Une histoire des rois de Norvège
1Le présent ouvrage est le deuxième tome de la traduction en français de l’Histoire des rois de Norvège, ou « Heimskringla » en langue originale, par François-Xavier Dillmann. Cette compilation de seize sagas, composée autour de 1230, est traditionnellement attribuée à l’auteur islandais Snorri Sturluson (1179‑1241). La recherche dans le domaine des études médiévales scandinaves divise traditionnellement cette œuvre en trois parties : la première qui comprend les six premières sagas de la compilation, la seconde composée uniquement de la Saga de saint Olaf, et la troisième composée des neuf dernières sagas et qui s’achève sur la Saga Magnús Erlingsson. La traduction de Dillmann, dont le premier tome est paru en 2000, respecte fidèlement cette division et le second tome est donc exclusivement consacré à la Saga de saint Olaf. Cette saga est la plus importante de la compilation tant par sa taille que par son sujet : saint Óláfr est le saint patron de la Norvège et sa biographie représente le cœur de l’œuvre de Snorri.
2En plus de la traduction, longue de 381 pages, l’ouvrage de Dillmann comprend une introduction de 64 pages, une note sur la traduction de 11 pages, et un exceptionnel appareil critique composé de 649 pages de notes et 116 pages d’appendices (une section sur les manuscrits et les éditions, des généalogies, des cartes, des illustrations en couleurs, ainsi qu’une bibliographie et un index).
3Dans la première partie de son introduction Dillmann revient sur les sources de la saga, parmi lesquelles il identifie l’Histoire du roi Olaf le Saint de l’auteur islandais Styrmir le Savant, († 1245), l’Orkneyinga saga, la Færeyinga saga ainsi que des poèmes composés du vivant du roi Olaf le Saint, et transmis oralement jusqu’à l’époque de Snorri. Dans son introduction Dillmann prend clairement le parti de considérer la Saga de saint Olaf comme une source historique. Dillmann rejette les conclusions de l’école hypercritique selon laquelle la grande majorité de l’œuvre de Snorri ne serait qu’une pure invention littéraire. L’auteur argumente bien son propos et analyse avec précision l’emploi que fait Snorri de ses sources, en particulier les strophes poétiques parfois composées par des poètes témoins des évènements relatés. En cela l’analyse de Dillmann rejoint l’historiographie moderne qui ne prête guère plus de crédit aux thèses hypercritiques. Cela dit, si Snorri essaye généralement de s’appuyer sur des sources, et s’il fait souvent preuve de rigueur et d’acuité dans sa méthode historique, il n’est pas pour autant un observateur neutre. Il a été remarqué depuis longtemps que l’apparente objectivité du narrateur des sagas n’empêche pas l’auteur de recourir à d’autres procédés rhétoriques pour influencer son lecteur1. La Heimskringla ne fait pas exception et les travaux de Bruce Lincoln, par exemple, montre que pour Snorri l’écriture de l’histoire est aussi affaire d’idéologie2. Ceci n’est pas surprenant puisque Snorri était lui-même impliqué dans les affaires politiques de l’Islande et de la Norvège.
4La dernière partie de l’introduction consiste en une analyse de la qualité littéraire de la saga. Dillmann montre bien, exemple à l’appui, comment Snorri manie les techniques narratives de la littérature nordique médiévale pour faire de son récit non pas une simple chronique, mais une grande œuvre littéraire. Dans cette partie, Dillmann rend bien compte de la dualité de l’écriture médiévale de l’histoire, qui se situe entre faits et fiction et vise parfois moins à documenter les faits qu’à leur donner un sens.
5La « Note sur la présente traduction » suit l’introduction et précède immédiatement la traduction. Dillmann y explique plusieurs de ses choix de traductions, en particulier concernant les noms propres. Les toponymes tels que « Læsø » ou « Øresund » sont traduits par des expressions telles que « île de Læsø » et « détroit de l’Øresund », afin que le lecteur francophone qui ignore les sens des mots scandinaves comme « ø » (île) ou « sund » (détroit) puisse aisément situer l’action. Dans un même souci de clarté, Dillmann choisit d’utiliser les toponymes modernes quand cela est possible. Grâce à ce choix, une rapide recherche permet presque toujours au lecteur de localiser sur une carte les nombreux lieux évoqués et décrits dans cette saga.
6Dillmann applique un procédé similaire pour les noms de personnes et simplifie leurs orthographes en utilisant les graphies les plus connues du public français. Ainsi Óðinn devient Odin, Ástríðr devient Astrid, etc. Dillmann traduit également l’élément patronymique des noms norrois. L’islandais ancien, comme l’islandais moderne, ne connait pas, ou très peu, l’usage du nom de famille mais applique un élément patronymique à la suite du prénom. Ainsi, en vieil islandais, saint Óláfr est appelé Óláfr Haraldsson, littéralement « Olaf fils d’Harald ». Comme le remarque Dillmann, cet usage peut, dans certains cas, conduire à des patronymes peu clairs pour le lecteur français. Pour remédier à ce problème l’auteur choisit de traduire ces éléments patronymiques. Ainsi « Óláfr Haraldsson » devient « Olaf Fils Harald ». Comme l’indique Dillmann, l’absence de la préposition « de » correspond bien à un usage du français médiéval, mais ce choix semble aller à l’encontre de la logique générale de la traduction qui vise à se conformer autant que possible à la langue moderne. Cette décision n’enlève cependant rien à la clarté du texte qui est écrit dans un français clair et agréable à lire.
7Dans sa note sur la traduction Dillmann explique également ses choix relatifs à la traduction de strophes poétiques. La Heimskringla, comme la plupart des sagas, est un prosimètre qui inclut de nombreuses strophes dites « scaldiques ». Ces poèmes, composés à la cour des souverains scandinaves médiévaux, respectent des normes métriques et des conventions complexes qu’une traduction ne peut évidemment pas restituer fidèlement. Dillmann choisit de traduire ces poèmes en conservant l’une de leurs principales caractéristiques : les kenningar, c’est-à-dire des périphrases conventionnelles qui peuvent parfois reposer sur des références à la mythologie. En outre, Dillmann utilise volontairement un langage archaïsant dans ses traductions poétiques afin de rendre palpable la distinction bien réelle entre le style des poètes scaldiques et celui du prosateur. Dans les faits, les traductions de poèmes de Dillmann sont toujours parfaitement claires ce qui facilite la lecture mais ne rend pas complétement compte de la très grande complexité de ces strophes qui peuvent être ambiguës voir difficilement intelligibles, même pour un locuteur natif. Le choix de Dillmann est cependant justifié et s’inscrit bien dans la logique générale de cette traduction. De plus, l’auteur accompagne systématiquement les strophes poétiques d’une note dans laquelle il revient sur le contexte de composition du poème, présente son auteur, et explique certains kenningar en citant le vocabulaire norrois lorsque cela est utile.
8Finalement, en plus de la traduction elle-même, la force de l’ouvrage tient à son incroyable appareil critique qui accompagne le texte. Nulle autre édition ou traduction française ou étrangère ne met à la disposition de ses lecteurs une telle quantité d’informations. Les notes sont placées à la fin du volume à la suite du texte et sont classées par chapitres. Elles sont elles-mêmes complétées de notes de bas de page pour les informations bibliographiques. Ces notes de fin apportent des informations linguistiques, historiques et littéraires, issues d’une bibliographie qui comprend la plupart des principaux ouvrages et articles écrits au sujet de la Saga de saint Olaf. Ces notes font de cette traduction un outil inestimable pour n’importe quel étudiant ou chercheur qui souhaite travailler sur la Saga de saint Olaf. En somme, la traduction de Dillmann sert autant la recherche qu’elle rend accessible au public francophone l’un des monuments de la littérature norroise. Il ne fait aucun doute que cet ouvrage fera des envieux parmi les scandinavistes qui ne lisent pas la langue de Molière.