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Nouvelle parution
Revue d'Histoire du Théâtre, n° 286 :

Revue d'Histoire du Théâtre, n° 286 : "Théâtre, guerres et religion. Europe, XVIe s." (C. Bouteille-Mesiter, F. Cavaillé, E. Doudet, dir.)

Publié le par Marc Escola (Source : Centre culturel international de Cerisy)

Revue d'Histoire du Théâtre, n° 286 : 

"Théâtre, guerres et religion (Europe, XVIe siècle)"

Charlotte BOUTEILLE-MEISTER, Fabien CAVAILLÉ, Estelle DOUDET (dir.)

 

Ce numéro est dédié à la mémoire de Christian Biet, éclaireur de ces théâtres de l'action.

 

Comment faire du théâtre en temps de crise religieuse ? Mettant cette question en perspective historique, ce volume invite à redécouvrir le XVIe siècle, un moment-clef de la pluralisation des identités chrétiennes, entre âge d'or théâtral et basculement dans les guerres civiles. Sans se limiter à un pays ou à une des confessions en lutte, il en propose une approche globale et interconnectée en étudiant la diversité des régions de France et d'Europe, inégalement touchées par le militantisme ; les circulations des hommes et des œuvres, qui usèrent de dramaturgies nouvelles ou éprouvées ; le déploiement sans précédent d'une intermédialité associant spectacles, livres et images. Les théâtres des guerres de religion, où s'est inventé la propagande, sont rarement joués aujourd'hui. Mais leurs remises en scène expérimentales soulèvent des questions toujours d'actualité.

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How to play theater in a time of religious crisis? Putting this question into an historical perspective, the volume surveys the 16th century, a key moment for the pluralization of Christian identities, a theatrical golden age and a critical time of civil wars. Through a global and interconnected approach, not restricted to a country nor a religious community, it studies the diversity of French and European regions, more or less involved into the wars; the mobilities of men and works and their uses of old and new dramaturgies; the increasing intermediality linking theatrical shows, books and pictures. Propaganda plays created during the religious wars are rarely staged today. But their experimental recreation raise questions still relevant for artists and publics.

 

Sommaire/Résumés…

Introduction : Faire théâtre de la guerre
Charlotte Bouteille-Meister et Estelle Doudet

Faire théâtre de la guerre. Théâtre et guerres de religion, enjeux et limites d’une rencontre

Acteurs protestants – auteurs protestants – représentations protestantes ?
Jelle Koopmans

Les rapports entre le théâtre et la polémique religieuse dépasse la seule question de la Réforme. En outre, il faut bien distinguer entre des acteurs protestants ou devenus protestants, des auteurs protestants et des pièces qui thématisent la Réforme ou ont pu être jouées dans un contexte de controverse religieuse. Même s’il existe une documentation abondante, les cas spécifiques ne laissent pas de soulever bien des questions sur la nature de celle-ci. Existe-t-il des conditions de représentations et des structures particulières au théâtre de la Réforme ?

Réforme, théâtre et dialogues scolaires
Marie-Madeleine Fragonard

Les formes théâtrales du dialogue scolaire ont servi de support à l’éducation au latin en même temps qu’aux notions religieuses. Genre international, interactif et destiné aux jeunes élèves, qui en étaient les acteurs en même temps que le public, le dialogue a souvent choisi ses sujets dans l’histoire biblique et contemporaine. L’article vise à évaluer les relations de cette forme largement diffusée avec le théâtre avant et pendant les guerres de religion.

Territoires et circulations

Le recueil de Rouen, scènes d’une ville au seuil des guerres de religion
Estelle Doudet

Le recueil de Rouen est la principale anthologie manuscrite du théâtre français du XVIe siècle. Il rassemble 74 pièces rouennaises, qui n’ont jamais bénéficié d’une étude globale ni d’une édition critique moderne. Cette contribution vise à interroger le sens de cette collection achevée au seuil des guerres de religion. Si le recueil de Rouen est un lieu de mémoire fondé sur le riche patrimoine théâtral de la ville, quelle place et quel rôle y ont les pièces satiriques et polémiques liées à la Réforme ? La lecture globale du manuscrit permet de repenser les liens entre théâtre, mémoire et conflit religieux au XVIe siècle.

La Conscience dans le théâtre réformé
Circulation d’une représentation de l’homme pécheur entre le continent et l’Angleterre

Richard Hillman

Cet article étudie l’influence sur le théâtre anglais réformé d’un modèle continental de la représentation de la Conscience, que cette dernière soit extériorisée sous une forme allégorique (comme dans le Mercator néo-latin de Thomas Kirchmeyer/Naogeorgus et son adaptation française par Jean Crespin), ou qu’elle réside dans le cœur humain, comme dans L’homme iustifié par Foy de Henri de Barran. Cette influence va marquer profondément la dramaturgie anglaise, et ce jusqu’à Marlowe et Shakespeare.

L’apologie de la vraie foi dans le théâtre catholique
L’Antéchrist de Lucerne (1549)

Carlotta Posth

En 1549, on représenta à Lucerne un spectacle en deux parties mettant en scène la venue de l’Antéchrist et le Jugement Dernier, thèmes traditionnels dans une période mouvementée pour la Confédération. Pourquoi, contrairement aux pièces anticatholiques contemporaines, ce jeu eschatologique évite-t-il presque complètement la polémique ouverte contre la confession adverse ? L’article analyse les stratégies théâtrales employées pour défendre la foi catholique dans L’Antéchrist de Lucerne afin de montrer que l’objectif était d’attirer un large public catholique et protestant. Il s’agissait de renforcer l’identité collective des Lucernois catholiques mais aussi d’influencer les spectateurs venus des régions réformées.

Les protestants sur la scène du collège de Navarre (Paris, 1533-1572)
Eric Syssau

Vingt jours après la funeste nuit de la Saint-Barthélemy (23-24 août 1572), une quinzaine de jeunes gens restitue sur la scène du collège de Navarre, sans détour allégorique ni transposition historique, la succession d’actes et de discours supposés qui a abouti à l’anéantissement des huguenots. Méconnue, cette représentation n’en est pas pour autant si insolite : une pratique assidue du théâtre, souvent ancrée dans l’actualité, rythmait la vie de l’établissement dès avant les progrès de la Réforme. De 1533 à 1572, retour sur six pièces scolaires montrant les disciples de Luther et Calvin en Furies, idolâtres, Moabites, prétendants indélicats, monstres et intrigants.

Le théâtre, lieu de réflexion, acte militant

La persécution comme menace dans le théâtre de la Réforme (1525-1538)
Klaus Ridder

La Réforme et les bouleversements sociaux et culturels qu’elle a induits ont eu un impact particulièrement fort sur le théâtre de langue allemande, de Berne à Wittenberg au fil des décennies 1520-1560. Le présent article propose de modéliser les nombreuses pièces qui nous sont parvenues par la notion de « théâtre de menace ». En effet, qu’elles soient mises en scène par les catholiques ou par les protestants, ces œuvres montrent un monde déstabilisé, soit par les attaques portées contre l’ordre religieux traditionnel, soit par les abus que cachait cet ordre. Sont ici étudiés les moyens de créer sur scène une communication de menace, privilégiant inquiétude, violence et conflictualité.

Le théâtre de Rouen et la Réforme
Théologie et dramaturgie dans le Moral à cinq personnages de Pierre Du Val
Denis Hüe

Le théâtre, art particulièrement important pour le militantisme qui a précédé et accompagné les guerres de religion, a aussi été l’expression de convergences religieuses méconnues entre protestantisme et catholicisme. Le Recueil de Rouen conserve ainsi plusieurs pièces de Pierre du Val, un penseur longtemps assimilé à la secte des libertins spirituels. Cet article entend démontrer que loin d’être un protestant marginal, l’écrivain rouennais a utilisé le théâtre pour articuler les articles essentiels de la foi réformée, comme la prédestination, aux croyances centrales du catholicisme normand, l’adoration de Marie et la vision de la Jérusalem céleste. En résulte un art dramatique visant l’intégration plutôt que la rupture entre foi ancienne et nouvelle doctrine.

Apprendre à appeler le roi ‘meschant’
Des pamphlets huguenots à La Famine de Jean de La Taille

Ruth Stawarz-Luginbühl

À partir d’un passage de la tragédie biblique La Famine, ou Les Gabeonites qui assimile le roi David au « chasseur déloyal », cette anagramme accusatrice qui a circulé sur le compte de Charles IX après la Saint-Barthélemy, l’article s’interroge sur les soubassements idéologiques d’un texte qui ne semble guère marqué par des positions militantes. L’enquête est menée au moyen d’une analyse dramaturgique qui parvient à démontrer l’extrême faiblesse caractérisant un roi censé protéger ses sujets, tous ses sujets, dans une une situation de crise majeure. Cette image négative, bien que complexe, du monarque se révèle en parfaite résonance avec la production pamphlétaire huguenote de l’époque.

Théâtres de crise : actualités d’une histoire longue

Peut-on rejouer le théâtre des Guerres de religion ?
Retour sur une expérience de recherche par la pratique théâtrale

Fabien Cavaillé et Tiphaine Karsenti

Les réflexions développées dans cet article sont issues de l’observation d’une double résidence artistique, menée dans le cadre du colloque « La réforme en spectacles. Protestantisme et théâtre en Normandie et en Europe au XVIe siècle » (30 mai-1er juin 2018). Guidés par deux metteurs en scène, des étudiants en arts du spectacle se sont confrontés à des textes de théâtre polémique du XVIe siècle, interrogeant sous l’angle de la pratique les formes que les chercheurs abordaient, parallèlement, avec leurs outils théoriques. Ces deux modalités de la recherche sur le théâtre ancien se sont ainsi croisées, dialoguant et interagissant, pour mieux saisir le fonctionnement de ces théâtralités militantes, que le temps nous a rendues en partie étrangères.

Un nécessaire espace de liberté
Entretien avec Mario Longtin, mené par Marie Bouhaïk-Gironès

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Comptes rendus:

Les Théâtres documentaires, par Gérard Lieber

Compte rendu d’un ouvrage qui s’impose par son abondance, sa diversité et son élan. Difficile de chiffrer le nombre de spectacles analysés ou mentionnés dans une construction à la fois simple et complexe qui n’impose pas une grille de lecture unique et circule dans le temps depuis les années 1920 jusqu’à aujourd’hui et dans l’espace universel sans prétendre être encyclopédique.