La Comédie de Miquel Barceló : voyage dans l’imagination
« Impossible de lire les chants de Dante sans les tourner vers le temps présent. Ils furent créés pour ça. Ils sont des appareils à saisir l’avenir. Ils exigent un commentaire au futurum1. »
1Entre 2000 et 2002, l’artiste espagnol Miquel Barceló réalise plus de trois cents aquarelles illustrant la Divine Comédie de Dante, sur commande de la maison d’édition Circulo de Lectores. Ces aquarelles sont ensuite exposées au Louvre — du vivant de l’artiste, fait suffisam-ment rare pour être relevé. Elles sont déjà publiées en 2003 chez l’éditeur France Loisirs, accompagnées de la traduction de Jacqueline Risset. Cette première édition s’accompagne de la parution d’un livret d’exposition dirigé par Marie-Laure Bernadac et Françoise Viatte, dans lequel ces dernières présentent l’univers du peintre espagnol et proposent des clefs pour pouvoir interpréter les illustrations souvent mystérieuses et se dérobant à la compréhension immédiate2. Ce livret donne aussi à lire la retranscription d’un entretien entre Marie-Laure Bernadac et l’artiste. Une nouvelle édition réinvestit ces illustrations pour accompagner la traduction récente de Danièle Robert publiée par la même maison : Actes Sud publie toute la Comédie de 2021 à 2023, en trois tomes séparés3. Cette édition permet à Actes Sud de mettre de nouveau en valeur les qualités de cette traduction. Chacun des ouvrages est accompagné d’une préface de Danièle Robert proposant une réflexion sur la langue du poète italien, et le Paradis est également pourvu d’une postface d’Alberto Manguel rendant hommage à la fois au poème de Dante et au travail du peintre espagnol.
2Le choix d’ajouter une postface au Paradis, dernier des trois tomes publiés, n’est pas anodin. Alberto Manguel s’attache à mettre en lumière les difficultés que peut poser le fait d’illustrer l’irreprésentable. En effet, il met en exergue l’impossibilité de représenter ce qui est déjà perçu comme de l’ordre de l’indicible dans le texte poétique dantesque. Le paradis étant un concept, et non un objet, sa représentation est impossible littéralement et doit nécessairement emprunter des détours, notamment le recours à des images symboliques déjà bien établies dans la tradition chrétienne, ou à des expressions consacrées — bibliques ou liturgiques. Miquel Barceló, comme ses prédécesseurs, parmi lesquels on peut nommer Sandro Botticelli (env. 1480-1495), William Blake (1824-1827), Gustave Doré (1861 pour l’Enfer et 1868 pour le Purgatoire et le Paradis) ou encore Salvador Dalí (1963), tente la traversée de l’enfer au ciel à travers le dessin, et se distingue de ces derniers, mis à part Dalí, en s’éloignant régulièrement de l’art figuratif. La particularité du Paradis réside dans l’obscurité que créé la lumière, la lux tenebrosis, lumière primordiale qui aveugle et à laquelle Dante personnage s’habitue progressivement pour pouvoir faire face à l’ultime vision, la vision trinitaire, dans le chant xxxiii. Or, les illustrations de Miquel Barceló, en comparaison à celles de ses prédécesseurs, sont sans doute les plus obscures — au sens où elles nous échappent au premier abord — et, en cela, elles sont peut-être les plus à même de représenter le paradis dantesque.
3Cette nouvelle édition a donc un double intérêt. Elle manifeste à la fois les spécificités de la langue de Dante, celle du dolce stil nuovo, en même temps que les difficultés que la traductrice a pu rencontrer, et les spécificités des illustrations très contemporaines souvent plus abstraites que figuratives de Miquel Barceló. Danièle Robert emprunte l’expression à Bruno Pinchard et qualifie la Comédie de « laboratoire à venir », ce que cette nouvelle édition prouve effectivement4. La Comédie, laboratoire à venir parce que Dante a laissé la place aux poètes et artistes de s’approprier la matière du poème, invite à un « commentaire au futurum » et sans cesse se réactualise. Les illustrations oniriques de Miquel Barceló viennent renouveler les visions de Dante et s’offrent comme un voyage alternatif. Illustrer n’est pas toujours traduire d’un medium à un autre. Illustrer est aussi interpréter et c’est là l’immense projet que s’est proposé l’artiste. Cette conception de l’illustration revient à considérer cette dernière comme un commentaire paratextuel, comme une véritable lectura dantis, longue tradition que Matthew Collins a récemment proposé d’appliquer aux illustrations de la Comédie dans son ouvrage Reading Dante with Images5. Reste à nous demander dans quelle mesure cette nouvelle édition éclaire cette lectura dantis visuelle, en plus d’éclairer la lectura de Danièle Robert.
Une nouvelle traduction en rimes
4Cette édition en trois volumes propose trois préfaces de Danièle Robert. Dans chacune, la traductrice insiste à la fois sur la modernité de la langue du dolce stil nuovo et sur les difficultés que pose la traduction des nombreux néologismes du poète, ainsi que celle des rimes des terzine. Dans la préface à l’Enfer, Danièle Robert explique comment est conçue la terzina, strophe de trois hendécasyllabes — donc de trente-trois syllabes, comme aime à le rappeler la traductrice tant le symbolisme numérique est partout dans la Comédie — terzina qui est pour Dante promotrice d’une « rythmique véritablement créatrice de sens6 ». La rime est en effet essentielle dans les trois poèmes. Chacun des livres de la Comédie se conclut sur le substantif stelle (étoile), qui rime avec belle (belle) dans l’Enfer, avec novelle (nouvelle, jeune) au Purgatoire et enfin velle (le vouloir) au Paradis. La traduction consacrée de Jacqueline Risset privilégiait le sens du poème avant tout et à cet égard avait abandonné la rime systématique. Dans cette nouvelle traduction, Danièle Robert a tenté de maintenir les rimes, bien que certaines soient fausses comme elle le précise dans la préface à l’Enfer. Si dans l’Enfer, la traductrice fait rimer « vis » et « sortie » dans les derniers vers, en perdant ainsi le mot final d’« étoile » mais en préfigurant la vision du purgatoire, elle parvient toutefois à créer une rime entre « floral » et « étoile » à la fin du deuxième cantum7. En outre, elle fait rimer les derniers vers du Paradis à l’exception de velle et stelle qui deviennent le Vouloir et les étoiles8. Cette exception, combinée avec la typographie sur la notion de Vouloir, permet malgré tout de mettre en exergue ce mot final. Le dispositif paratextuel de cette nouvelle édition permet ainsi au lecteur de mesurer les difficultés rencontrées pour traduire le texte dantesque et dévoile le coup de maître et les mérites de la traduction de Danièle Robert.
5Dans la préface au Paradis, la traductrice revient sur les néologismes, qu’elle évoquait déjà dans la préface à l’Enfer, plus nombreux que dans les deux premiers poèmes, et insiste sur les verbes construits avec le préfixe tras-, signes de la métamorphose, et ceux construits avec le préfixe in-, indiquant la pénétration et la démultiplication. La démarche de cette nouvelle traduction consiste à conserver dans la mesure du possible ces néologismes signifiants qui, comme l’a remarqué Gianfranco Contini, sont souvent à la rime9. Danièle Robert revient notamment sur les rimes d’une terzina du chant xxxi du Paradis, qui se construisent autour des néologismes s’infiora (traduit par « s’enfleure »), si ritorna (traduit par « retourner ») et s’insapora (traduit par « s’ensaveure »)10. Si elle n’a pas traduit les quatre occurrences du verbe s’infiora par le même mot dans le Paradis, Danièle Robert a tout de même reproduit le néologisme s’enfleure, comme l’avait fait Jacqueline Risset, tout en le faisant rimer avec s’ensaveure, contrairement à sa prédécesseure. La traductrice cite de nouveau l’essai Un’idea su Dante et renvoie aux propos d’Andrea Lancia, contemporain de Dante, qui « a entendu dire à Dante que jamais la rime ne l’entraînait à dire autre chose que ce qu’il avait l’intention de dire mais que très souvent, il faisait dire aux termes à la rime autre chose que ce qu’ils signifiaient habituellement »11. C’est donc là la force de cette traduction que d’avoir réussi à conserver et la rime et le sens dans beaucoup de terzine.
6Comme souvent, les préfaces de la Comédie sont l’occasion pour le traducteur ou la traductrice de signaler quelques grandes lignes à un lecteur néophyte. Ici, Danièle Robert décompose l’architecture du texte qu’elle qualifie d’ascendant et de circulaire à l’intérieur de chacun des royaumes — de l’enfer, du purgatoire et des cieux. La traductrice rappelle notamment les figures géométriques qui apparaissent durant tout le voyage du poète, c’est-à-dire les cercles, le point et la ligne, mais elle souligne aussi les spécificités du Paradis. Le dernier cantique ajoute à la « symétrie des cercles concentriques », qui font descendre Dante et Virgile jusqu’à Lucifer en enfer, et les font monter jusqu’au jardin d’Eden au purgatoire, un « mouvement [opposé et] inversé dans lequel ce sont les sphères, les anges, les bienheureux qui tournent, montent et descendent cependant que Dante suit une trajectoire en constante ligne droite qui traverse chaque cercle, telle une flèche, jusqu’à se fondre dans le ciel de feu, point absolu de lumière ». Ces trois préfaces permettent ainsi de donner quelques clefs de compréhension au lecteur, en particulier sur son architecture, et sur la langue, avant la découverte du texte souvent difficile d’accès, en particulier le voyage dans les sphères célestes.
Une lecture agnostique et contemporaine
7Les illustrations que propose Miquel Barceló de la Comédie forment un « univers baroque, grotesque, fantastique12 » proche et éloigné de Dante à la fois. Dans l’entretien qu’il accorde pour le livret du Louvre, le peintre dit au détour d’une réponse qu’il offre une lecture agnos-tique du poème, ce qu’il considère comme une vision personnelle de l’œuvre mais aussi comme une « interprétation contemporaine de Dante13 ». Il dit s’être inspiré de Blake, Doré mais surtout Botticelli. Il est étonnant qu’il n’ait pas cité les aquarelles de Dalí tant l’on peut tisser de points communs entre l’œuvre des deux artistes, que ce soit le choix des couleurs ou le caractère aérien et éthéré de l’aquarelle. À l’inverse de Doré et de Botticelli, qui proposent des lectures somme toute fidèles du texte, Miquel Barceló réinvente notamment le décor paradisiaque qui passe du blanc, « couleur » de la lumière au bleu tantôt céleste tantôt aquatique. C’est là un véritable écart avec le poème de la lux primordiale mais aussi, de façon surprenante, un retour à une tradition iconographique, celle de teinter le Paradis de bleu. En effet, dès le ixe siècle, le bleu est fréquemment utilisé dans l’art religieux, notamment dans le ciel pour signifier la présence divine, et déjà dans l’habit de certains personnages pour manifester leur sainteté14. Or chez Miquel Barceló, le bleu est bien signe de la demeure divine. Cependant, comme le souligne avec justesse le livret du Louvre, ce bleu est très fréquent dans l’œuvre du peintre et son univers marin. Le paradis devient alors fusion entre le ciel et la mer et perd son caractère sacré, ou plutôt le sacré descend sur terre et le profane s’inscrit dans le ciel. Qualifier la lecture de Miquel Barceló d’agnostique prend alors tout son sens.
8La lecture « agnostique » du texte se retrouve dans l’insertion d’anachronismes et de motifs chers à l’artiste, tel que le taureau, animal qui exerce une fascination sur Barceló et qu’il a souvent peint15. On le retrouve notamment en enfer, associé entre autres aux chants vi et viii, qui pourtant ne font pas mention de l’animal à cornes. Seul le chant xii de l’Enfer s’appuie sur un bestiaire bovin en invoquant, juste avant les centaures, la figure mythique du Minotaure qui tente d’empêcher la traversée de Dante et de Virgile. On trouve également ces taureaux dans les aquarelles du Purgatoire entre les chants xiv et xv, formant un cercle et se pressant semble-t-il cornes contre cornes, rappelant la corrida. Cette illustration est suivie d’une autre représentation d’un taureau cette fois mis à terre et tué par une figure anthropomorphe, confirmant ce motif premier de la corrida. Rien à voir avec la corniche occupée par les envieux dans le poème de Dante. Ainsi la présence du taureau et plus spécifiquement le motif de la tauromachie font figure à la fois d’« erreur » sur le texte mais aussi d’anachronisme puisqu’il n’est pas là en sa qualité de bête mythique mais pour représenter la corrida qui fascine tant le peintre.
Dante et le rêve
9La plus grande spécificité de Miquel Barceló n’est pas seulement de proposer une lectura dantis visuelle, d’autres l’ont fait depuis la fin du xviiie siècle, mais d’en avoir fait un voyage dans l’imagination à travers l’image. L’artiste espagnol a choisi l’aquarelle pour illustrer la Comédie, sans tracer les dessins au préalable. En cela, il se distingue de Botticelli et de Doré. En effet, Botticelli dessine premièrement avec une pointe en métal qui laisse de très fines lignes qu’il encre ensuite en noir ou en marron. Quatre illustrations ont été achevées et peintes « a tempera », technique de peinture à l’eau proche de l’aquarelle telle qu’on la connaît aujourd’hui. Cependant, la grande majorité des dessins sont surtout composés de traits et de lignes. Doré, quant à lui, a fait graver toutes ses illustrations. Blake et Dalí ont tous deux utilisé l’aquarelle. Cependant, les dessins de Barceló sont plus proches du peintre espagnol que de l’artiste anglais dans l’utilisation de la ligne. Bien que les dessins de Blake soient des aquarelles, la ligne est marquée, à l’encre, et elle délimite les contours des personnages, des décors végétaux, architecturaux, des barques et autres motifs dantesques, rendant la figuration lisible. Chez Miquel Barceló, les lignes ne sont pas tracées de la même manière. L’aquarelle est appliquée directement, au pinceau ou avec une sorte de couteau qui permet d’obtenir des traces plus solides et plus délimitées. Cette technique crée un mouvement fluide laissant libre cours au fleuve de l’imagination.
10Un autre point sur lequel Miquel Barceló se distingue réside dans l’absence de narrativité dans ses illustrations. Les représentations les plus anciennes de la Comédie suivent le déroulé narratif du poème à travers la juxtaposition d’images des couples Dante-Virgile et Dante-Béatrice face aux autres personnages. Or cette technique tend à disparaître chez les illustrateurs plus récents. Déjà chez Blake les images sont davantage « figées » et ne suivent pas tout à fait l’arc narratif de la Comédie qui présenterait les différents interlocuteurs de Dante. Cependant, l’artiste anglais représente les événements dits « principaux » de chaque chant, et s’attelle par exemple à montrer la hiérarchie angélique longuement développée dans le chant xxviii du Paradis, ou encore à montrer la rose céleste au chant xxxi — bien que cette rose soit représentée littéralement comme une fleur et soit donc déjà une lectura dantis. Doré, quant à lui, s’attache à faire des tableaux souvent angéliques et très proches de l’iconographie médiévale. Or, chez Miquel Barceló, nulle trace de la hiérarchie céleste. Nous trouvons bien dix créatures ailées dans l’aquarelle qui suit le chant xxviii, mais elles ne peuvent en aucun cas se substituer à la hiérarchie dionysienne constituée de neuf ordres angéliques. En revanche, ces anges semblent aquatiques, car leurs ailes ont l’air de tentacules, et, placés dans ce fond bleu marin, ils ressemblent à des sortes de méduses anthropomorphes. Le peintre représente dans l’ensemble des paysages que l’on a déjà dits maritimes, et les personnages de dos, contemplant et invitant le spectateur à la contemplation. L’abstraction de nombreux paysages permet de créer un mouvement, le regard se déplace et cherche à reconnaître des figures connues, un sens, sans pour autant y accéder au premier abord.
Réarrangement des illustrations : du livre illustré au livre d’art ?
11Cette nouvelle édition ne dispose les illustrations qu’en pleine page ou double page, contrairement aux maisons d’édition Circulo de Lectores ou France Loisirs, qui les placent aussi en vignettes plus petites au-dessus ou en dessous du texte. La vignette renvoie à la fonction de l’illustration médiévale, souvent en petit format soit à côté, soit au-dessus ou en dessous du texte, qui doit transcrire en termes visuels les mots, les « figurer », les « représenter »16. Autrement dit, elle est une véritable traduction du texte qu’elle accompagne : elle « traduit » le mot en images, le medium diffère mais pas le sens. Elle vise avant tout à expliciter le sens, à permettre une meilleure compréhension (du moins au Moyen Âge) — c’est typiquement la fonction des illustrations d’un livre scolaire. Elle peut aussi avoir une visée ornementale c’est-à-dire qu’elle accompagne le texte et l’entoure dans une visée purement esthétique. L’édition d’Actes Sud, en refusant le format vignette, affirme la singularité des illustrations de Miquel Barceló et la distance qu’elles établissent avec le poème. Elles deviennent ainsi non pas une traduction mais une « vision parallèle » de la Comédie17, ou encore un commentaire, une lectura dantis visuelle.
12Plus encore, le format des illustrations en double page, voire en quadruple page, les isole du texte ce qui provoque une double lecture, celle du texte d’un côté et celle des dessins de l’autre. Le premier volume s’ouvre sur une illustration s’étalant sur quatre pages, proposant ainsi dès le commencement du voyage au cœur de l’enfer de s’engouffrer dans une multitude de cercles, dont un rempli de centaures que l’on ne trouve pourtant pas dans le poème avant le chant xii (« en file, entre elle et le bord de la passe, / couraient des centaures, de flèches armés, / ainsi qu’ils allaient sur terre à la chasse18 »). L’illustration, parce qu’elle précède le texte, n’« illustre » plus à proprement parler mais propose une nouvelle vision. L’image devient une sorte d’écriture alternative, elle n’est ni la rivale du texte, ni même une aide à sa compréhension. Ainsi les centaures inaugurant l’Enfer sont une autre lecture du poème dont la géographie et la faune sont déplacées, bousculées. C’est ainsi bien sa propre Comédie que Miquel Barceló propose au lecteur, ce qui nous pousse à nous interroger sur la nature de cette nouvelle édition. Devons-nous l’envisager comme un livre illustré, ou bien comme un livre d’art ? Si nous revenons à la distinction que Michel Melot fait entre ces différents livres, le livre d’art fait du texte un prétexte contrairement au livre illustré qui accompagne la lecture du texte19. Si Miquel Barceló entend rendre hommage au texte de Dante, cette édition met indubitablement davantage en avant l’image que le texte du fait de leur disposition. En outre, on ne peut s’empêcher de mentionner les quelque cent cinquante euros que coûtent les trois volumes en tout, et d’envisager le livre dans sa valeur marchande. Les aquarelles de Barceló font du poème un véritable objet d’art — d’où probablement le choix de ces couvertures épurées de trois couleurs différentes qui font de l’ouvrage un objet esthétique.
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13Dans l’édition d’Actes Sud, mis à part les préfaces de Danièle Robert et la postface d’Alberto Manguel à la fin du Paradis, nul appareil critique n’accompagne les aquarelles. Seule la postface porte un regard sur les illustrations, mais de loin. Alberto Manguel interroge avant tout la qualité visuelle, l’infinie richesse des images du poème qui paradoxalement ne se laisse enfermer dans une seule et même image, ce qui le rend selon lui difficilement traduisible par l’illustration. Le critique pose alors la question au cœur de toute illustration : « Comment toutes ces connotations, implications, allusions peuvent-elles se traduire sur le plan iconographique ?20 ». Cette nouvelle édition permet un regard neuf sur les chants de Dante, et montre à quel point la matière même du poème permet le rêve. En n’apportant que peu d’appareils critiques, elle laisse au soin du lecteur de décrypter, à tort ou à raison. Les aquarelles de l’artiste demeurent des lectures nébuleuses de Dante, qui poussent le spectateur-lecteur à la rêverie sans réponse, ou plutôt qui poussent chacun et chacune à avoir sa propre lecture de la Comédie.