Fins intermédiaires ou fin unique : la double tentation des romans épistolaires au xviiie siècle
1La question des fins intermédiaires étant intimement liée à celle de la composition romanesque, ma perspective se situera dans la continuité du colloque La Partie et le tout, coorganisé par Jean-Paul Sermain et publié chez Peeters en 2011. La composition des romans épistolaires pose en effet de façon aiguë la question de leur fin, quelle qu’en soit la formule (monophonique ou polyphonique). La formule portugaise est vouée à l’incomplétude et à l’indécision, la formule polyphonique doit choisir à quel personnage le romancier va donner la parole en dernier lieu, laissant ouvertes des fins plurielles, voire discordantes. À cette difficulté posée par la fin en elle-même, peuvent s’ajouter, dans certains romans, des récits insérés qui constituent une tentation polyphonique dans le cas du roman monophonique (ou qui redoublent la polyphonie épistolaire) et qui présentent des « fins intermédiaires » contraires à une fin unique. Inversement, on peut également déceler une tentation monophonique dans les romans polyphoniques qui se manifeste, notamment, par le passage à un récit continu, assumé par un personnage du roman qui devient narrateur, ou par un récit à la troisième personne qui mène l’histoire à sa fin, au prix d’un changement énonciatif autorisé par la forme libre de la fiction épistolaire. J’examinerai donc tout d’abord la question générale de la fin d’un roman épistolaire, puis quelques cas de récits insérés présentant des fins intermédiaires (c’est la tentation polyphonique), et enfin à l’inverse, la tentation du récit continu et d’une fin unique dans quelques romans polyphoniques.
2Le modèle épistolaire de type portugais est voué à l’indécision puisque l’épistolière ne peut raconter sa propre fin : elle ne peut que l’annoncer et la laisser en suspens, en l’absence d’autre voix. Ainsi la préface des Lettres de la marquise de Crébillon annonce-t-elle rétrospectivement la disparition de l’épistolière1. Pour les romans polyphoniques, la question de la fin recoupe celle de la pluralité des voix (toute proportion gardée, comme au théâtre, où la parole est donnée aux personnages et pose ce problème au dramaturge : à qui donner le mot de la fin ?). On pourrait ici opposer un modèle tragique qui gouverne, par exemple, la fin des Lettres Persanes (et qui permet la coïncidence, dans la dernière lettre de Roxane, entre le dénouement de la tragédie du sérail et une conclusion morale ou philosophique affirmant la nécessité de la liberté et son lien indéfectible avec la vertu et avec le bonheur), et un modèle ironique qui joue de la polyphonie pour refuser de conclure, avec l’exemple des Liaisons dangereuses. La dernière lettre de Mme de Volanges, si elle contient quelques éléments d’information sur le dénouement du roman (concernant le sort de la marquise de Merteuil qui se trouve être sa parente) ainsi que la formule du titre (« qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ! »), ne saurait en rien constituer sa fin morale, en raison de l’ignorance de Mme de Volanges et de son aveuglement concernant sa propre fille. Ses propos se trouvent ainsi très en-deçà des réflexions émises par Mme de Rosemonde et par le chevalier Danceny dans les lettres précédentes, deux personnages qui ont en commun d’être ceux qui vont rassembler les diverses correspondances du roman, cette collection de lettres dont l’auteur prétend n’être que l’éditeur2 et d’être ainsi informés et éclairés sur leurs agissements. Ajoutons que la note finale de l’éditeur ôte encore à la dernière lettre de Mme de Volanges sa dimension conclusive, en suggérant une suite qui ne peut être donnée (pour d’obscures raisons) et une possibilité, suspendue et virtuelle, de compléter cette histoire.
3À ces ambiguïtés proprement finales, peuvent s’ajouter des récits insérés qui produisent, selon les cas, des fins intermédiaires. Les récits insérés font partie de l’histoire du roman, et contredisent, de ce fait, la supposée vérité des ouvrages qui les accueillent (on ne trouve généralement pas de délégation de parole dans les vrais Mémoires ni dans les correspondances authentiques) : ce sont des indices de fiction. Ces récits peuvent être autonomes ou non, posséder ou non un titre propre, et avoir différents statuts par rapport à la narration ou l’énonciation première (homo- ou hétérodiégétique, intra- ou extradiégétique selon la terminologie genettienne). Ainsi par exemple dans Le Roman comique, on ne saurait mettre sur le même plan les quatre nouvelles espagnoles, qui n’ont aucun rapport direct avec l’histoire cadre et peuvent apparaître comme des digressions, et l’histoire de Destin (I, 13, 15, 18), celle de la Caverne (II, 3) ou celle de Léandre (II, 5) : ces personnages sont des protagonistes du roman et racontent eux-mêmes leur histoire à la première personne, histoires qui interfèrent d’ailleurs subtilement avec le récit premier. Certains récits insérés ont eu des destins éditoriaux particuliers : l’histoire de la Mme de la Pommeraye a acquis une sorte d’autonomie grâce à la traduction de Schiller publiée à part en 1785 avec un nouveau titre (Merkwürdiges Beispiel einer weiblichen Rache : en français, Exemple singulier de la vengeance d’une femme)3. Les récits insérés peuvent avoir leur fin propre, mais celle-ci peut également coïncider avec la fin du récit premier parce que l’auteur ne revient pas à celui-ci après le récit emboité : de cette façon, la fin de Manon Lescaut est aussi celle des Mémoires et aventures d’un homme de qualité. La fin du récit de Tervire est aussi celle de La Vie de Marianne puisque Marivaux ne revient pas, in fine, à sa première narratrice.
4Dans le roman épistolaire, les récits insérés n’ont théoriquement pas leur place car ils interrompent la correspondance et privilégient une voix énonciative narrative continue au détriment du caractère fragmenté et lacunaire de l’échange épistolaire. Ils peuvent prendre des proportions monstrueuses comme les récits de Sainville et Léonore dans le roman épistolaire de Sade, Aline et Valcour4. Dans un roman monodique, ils introduisent de la polyphonie, dans un roman polyphonique, c’est l’inverse, ils introduisent une voix continue. Voyons le premier cas, qu’on peut appeler la tentation polyphonique du roman de type portugais : je m’appuierai sur deux exemples, deux romans de Crébillon et de Mme Riccoboni.
5Dans les Lettres de la marquise de M*** au comte de R***, Crébillon introduit deux entorses à la monodie épistolaire : d’une part il présente un récit de la vie de la marquise qui est une sorte de petit roman-mémoires inséré dans la lettre 40 (Jean Sgard l’appelle une « lettre-confession ») ; d’autre part, et c’est plus audacieux encore, il insère dans deux lettres successives (46-47) un long récit oral du mari de la marquise, retranscrit par elle et envoyé au comte : ici intervient une autre voix dans ce roman monophonique de type portugais.
6Le récit confession de la lettre 40 dont Laclos s’inspirera avec la lettre 81 de la marquise de Merteuil est un embryon de roman-mémoires marqué par une rupture avec le style épistolaire : « Je commence » (ce qui annonce une fin) et un alinéa. Répondant à la jalousie du comte, il raconte brièvement l’éducation de la marquise, un premier amour contrarié par un mariage arrangé, ses deux ans d’amour conjugal, moment heureux qui se termine avec les infidélités de son mari, la rencontre avec le comte antérieure au début du roman et qui était jusqu’alors une lacune, et il résume enfin la correspondance entre les deux amants, ce qui lui fait rejoindre le présent épistolaire mais dans une autre modalité, synthétique et surplombante. Assez logiquement, la fin de la lettre glisse vers l’anticipation, une prolepse présentant un repentir de la marquise (mais sur un ton badin) qui ne se retrouvera que dans les dernières lettres : on peut dire que cette fin intermédiaire annonce la fin du roman bien qu’elle en soit assez éloignée. Dans ce court récit, le temps est donc étiré, élargi par rapport à la temporalité du roman. Il apporte certes de nombreux éléments intéressants sur les relations entre les trois personnages, mais il témoigne aussi d’une ambition totalisante qui veut restituer la continuité et la cohérence d’une vie, et entre ainsi en tension avec le caractère fragmenté et lacunaire de l’écriture épistolaire.
7Le récit inséré que le mari de la marquise fait à sa femme et qu’elle retranscrit dans les lettres 46 et 47 introduit une autre voix et une histoire annexe (même si elle recoupe en partie celle de la marquise, notamment leurs deux ans d’amour conjugal). Cette histoire raconte les déboires d’un libertin amoureux d’une coquette ou celle du trompeur trompé : infidèle auprès de son épouse, le marquis est trompé par sa maitresse, plus inconstante que lui et il cherche à s’en venger. On ne sait pour quelle raison la marquise raconte, si longuement, la « lamentable » histoire de son mari : est-ce une mise en garde adressée à son amant, afin de le détourner des coquettes et notamment de cette rivale possible, cette madame de *** ? N’est-ce pas plutôt une manière de lui signaler le retour de son mari vers elle, afin de le rendre jaloux ? Cette confidence d’un mari volage à sa femme n’est-elle pas un peu étrange ? Ne confirme-t-elle pas le caractère foncièrement triangulaire de toutes ces relations (c’est le marquis qui a présenté le comte de R*** à sa femme) ? Le récit inséré présente moins une fin intermédiaire qu’un contrepoint burlesque et un phénomène d’écho à l’histoire principale, marquée par l’ambiguïté5.
8Dans les Lettres de Milady Juliette Catesby (1759) de Mme Riccoboni, roman monophonique formé des lettres que l’héroïne envoie à son amie, Henriette Campley6, deux récits racontent l’histoire des personnages principaux : le premier, inclus dans la lettre XIV (écrite par Juliette), intitulé Histoire de Milady Juliette Catesby et de Milord d’Ossery, raconte l’histoire d’amour entre les deux personnages, mais aussi le départ soudain et le mariage de Milord d’Ossery avec Miss Jenny Montfort, événements qui désespèrent l’héroïne, mais restent inexpliqués et produisent un effet d’attente ; la deuxième histoire, intitulée Histoire de Milord d’Ossery, incluse dans la lettre XXXV, rédigée cette fois-ci par le personnage masculin, raconte comment une faiblesse passagère pour Miss Jenny l’obligea à l’épouser, malgré son amour pour Juliette. Excepté le dénouement proprement dit (la mort de sa femme permet à Milord d’Ossery de se rapprocher de Juliette qui accepte finalement de l’épouser), toute l’intrigue du roman se trouve contenue dans ces récits, qui vide l’échange épistolaire de son intérêt dramatique et le limite à des confidences sentimentales que Juliette fait à son amie. De plus, le fait que ces deux histoires aient deux narrateurs différents s’oppose au principe monophonique du roman en provoquant une variation du point de vue.
9C’est cette variation du point de vue qui constitue l’intérêt structurel du roman de Crébillon, Les Heureux Orphelins7, dont la narration est hybride et associe trois énonciations différentes : après une première partie à la troisième personne racontant l’histoire des orphelins (où apparaît déjà le libertin Chester), la seconde partie est constituée de l’Histoire de Mme de Suffolck racontée par elle-même à Lucie, l’orpheline devenue sa dame de compagnie, tandis que les 3e et 4e parties sont formées des lettres du comte de Chester adressées par lui à un ami français (M. le duc de ***), recueil qui forme son histoire secrète (elle raconte sa triple séduction de trois femmes dont Laclos se souviendra avec l’histoire de Prévan) et qu’un ami de Mme de Suffolck lui confie afin de la guérir de sa fatale passion. Les deux histoires se répondent puisque Chester est le séducteur de Mme de Suffolck dont elle est passionnément éprise et font voir les deux points de vue opposés, celui de la passion aveugle, celui du cynisme éhonté. La polyphonie vient de cette confrontation de deux monodies, l’une sur le modèle du récit rétrospectif à la première personne, l’autre sur le modèle de la monophonie épistolaire. La fin de l’histoire de Mme de Suffolck (et de la 2e partie) raconte les efforts de cette dernière pour se détacher de son amant, dont elle a découvert la perfidie, et son projet de fuir l’Angleterre. Bien qu’elle soit placée avant, elle est largement postérieure à la fin des lettres de Chester qui s’achèvent avec la victoire du libertin sur les trois femmes et la perspective d’un rendez-vous avec Mme de Suffolck dans une petite maison, épisode raconté au milieu du récit de celle-ci8 et suivi de son amère désillusion, de la découverte des mensonges et des trahisons de son amant9, de sa maladie et son désespoir suicidaire, du croisement entre l’histoire de Lucie et de celle de Mme de Suffolck lorsqu’il s’avère que lord Durham et lord Chester ne sont qu’une seule et même personne (nouvelle avanie pour la duchesse puisqu’elle découvre ce faisant qu’il séduit aussi bien une ouvrière qu’une grande dame) et enfin de son dessein de l’oublier et de quitter l’Angleterre, malgré sa difficulté à se détacher de cette passion10.
10Dans ces deux « récits » parallèles (on ne revient ni au récit à la troisième personne initial, ni au récit de Mme de Suffolck à la fin), la première fin ou fin intermédiaire (fin du livre II) est donc postérieure à la fin dernière (fin du livre IV) : l’ordre des récits n’est pas temporel, mais ils sont parallèles et chacun éclaire l’autre ; cette structure invite à une lecture circulaire et non linéaire : on est tenté de relire l’histoire de Mme de Suffolck après avoir lu les lettres de Chester, afin de voir les choses selon l’autre point de vue et donc d’effectuer, apparemment, un retour en arrière11. La question de la fin ou de l’inachèvement du récit passe ainsi au second plan, même si on peut la poser car on ne revient pas à l’histoire des orphelins qui reste en suspens. Philip Stewart a observé que les agressions subies par Lucie au tome I sont postérieures à l’aventure de Mme de Suffolck au tome II. La partie IV de Chester n’arrive pas non plus au même point que l’histoire de Mme de Suffolck : les trois récits s’arrêtent de plus en plus tôt, et leurs fins sont moins intermédiaires que régressives. Mais cela n’a pas d’incidence sur l’ensemble, le récit de Mme de Suffolck étant le plus complet des trois et permettant de combler les lacunes diégétiques des deux autres. Ainsi les trois parties du roman se complètent et produisent un original système d’échos et de points de vue croisés.
11À l’inverse de cette tentation polyphonique qui peut multiplier les fins intermédiaires, on peut observer une tentation monophonique et linéaire (au sein même des romans polyphoniques) menant vers une fin.
12La nécessité de raconter, par exemple, la mort du personnage principal, transforme une des dernières lettres en récit : c’est le cas de l’immense lettre de Wolmar dans La Nouvelle Héloïse (VIe partie, lettre XI) ou de la très longue lettre finale de Valérie de Mme de Krüdener racontant les derniers moments de Gustave : récit déguisé incluant des fragments du journal de la mère de Gustave pour compléter les portraits du personnage par des souvenirs plus anciens. Selon Lucia Omacini, Valérie fait partie de ces romans épistolaires « qui transforment la formule polyphonique en monodie dialogique »12.
13Dans La Nouvelle Héloïse, on peut déceler une tendance monophonique ou portugaise derrière ou à côté de la polyphonie. Lors du colloque « La partie et le tout », Jacques Berchtold avait observé que « le nombre de lettres décroit [pour sa part] de façon régulière et continue », or le nombre de pages étant quasi égales dans les deux parties, cela veut dire que les lettres sont plus longues13. Un personnage comme Wolmar joue le rôle de narrateur dans la seconde moitié du roman (notamment dans l’énorme lettre XI de la VIe partie), alors que l’échange épistolaire entre les deux amants a cessé. Inversement, dans la première moitié du roman14, Saint-Preux avait eu l’idée de rassembler trente lettres de Julie et de les recopier en un recueil, un livre blanc, qui aurait formé un roman épistolaire à une seule voix : roman dans le roman à vertu édifiante, destiné à servir de « manuel dans le monde » et de « contre-poison des maximes qu’on y respire », ce roman virtuel pourrait être la version monophonique du grand roman polyphonique de Rousseau.
14Enfin Rousseau lui-même écarte la polyphonie et la variété de l’œuvre : il insiste dans la seconde préface sur sa simplicité et souligne le « tour bizarre et peu varié15 » des lettres de ses personnages (qu’il qualifie à plusieurs reprises d’enfants) ; il affirme ainsi une unité de ton, parlant d’hymnes, de chant lyrique sacré, ou encore de « romance » pour qualifier son œuvre16. Pour atteindre cette unité de ton, Rousseau a sacrifié les éléments hétérogènes et les fins intermédiaires qui pouvaient les accompagner et mis à l’écart des épisodes ou histoires des personnages, notamment celle des amours de milord Edouard17, mais il fait aussi l’ellipse du voyage de Saint-Preux au milieu du roman, celle des confidences de Wolmar à Julie sur sa vie, dont on ne saura rien etc. C’est au prix de ces manques et de ces lacunes18, de ces suppressions et de ces retranchements que le roman peut ressembler à une « longue romance dont les couplets pris à part n’ont rien qui touche, mais dont la suite à la fin produit son effet19 ».
15Deux romans diversement inspirés de celui de Rousseau vont transformer véritablement l’échange épistolaire en récit continu (ce que Rousseau ne fait pas20). Le Nouvel Abeilard, ou lettres de deux amans qui ne se sont jamais vus, de Rétif de la Bretonne, est un roman par lettres en quatre volumes publié en 1778. La séparation des personnages justifie, au début du roman, l’échange épistolaire : les parents d’Abélard et d’Héloïse, voulant marier leurs enfants et souhaitant que ceux-ci soient heureux en mariage, les élèvent séparés l’un de l’autre, ne les font se connaître que par des portraits dont ils tombent amoureux et les autorisent à une correspondance étroitement surveillée dans laquelle ils enchâssent histoires et contes bleus. Lorsqu’ils se rencontrent enfin au livre IV, le romancier, lassé de l’échange épistolaire imposé à ses personnages, prend le relais en racontant la suite à la troisième personne ; ce point de vue surplombant lui permet de narrer des scènes dialoguées et de mener le récit vers une fin unique contraire à la fragmentation épistolaire.
16Dans le roman de Madame Cottin, Claire d’Albe, fortement inspiré par Rousseau, on observe également la transformation du roman polyphonique en récit continu : l’avant-dernière lettre (lettre XLV d’Elise) contient un récit inséré à la troisième personne racontant la mort de l’héroïne. Destiné à une lectrice future, la fille de Claire, ce récit est censé donner à ce roman in fine une dimension morale. Le passage de l’épistolaire au récit s’accompagne de la note suivante (de l’éditeur) : « ici finissent les lettres de Claire : le reste est un récit écrit de la main d’Elise. Sans doute elle en aura recueilli les principaux traits de la bouche de son amie, et elle les aura confiés au papier, pour que la jeune Laure, en les lisant un jour, pût se préserver des passions dont sa déplorable mère avait été la victime21 ». Indépendamment de l’objectif moral, confier à un seul narrateur (intra- ou extradiégétique) la fin d’une correspondance polyphonique revient à gommer l’ambiguïté foncière de cette structure romanesque et à rechercher une unité.
17Si les fins intermédiaires sont favorisées par les formes mouvantes, complexes, polyphoniques, et souvent ironiques, du roman d’ancien régime, il y a aussi quelque difficulté à ne pas conclure, à éluder la fin. À côté des modèles ironiques privilégiant les récits pluriels et les confrontations de points de vue, coexiste une tension vers la cohésion du récit, qu’il s’agisse d’une narration continue, qui a le mérite de la simplicité, de la formule dramatique du dénouement ou encore d’une unité musicale comme la romance rousseauiste.