calculateur sans scrupules. Le roman Mourir à Sélinonte de François Fontaine (1984), mais aussi son pastiche Douze autres Césars (1985), sont des exemples intéressants de ce traitement, mais bien d’autres existent sans doute.
- L’Histoire Auguste (IVe siècle), qui contient la première biographie d’Hadrien qui nous soit parvenue, et qui commence précisément à la mort de Trajan.
- L’émergence à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Âge d’une mémoire chrétienne de Trajan et, dans une bien moindre mesure, d’Hadrien, en particulier dans l’hagiographie des martyrs et la mémoire des persécutions. Cette mémoire est complexe puisque Trajan est en général reconnu jusque dans l’historiographie moderne comme un persécuteur « modéré » des chrétiens, peut-être par contraste avec son homonyme du IIIe siècle Trajan Dèce, persécuteur par excellence. Cette expression curieuse devra bien sûr être questionnée. Hadrien de son côté est-il effectivement quasi ignoré des auteurs chrétiens du Moyen Âge ? et dans ce cas, pourquoi ?
- L’émergence et les avatars d’une seconde mémoire chrétienne de Trajan, très différente de la première. Sauvé et admis au paradis grâce aux larmes du pape Grégoire le Grand, Trajan devient l’un des deux seuls païens que Dante admet dans son paradis. La fortune théologique et littéraire de cet épisode est immense.
- L’existence d’un mémoire juive de ces deux empereurs. Tous deux ont été amenés à réprimer des révoltes juives, mais c’est surtout Hadrien qui est resté dans le souvenir des communautés juives : il est en effet un des seuls empereurs romains à être mentionné par son nom dans le Talmud.
- La conservation au cours du haut Moyen Âge de pans aujourd’hui jugés fondamentaux de ces deux mémoires. Comme le rappelle Jean Stengers (Vertige de l’historien, Bruxelles, 1998), des textes aussi essentiels que le Panégyrique de Trajan, la correspondance de Pline le Jeune, ou encore l’abrégé de Dion Cassius par Jean Xiphilin ne sont connus que par des manuscrits uniques.
- Tous les deux étaient des chefs militaires, mais l’un a été associé à la guerre d’expansion, l’autre à la pax Romana et au limes. La question des stratégies des deux empereurs dans l’historiographie pourra donc être abordée : leurs stratégies étant souvent présentées comme opposées, quand cette idée est-elle apparue ? et a-t-elle été contestée ?
- La mémoire de Trajan et d’Hadrien bâtisseurs, reflétée par des monuments visibles au cours des dix-neuf siècles écoulés depuis. Trois monuments sont ici particulièrement importants : la colonne Trajane d’une part, le mur d’Hadrien et la villa de Tivoli de l’autre. On notera ainsi avec intérêt que, pendant de nombreux siècles, le mur qui coupe en deux l’île de Bretagne a été attribué à Septime Sévère : il y a donc eu à l’époque moderne une redécouverte d’une mémoire oubliée d’Hadrien, que ne conservait qu’un bref passage de l’Histoire Auguste. À ces trois monuments, on en ajoutera un quatrième, le Panthéon, qui symbolise à la fois la continuité et les ruptures entre les deux empereurs : envisagé par Trajan, réalisé par Hadrien, il aurait été critiqué par Apollodore. Pour chacun de ces monuments, on pourra en particulier se pencher sur les dessins, tableaux et gravures qui les ont représentés au fil des siècles.
- Les représentations figurées des deux princes. Statues ou tableaux ont pu représenter l’un ou l’autre des empereurs. Comment la figure du prince est-elle représentée dans l’art, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours ?
- L’œuvre de Marguerite Yourcenar. Le portrait de Trajan y est beaucoup moins positif que celui qu’en font la plupart des auteurs antérieurs. Au contraire, Hadrien se trouve en quelque sorte réhabilité par les Mémoires d’Hadrien. Un tel croisement des courbes de popularité, si l’on ose l’expression, est-il antérieur à Yourcenar ou participe-t-il de la réception du roman ?
- Trajan et Hadrien au cinéma, dans la bande dessinée et dans toutes les formes artistiques relevant de la culture populaire. Curieusement, malgré des règnes riches en événements, Trajan et Hadrien n’ont guère inspiré Hollywood : John Boorman travaillerait depuis de nombreuses années à une adaptation des Mémoires d’Hadrien, mais elle n’a pas encore vu le jour. Le cinéma européen ne semble guère avoir abordé ces deux personnages : un passage du film de Xavier Beauvois, Souviens-toi que tu vas mourir, évoque le Panthéon et la villa de Tivoli. On pourra toutefois s’intéresser aux documentaires et aux téléfilms, qui semblent avoir plutôt porté sur Hadrien que Trajan. Dans la bande dessinée, on peut mentionner Le Bouclier de Mars, de Gilles Chaillet, chez Glénat. Pour l’anecdote, on notera que le nom « Trajan » est aussi utilisé en typographie pour désigner une police de caractères, souvent utilisée dans les affiches de cinéma et les génériques.
Les communications présentées lors du colloque de Lille s’inscriront dans un temps de parole d’environ 30 minutes, discussion comprise.
Pour proposer une communication, vous pouvez envoyer à Alban Gautier (alban.gautier@univ-littoral.fr) les éléments suivants :
- titre de la communication ;
- bref résumé (une demi-page maximum) ;
- bref CV (affiliation, principales publications, adresse e-mail, site web).
Merci d’envoyer vos propositions avant le 31 octobre 2015.
Organisateurs :
- Stéphane Benoist (histoire romaine, Université de Lille-SHS Lille 3)
- Alban Gautier (histoire médiévale, Université du Littoral Côte d’Opale, Boulogne-sur-Mer)
- Christine Hoët-Van Cauwenberghe (histoire romaine, Université de Lille-SHS Lille 3)
- Rémy Poignault (littérature, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand)