Appel à communications
Colloque Gasp8 2019
Viande(s)
Stéréotypies sémiotiques et inquiétudes culturelles
Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis,
20-21 juin 2019
La viande est un formidable creuset de significations. En elle se mêlent le charnel et l’idéologique, le corporel et le spirituel, l’organique et le conceptuel, l’esthétique et le politique, le sensible et l’intelligible, le langage et le référent, la vie et la mort… Et ainsi de suite : quelle que soit la catégorie de l’univers sémantique qu’on sollicite, elle semble ouvrir un espace à la viande. Le récit contemporain en actualise avec force les modes de présence et surtout réactive les questions qu’elle suscite : enquêtes de l’association L 214, débats sur le véganisme, législation sur le bien-être animal, etc. Il est donc utile d’interroger aujourd’hui, comme un sujet brûlant, cet espace sémiotique.
À la suite du colloque sur « La parole aux animaux. Conditions d’extension de l’énonciation » (janvier 2017) dont les Actes ont été publiés sur le site Fabula[1] (mars 2018), le Groupe d’Activités Sémiotiques de Paris 8 (Gasp8) engage une nouvelle orientation de ses travaux dans le prolongement des recherches contemporaines en zoosémiotique. Il propose donc une réflexion collective sur cet objet en crise aujourd’hui dans nos sociétés : la viande.
Quelle image de l’animalité, de l’humanité et de leurs relations réciproques l’analyse de la chair devenue viande permet-elle de former ? Cette question dont les implications disciplinaires sont multiples – anthropologiques, philosophiques, historiques, éthologiques – sera envisagée dans une perspective sémiotique. Cela signifie que cet immense domaine sera resserré sur le problème du sens filtré par les langages – verbal, visuel, gustatif, olfactif, etc. –, saisi de manière transversale dans les différents champs socio-culturels et disciplinaires où la viande et ses formes prennent place. Les orientations de cet appel à communication concernent donc les champs suivants :
1. Le champ philologique et sémantique
Le dictionnaire indique que le sens « vieilli » du mot « viande » est l’« aliment dont on se nourrit ». Etymologiquement, venu du bas-latin vivanda, il indique globalement « ce qui sert à la vie ». Mais il a désigné divers types d’objets : un aliment quelconque d’abord, puis restrictivement toute chair animale, se substituant à char/carn/carne que conservent toutes les autres langues romanes. Par la suite, son empan s’est encore restreint à la chair des animaux non aquatiques, et enfin aux seuls mammifères, tout en excluant – à l’exception d’emplois familiers et imagés – la chair humaine. Cette évolution fait que de nos jours, la chose (et avec elle le mot), naguère associée à la vie (de l’humain), tend de plus en plus à être associée à la mort (de l’animal). Evolution qui culmine aujourd’hui avec les polémiques sur les façons de tuer des bêtes et de manger – ou non – de la viande.
« Prenez et mangez, ceci est mon corps » est au centre du mystère eucharistique chrétien ; or, l’expression para-synonymique, « Prenez et mangez, ceci est ma viande » paraîtrait non seulement incongrue mais scandaleuse. L’usage établit, en effet, des distinctions sémantiques rigoureuses entre « corps » et « viande », entre « corps » et « chair », entre « chair » et « viande ». Les emplois métaphoriques de viande désignant l’humain, à dominante répulsive (« amène ta viande ! », « sac à viande », « se viander », « viande froide »), ne font que confirmer les seuils sémantiques (intériorité / extériorité, non-animé / animé, culture / nature, vie / mort). Peut-on envisager une sémiotique de la viande comme s’est développée une sémiotique du corps ? Une première série de propositions de communications portera sur les questions linguistiques et plurilingues que pose le champ philologique, en y intégrant les dimensions textuelle et discursive.
2. Le champ anthropo-sémiotique
Le mot « viande » semble attester la séparation entre l’humain et le non humain : il apparaît même comme un totem de cette frontière. Or, les développements récents de l’ethno- et de l’anthropo-sémiotique se fondent pour une large part sur la modulation des relations que les sociétés établissent entre ce qui relève de la culture et ce qui relève de la nature à partir des relations de continuité et de discontinuité entre l’homme et son environnement, variables selon les cultures, telles que les a dégagées, dans ses travaux désormais célèbres, Philippe Descola. Le passage de la viande comme évidence alimentaire à la viande comme problème est-il déterminé par le statut frontalier de cet objet ? La prédation et la consommation de la viande, transgressant confusément un tabou, doivent-elles être compensées par un acte de purification ? Peut-on y voir un foyer de la signification mythique ? Une deuxième série de communications interrogera, à travers les discours contemporains, cette dimension anthropo-sémiotique de la viande.
3. Le champ symbolique, du religieux à l’esthétique
La fonctionnalité alimentaire, appropriation organique de l’animal mort et comestible, coexiste donc avec la sacralité et la spiritualité. Le rapport que l’homme entretient avec la nourriture animale est culturellement régi par des instructions cultuelles. La viande s’institue, bien souvent, comme instrument d’interaction avec le sacré depuis les interdits religieux (le porc ici, le chien là, la vache ailleurs) jusqu’aux techniques d’abattage et aux prescriptions diverses, entre les sacrifices et les sacralisations d’animaux. Au sein de l’univers laïc lui-même, le rapport à la nourriture carnée est soumis, quasi-rituellement, à la variation des convictions. Ainsi en est-il des tendances de notre époque : flexitarisme, végétarisme, véganisme avec les idéologies qui leur sont liées. Par ailleurs, les axiologies investies dans la viande – gustative, esthétique, etc. – déploient un champ immense de discours épidictique, entre disputes et glorifications. Une troisième série de communications interrogera, à travers les discours verbaux ou visuels, techniques, littéraires ou artistiques, passés ou contemporains, cette dimension symbolique de la viande.
4. Les champs socio-sémiotique et politique
Avec ses programmes et ses sous-programmes, la syntaxe narrative de la viande – élevage ou non, prédation (domestique ou sauvage), découpage, maturation, cuisson, dégustation – présente en chacune de ses séquences des lieux problématiques. En référence au modèle des axiologies de la consommation modélisées par Jean-Marie Floch, le colloque accordera une part privilégiée à l’étude des stratégies énonciatives et à leur emploi dans un discours public multiforme. Ainsi, on pourra interroger le pôle des valeurs pratiques et l’exaltation de l’efficacité qui permet l’éloge du carnisme comme du végétalisme et suscite des controverses socio-économiques avec leurs prolongements éthiques. Ou le pôle des valeurs critiques, porteur de messages inquiets sur la diététique, matrice de conflits sur les dangers de la consommation, ou non, de viande, avec leurs prolongements politiques et juridiques (relation entre acteurs : professionnels et pouvoirs publics, groupes de pression et activistes, gestion de la prévention sanitaire). Ou encore les pôles des valeurs ludiques (hédoniste, avec ses joutes de gourmets) et utopiques – ou dystopiques (projetant par exemple la cité « idéale » d’un monde privé de toute prédation).
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Centré sur une approche sémiotique, le colloque a donc globalement pour objectif d’étudier la manière dont le langage et les discours font corps avec la viande. Entre praxis énonciative et praxis culturelle, il s’agit d’explorer les dimensions d’un objet qui conjoint par excellence, et de manière peut-être aveuglante, l’organique, le discursif et l’idéologique. Le colloque se veut une contribution au dessillement.
Les propositions de communication sont à adresser, avant le 15 mars 2019, à :
Inga Velitchko et Rim Amira
Ces propositions doivent préciser le nom et le rattachement institutionnel de chaque auteur, avec le titre et le résumé de l’intervention proposée (1500 signes maximum).
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Comité organisateur
Le comité organisateur est constitué des membres du Gasp8, en grande majorité enseignants, chercheurs ou doctorants à l’université Paris 8 : Rim Amira, Denis Bertrand, Ludmila Boutchilina, Grégory Carteaux, Veronika Chernaia, Michel Costantini, Evelyna Deyneka, Veronica Estay Stange, Pauline Hachette, Raphaël Horrein, Françoise Ploquin, Everardo Reyes, Yanis Touazi, Inga Velitchko.
Gasp8
Le Groupe d’Activités Sémiotiques de Paris 8 (Gasp8), créé en 2015 à l’initiative des professeurs de sémiotique du département des littératures française et francophones, Denis Bertrand et Michel Costantini, a consacré sa recherche dans les années 2016-2018 à la problématique des conditions d’extension de l’énonciation par delà la sphère humaine et notamment à l’expression animale. Le point culminant en a été la publication des actes de la journée d’étude « La Parole aux animaux. Conditions d’extension de l’énonciation » du 27 janvier 2017 (voir Fabula : https://www.fabula.org/colloques/sommaire5363.php). Pour l’année 2018-2019, le Gasp8 s’attache à la question de l’animalité dans la langue, dans les discours verbaux et non verbaux – soit aux représentations imaginaires des animaux et de leur(s) supposée(s) nature(s) par les sociétés et les cultures, telles que les fixe et les met en question la praxis énonciative.