Se taire, écouter, (en) parler: voix et silences des récepteurs dans les arts (arts plastiques, arts vivants, cinéma, littérature)
Appel à communications
Colloque international 4-6 novembre 2020
Université de Lorraine, Nancy
Se taire, écouter, (en) parler : voix et silences des récepteurs dans les arts
Arts plastiques – Arts vivants – Cinéma – Littérature
APPEL A COMMUNICATIONS
L’Occident a pris l’habitude de demander le silence aux récepteurs de l’œuvre d’art : le mutisme du lecteur, du spectateur de cinéma, du spectateur des arts vivants (théâtre, opéra, performances…) apparaît communément comme la condition première de l’acte de réception. Les pratiques artistiques contemporaines, de même que nombre d’approches universitaires, remettent largement en cause ce présupposé. De fait, le récepteur ne saurait être considéré comme une instance purement silencieuse. Sa voix intervient dans les processus et les dispositifs esthétiques, avant et après le contact avec l’œuvre, mais également, dans de nombreux cas, pendant l’expérience esthétique elle-même. Le projet du colloque « Se taire, écouter, (en) parler : voix et silences des récepteurs dans les arts » est de donner place, dans la réflexion sur la réception des arts, à la voix du spectateur, étant entendu que celle-ci n’existe et ne se comprend que dans un rapport de tension dialectique avec le silence. L’on propose donc aux chercheurs de se mettre à l’écoute de ce phénomène d’abord physique : les voix et les silences des récepteurs dans les arts.
Ce colloque international organisé par les membres du pôle de recherche « Voix et Silence dans les Arts » d’IDEA, et les laboratoires CERCLE, CRULH, LIS de l’Université de Lorraine ainsi que l’équipe de recherche ERIBIA de l’Université de Caen-Normandie, entre dans le cadre d’un projet pluriannuel et transdisciplinaire, débuté en 2016, sur le rapport dialectique voix et silence dans les arts. Outre un séminaire régulier, le projet « Voix et silence dans les arts » a donné lieu à un premier colloque international (Université de Lorraine, Nancy, 14-17 juin 2017), qui s’est concentré sur le pôle de l’émission : la tension entre voix et silence a été abordée à travers les phénomènes d’émission sonore, de souffle et de processus, de même que sur les notions de passage, d’entrelacement et de tension des voix et des silences et ce, tant en littérature, qu’au cinéma, au théâtre, en musique, dans les arts visuels et arts vivants. Il a donné lieu à la publication de l’ouvrage Voix et silence dans les arts : passages, poïèsis et performativité (2019). L’enjeu de ce second colloque est d’aborder, de manière complémentaire, le pôle de la réception.
Il est entendu que le récepteur ne saurait être défini par sa passivité. La phénoménologie de Merleau-Ponty (1945) a fourni une théorie de la perception en tant qu’activité. La sémiotique a pensé la « coopération interprétative » du lecteur (Umberto Eco, 1959). Les théoriciens de la réception de l’École de Constance (Jauss, Iser) ont permis de penser la part active du pôle de la réception dans l’histoire de la littérature. Avant eux, les manifestations Dada ont souligné avec une force iconoclaste la part des récepteurs dans l’acte créateur. Les propositions de Jacques Rancière permettent de déconstruire la supposée passivité du spectateur qui, de fait, observe, compare, interprète, « compose son propre poème avec les éléments du poème face à lui » (Le Spectateur émancipé, 2009). « Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste », déclarait déjà Marcel Duchamp en 1960. Il est également patent que le récepteur, loin d’être un pur esprit, est tributaire d’une existence corporelle qui joue un rôle majeur dans l’acte de réception. Tel est le premier présupposé et telle est la première leçon des pratiques du happening et de la performance. Après avoir interrogé le corps du créateur, notamment sous l’impulsion des approches sociologiques, les travaux universitaires tendent à donner aujourd’hui une place au corps des récepteurs. Des articles récents attestent cette préoccupation émergente : Anne-Marie Picard (2010) pour une approche psychanalytique du corps du lecteur, Serge Proust (2005) pour une approche du corps du spectateur de théâtre.
Le colloque « Se taire, écouter, (en) parler : voix et silences des récepteurs dans les arts » souhaite aborder la question de la réception en conjuguant la pensée de l’activité réceptrice et celle de la corporéité du récepteur. Il invite à interroger la manière dont l’activité du récepteur se traduit physiquement, en alternances d’éclats de voix et d’accueil silencieux – de ce fait, il questionne le rapport même entre voix et silence, comme c’est le cas dans les approches psychanalytiques de la voix. Il s’agit donc d’aborder la question de l’activité du récepteur à partir de ces deux termes indissociables et concrets que sont la voix et le silence. Le récepteur, considéré comme un sujet actif doté d’un corps, observe le silence et donne de la voix, alternativement et inséparablement.
La réflexion pourra s’articuler autour de trois axes principaux, sans exclusive :
— Histoires de récepteurs, cultures de la réception. En adoptant une approche diachronique et interculturelle, l’on pourra examiner différents moments dans l’évolution du statut du récepteur, et de la façon dont la littérature et les arts ont pu l’enjoindre à se taire ou à donner de la voix. Examinant les contextes dans lesquels on a pu faire taire le spectateur, ou imposer la norme de la lecture silencieuse, on verra comment les études de la réception engagent à appréhender les conditions historiques et culturelles favorisant certaines attitudes face à la parole du récepteur. On prêtera attention à l’histoire des conventions qui établirent et modifièrent la posture du spectateur face à l’œuvre et du lecteur face au texte, en régulant plus ou moins sa liberté de s’exprimer. On s’intéressera également à la façon dont ces histoires collectives interagissent avec chaque histoire individuelle, et interviennent dans la formation et l’éducation des récepteurs.
Par exemple, historiquement, le théâtre en Occident s’est plus souvent adressé à un spectateur libre de s’exprimer vocalement qu’à un spectateur contraint au silence – que l’on songe au théâtre grec, aux théâtres de la foire, au théâtre élisabéthain. La norme du spectateur silencieux, qui s’impose en Europe à la fin du XIXème siècle, installe une dialectique nette entre injonction au silence et ruptures transgressives de celle-ci. Cette norme mérite d’être interrogée et remise en perspective. De même, la lecture a plus longtemps été vécue, à l’échelle de l’histoire, comme une activité orale et collective que comme une activité silencieuse et solitaire. Dans son Histoire de la Lecture, Alberto Manguel revient à la surprise éprouvée par Saint Augustin face à la lecture silencieuse de Saint Ambroise de Milan. Il cite Les Confessions comme l’un des premiers lieux textuels où apparaît l’espace intérieur et intime de la lecture, par opposition à la pratique monastique à voix haute. Cette dernière impliquait le corps en entier, de sorte qu’on incorporait le texte en soi avec ses yeux, sa bouche, ses mains, son souffle. Au XIXème siècle, l’épreuve du « gueuloir » à laquelle se livrait Flaubert lors de la rédaction de Madame Bovary – véritable performance sonore –, révèle le souci de l’auteur d’anticiper la voix du lecteur : « Les phrases mal écrites ne résistent pas [à la lecture à voix haute] ; elles oppressent la poitrine, gênent les battements de cœur, et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie », disait-il. Dans un contexte différent, précisément dans la culture africaine américaine et caribéenne, la pratique de la relation émetteur/récepteur a infléchi ce rapport à la lecture silencieuse en présentant le mode participatif comme le mode normal de la réception. En outre, par sa voix et ses silences, le lecteur donne vie au texte. Le rôle du « lecteur-producteur » (Barthes) est de construire un autre texte au cours de sa lecture. L’on pourra ainsi s’interroger sur la place de la voix et des silences dans cette construction seconde.
— Ce que le regardeur/auditeur/lecteur dit (ou ne dit pas) de l’œuvre : interroger les réactions vocales et silencieuses du public. Un autre angle d’approche possible pourra s’intéresser aux problématiques aiguës soulevées par la question des réactions sonores et silencieuses du public à l’œuvre d’art. Ces dernières se répartissent selon un continuum reliant des situations et discours clairement codifiés et intelligibles, dont il est possible de rendre compte – ceux notamment de la critique – à des moments dans lesquels le sens réel de l’acte de réception, vécu comme un moment d’intimité silencieuse, semble devoir échapper à tout autre que le lecteur ou spectateur individuel. Il s’agira d’appréhender les différents degrés qui séparent ces deux pôles, également pertinents pour une étude des silences et des paroles de la réception.
Dans le domaine du spectacle, les réactions vocales du public peuvent être soit intempestives et inattendues, comme dans le cas célèbre du chahut du Sacre du printemps, soit recherchées et provoquées, comme dans certaines manifestations Dada, soit programmées, comme l’a voulu la logique de la « claque ». Dans tous ces cas, la salle de spectacle apparaît comme le théâtre d’un frottement de voix venues tantôt de la scène, tantôt du public, chacun cherchant parfois à réduire l’autre partie au silence. Au chapitre des voix et silences des spectateurs, il importe également de faire place aux moments para-spectaculaires et para-littéraires durant lesquels le spectateur a la possibilité de faire entendre ses réactions à l’œuvre. Sous cet angle, l’entracte est un carrefour décisif et signifiant : moment « politique » (Badiou) où le spectateur est invité à sortir du silence pour joindre sa voix aux voix de ses semblables avant de revenir au silence de la réception, l’entracte mérite que l’on écrive son histoire et sa poétique. Les dispositifs qui amènent les récepteurs à prendre la parole dans l’après (rencontres entre le public et les équipes de création, débats post-spectacle et autres « bords de plateau »), et qui parfois donnent un micro au spectateur, attendant une prise de parole forte et audible de celui que l’on voulait silencieux quelques instants auparavant, méritent d’être interrogés sous l’angle des relations dynamiques voix /silence.
Le domaine des spectacles n’est pas le seul concerné par la question des réactions du public par la voix et/ou le silence. Frederick Wiseman a su filmer les visiteurs qui déambulent dans le musée et capter le mystère d’une attention silencieuse, les échanges de murmures, ou encore le dispositif de la visite guidée (National Gallery, 2014). On tâchera d’envisager alors comment s’articulent voix et silence dans le bruit de fond des musées et lieux d’exposition, mais aussi dans les conversations informelles, la publication de critiques dans la presse ou à la radio, la formation d’un discours de la réception par les appareils scolaire et universitaire, ou encore l’adaptation conçue comme réaction et réponse à une ou des œuvres. Dans ce cadre, on ira jusqu’à envisager ces moments dans lesquels la réception, formulée et relayée par différents canaux – médiatiques, académiques, artistiques – devient à son tour l’objet d’une consommation de masse, et pose ainsi dans une nouvelle interaction entre discours et lecteurs, auditeurs ou spectateurs la question dialectique des voix et silences de la réception.
— Ce que font la voix et les silences du récepteur, à l’œuvre et dans l’œuvre : pour une poïétique de la réception. L’on pourra enfin se pencher sur les manières, multiples, dont les voix et les silences du récepteur font œuvre. Dans de très nombreux cas, ils sont un élément structurant de l’œuvre produite. L’usage du Call & Response dans le gospel n’en est qu’un exemple spécialement visible, comme l’est la poésie performative, la slam poetry et autres pratiques de l’oralité au cours desquelles le spectateur peut réagir à tout moment. L’on pourra se pencher tout particulièrement sur la manière dont le contemporain met en jeu et en scène les voix et les silences des récepteurs en tant que matières sensibles de l’œuvre. 4’ 33’’ de John Cage est le marqueur le plus célèbre de cette tendance du contemporain. Dans sa performance The Artist Is Present, Marina Abramovic crée les conditions d’un face-à-face silencieux et d'un jeu de regards entre l’artiste et chacun de ses récepteurs, comme un contrepoint troublant à la civilisation du commentaire (Steiner) qui empile les discours et les médiations entre l’œuvre et ceux qui pourraient la rencontrer. Dans les installations sonores et immersives de Bruce Nauman, le corps du spectateur est mis à rude épreuve physiquement et mentalement par l’espace dans lequel il évolue, comme dans Corridor ou dans Get Out of My Mind, Get Out of this Room où une voix impersonnelle, injonctive et insistante, l’assaille de toutes parts. Dans Sleep No More (Compagnie Punchdrunk, 2011), exemple emblématique du promenade theater, le spectateur, masqué, libre de ses mouvements mais invité au silence, prend pied dans la fiction en tant que regard anonyme mais incarné, spectre errant, présence silencieuse perturbante pour les autres spectateurs. Enfin, la vogue contemporaine des spectacles « participatifs », soucieuse de revivifier les rapports entre scène et salle, ménage volontiers des moments de prise de parole, ou de chant, des spectateurs. En témoignent, par exemple, les opéras participatifs mis en œuvre notamment par l’opéra de Rouen, le théâtre immersif contemporain (Closer de Patrick Marber, la Compagnie du Libre Acteur, DAU), l’écoute participative qu’interrogent les membres du projet LED (The Listening Experience Database, 2014, fruit d’une collaboration entre l’Open University, le Royal College of Music et l’Université de Glasgow), ou encore les dispositifs de présence et d’échange dans le Cinéma corporel (Maria Klonaris, Katerina Thomadaki).
Les voix et silences du récepteur sont également un matériau de premier ordre pour les opérations de mise en fiction, qui ouvrent à une réflexion en abyme sur les dialogues de l’œuvre et de ses récepteurs. Le cinéma met souvent en scène des spectateurs de cinéma, dans l’instant même de leur face à face avec l’écran. Le regard fasciné que porte Nana sur la Passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer dans Vivre sa vie de Jean-Luc Godard (1962) est celui d’un personnage parlant, temporairement muet devant un film lui aussi muet. Le théâtre sait également mettre en scène des paroles de spectateurs, au sein même de la fiction : le spectateur irascible d’Eleutheria de Beckett (écrite en 1947, publiée en 1995), les spectateurs anonymes dont Jean-Claude Grumberg a recueilli les réactions post-spectaculaires pour en faire la matière de Sortie de théâtre (2000), la fantasque « Vieille du premier rang » dont les rêveries à haute voix lui donnent de figurer parmi les Histrions éponymes de Marion Aubert (Les Histrions, 2006). Il y a lieu d’explorer les formes et les enjeux de ces gestes de création qui, mettant en scène l’acte de réception et ses manifestations sonores, sortent le récepteur de l’obscurité silencieuse à laquelle une certaine tradition de la pensée occidentale semblait le vouer.
Ce colloque invite chercheurs, théoriciens et praticiens (metteurs en scène, cinéastes, performers, conteurs…) et toute personne intéressée par cette problématique à proposer des études d’ordre théorique et pratique sur les voix et les silences des récepteurs en littérature, au cinéma, dans les arts plastiques et les arts vivants.
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Les propositions de communication (500 mots) accompagnées d’un titre et d’une courte bio-bibliographie (150 mots) sont à envoyer au format Word à Claudine Armand et Diane Leblond :
Claudine.armand@univ-lorraine.fr
Diane.leblond@univ-lorraine.fr
Les langues du colloque sont l’anglais et le français. La durée des communications ne dépassera pas 20 minutes.
Date limite de soumission des propositions : 3 mai 2020
Réponse du comité scientifique : 4 juin 2020
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Conférenciers invités
Mathieu Duplay (littérature, Université Diderot-Paris 7)
Stéphane Ghislain Roussel (art plastiques, musicologie, commissaire d’exposition, Luxembourg)
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Artiste invitée
Tameka Norris (Nouvelle-Orléans, USA)
Bibliographie
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Comité d’organisation : Claudine Armand, Pierre Degott, Jean-Philippe Heberlé, Yannick Hoffert, Lucie Kempf, Diane Leblond, Jean-Marie Lecomte, Gilles Marseille, Barbara Muller, Marcin Stawiarski.
Comité scientifique :
Claudine Armand (Littérature et art américain, interface texte / image, UL – site de Nancy)
Kathie Birat (Littérature américaine et caribéenne, UL – site de Metz)
Johan Callens (Théâtre, performance, Vrije Universiteit Brussel)
Gilles Couderc (Texte et musique, 19-20ème Université de Caen-Normandie)
Pierre Degott (Musique 17-18ème, UL – site de Metz)
Jean-Philippe Heberlé (Texte et musique 20-21ème, UL – site de Nancy)
Yannick Hoffert (Théâtre et littérature française du XXème, UL – site de Nancy)
Lucie Kempf (Théâtre 20-21ème, UL – site de Nancy)
Diane Leblond (Littérature britannique contemporaine, culture visuelle, UL – site de Metz)
Jean-Marie Lecomte (Cinéma américain, UL – site de Nancy)
Olivier Lussac ((Esthétique/arts plastiques, UL – site de Metz)
Gilles Marseille (Histoire de l'art, période contemporaine, UL – site de Nancy)
Marcin Stawiarski (Littérature et musique, Université de Caen-Normandie)
Patrick Van Rossem (Histoire de l'art, art contemporain, Université d’Utrecht)