Shakespeare pornographe
1Le livre s’ouvre sur un fertile aveu d’impuissance de la part de l’auteur, Jean‑Pierre Richard, traducteur de Shakespeare1 : l’impossibilité de traduire le « discours délibéré et permanent » qu’il s’étonne de découvrir « sous la surface du texte », un discours malséant et obscène qui — c’est la thèse de son étude — infuse l’œuvre de Shakespeare d’une « prodigieuse énergie » et d’une « force comique » encore sous‑estimées (p. 9). S’appuyant sur les travaux fondateurs d’Eric Partridge2 et de Frankie Rubinstein3 autour du grivois chez Shakespeare, l’auteur met en évidence le réseau du sous‑texte suggestif et son fonctionnement pour poser de différentes manières la question du rôle de l’obscène chez Shakespeare. Ce qui en découle est d’abord un inventaire remarquable d’obscénités verbales parsemées dans toute l’œuvre du Barde et débusquées jusque dans les lieux les plus improbables du canon : morts tragiques, élans patriotiques, incarnations de l’innocence — aucun personnage, aucune circonstance qui par principe ne se prête à la boutade inconvenante ou l’insinuation sexuelle. Celles‑ci se nichent selon l’auteur « sous la surface du texte » (p. 9), dans les « bas‑fonds du sens » (p. 40), suggérant ainsi l’espace vide sous le plancher de la scène élisabéthaine auquel on accédait par une trappe : c’est là le théâtre à double fond qu’explore l’auteur, texte à tiroirs du bas‑corps appétitif et scatologique, « l’autre fabrique, aussi active que méconnue, du théâtre de Shakespeare » (p. 18). L’essai ne formant pas à proprement parler un argument, au‑delà d’une démonstration de l’existence de ce double fond pornographique (nous reviendrons sur le terme), il est conçu plutôt comme une invitation à mener des recherches plus approfondies, dont il indique à l’occasion les directions possibles, certains chapitres présentant des découvertes intéressantes pour le champ des études shakespeariennes que nous signalerons au passage.
2L’ouvrage se compose de cinq chapitres proposant chacun un angle d’approche distinct de l’obscène shakespearien : « Principes », « Matériaux », « Techniques », « Effets » et « Circonstances ». La première section, « Principes » (p. 19), relève quelque chose dans l’œuvre du Barde de l’ordre de la profession de foi dans le recours à l’obscène. On revient sur la fameuse exhortation puritaine au langage simple — credo des adhérents au « plain speech » — à laquelle Shakespeare opposerait une stratégie généralisée du double sens grivois. Ainsi, les défenseurs de la parole univoque, mais aussi les prudes et les innocents d’esprit dont on pourrait penser qu’ils parlent sans détour, se retrouvent‑ils tous dans les pièces de Shakespeare à émettre largement malgré eux un allègre flot d’insanités, déferlant de ces mots mêmes voulus simples ou propres, à l’image d’une Desdémone dont le discours rassurant à Othello sur la chasteté de son rapport à Cassio inclurait « des mots louches tels que present (organes génitaux) et reconciliation (où le con est deux fois présent), accompagnés d’une fausse antithèse entre la lubricité (ignorance) et le goût des cons (cunning)4 » (p. 32). À ce premier principe de composition s’ajoute un principe rhétorique consistant d’abord à faire cohabiter l’esprit (« wit ») et le penchant pour le vit chez le personnage : un Capulet lubrique et suggestif se remémorant au bal ses aventures torrides, ou encore un Bottom qui se prête involontairement à une « transformation du verbe obscène en chair dramaturgique » (p. 48). Cette double casquette, d’orateur et de pornographe, caractériserait également Shakespeare lui‑même, plus subtil et plus profond à ce jeu que ses congénères dramaturges lorsque ceux‑ci s’y mettent (l’auteur établit un contraste avec un John Fletcher apprenti dramaturge et pornographe, avec lequel Shakespeare écrit Les Deux Nobles Cousins [p. 36‑43]). Plus largement, cette rhétorique paillarde « produit des fables, des épisodes, des scènes entières » tels la subversion de la guerre (« war ») par une catin (« whore ») dans Antoine et Cléopâtre, le trope fournissant à l’auteur une clé de lecture de l’œuvre ainsi que d’épisodes habituellement considérés comme lyriques, à l’instar du fameux passage, tiré de Plutarque, de la barque de Cléopâtre, dans lequel l’auteur entend, entre autres dans la répétition de la syllabe « burn‑ », la propagation infectieuse d’un « feu vénérien » (p. 49). Il s’agirait là d’un « principe d’obscénité » que Shakespeare élève au rôle de véritable « agent dramaturgique » (p. 43), exigeant de son public de se pourvoir toujours « d’une troisième oreille, réglée sur les sous‑entendus » (p. 58). Le chapitre apporte ainsi aux recherches sur les publics du théâtre anglais de la Renaissance une problématique solidement étayée à partir de la forme littéraire de l’écriture shakespearienne.
3« Matériaux » (p. 59), le deuxième chapitre, passe en revue les aires verbales et théâtrales sur lesquelles le projet du pornographe (comme l’auteur le surnomme fréquemment) se déploie. On y découvre d’une part les principales composantes du lexique égrillard shakespearien ainsi que les liaisons, combinaisons et réseaux de sens que ces vocabulaires produisent, et d’autre part les dynamiques de scène qui tendent à générer des lectures cocasses, de la position et du déplacement au combat et à la mort en passant par la prise de parole, le chant, la danse, l’écrit, actions également incluses, telles que manger, se vêtir, regarder, apprendre, servir, se taire, comprendre et, éminemment, entendre. L’accent mis sur l’écoute dans ces pages conduit d’ailleurs l’auteur à affirmer que « le pornographe semble y donner le mode d’emploi de son théâtre. Il a placé l’écoute au centre de son écriture » (p. 91). Une écoute aiguisée percevrait ainsi le vers shakespearien « phonétiquement, au niveau du signifiant » (p. 110), ce qui lui permettrait de saisir l’homophone anglais, français, latin dans lequel résonne le tapin. L’insistance dans ces pages sur l’anatomie génitale féminine et masculine, sur laquelle peuvent converger figurativement presque toutes les autres parties du corps lorsqu’on se tient aux aguets — le pouce, la main, le bras, le nez, la langue, le menton, la tête, le tibia, l’œil, la bouche, les oreilles, etc. — ne se veut pas comme une réduction « à une formule anatomique de base, telle que l’union physique des deux sexes », mais à l’inverse le déploiement d’un « pouvoir de ramification » qui fait jaillir « d’un schéma primitif et répétitif une débauche de représentations » (p. 60), et dans lequel l’auteur décèle « une stratégie de la profusion, qui rappelle celle de la nature et de la surabondance des graines » (p. 70), positionnant ainsi Shakespeare comme héritier britannique de Rabelais, mais surtout peut‑être de l’Ovide des Métamorphoses et de de l’Art d’aimer, sinon celui des Héroïdes. Le chapitre se termine d’ailleurs sur un examen des rôles féminins, des acteurs‑garçons et du travestissement de genre chez Shakespeare. La section arrive à point nommé à l’issue d’un chapitre qui passe en revue les lieux communs de sous‑entendus graveleux, qui généralement semblent venir chatouiller un humour surtout masculin. Hélas, l’auteur ne saisit pas l’occasion pour poser la question de la mise en perspective de cette flatterie du rire gras au théâtre, par exemple en rappelant que les personnages qui s’y adonnent ouvertement dans les pièces de Shakespeare participent d’une culture de la solidarité masculine qui se caractérise souvent par une exclusion ou un évitement des femmes (comme dans Deux Gentilshommes de Vérone, Peines d’Amour Perdues ou encore Roméo et Juliette)5. Pourtant, il s’agit là d’une zone commune importante avec les études shakespeariennes féministes, de genre et de la sexualité.
4Le chapitre suivant, intitulé « Techniques » (p. 123), est la suite logique de la section précédente en ce qu’elle répertorie les traitements appliqués aux matériaux pornographiques : liaisons, inversions, allusions et délimitations (ouvertures et clôtures de séquences qui ne recoupent pas forcément la segmentation en scènes et en actes, ces divisions apparaissant, l’auteur le rappelle, seulement dans le Folio de 1623 et les éditions des œuvres de Shakespeare du xviiie siècle). L’auteur démontre par exemple dans le deuxième acte de Tout est bien qui finit bien un lien thématique autour de la virilité sexuelle du roi, assurant une continuité, au‑delà de la rupture de lieu et de personnages, entre la première et la deuxième scène. L’inventaire de ces techniques connectiques permet à l’auteur de concevoir l’étonnante indécence acharnée qu’il trouve chez Shakespeare comme un « milieu de signification » (p. 150), un « double langage inconvenant » qui pourrait, selon les circonstances, jouer « un rôle philosophiquement capital », par exemple dans une pièce sillonnée par une adversité irréconciliable telle que Le Marchand de Venise, où une « obscénité égalisatrice » est perçue comme instaurant « une autre logique, apte à dépasser les dichotomies » (p. 136). D’une part, la lecture de quelques déclarations dans ce chapitre éveillera peut‑être des doutes chez certains esprits critiques quant à la possibilité de lire l’omniprésence de l’obscène chez Shakespeare sans que cela ne tourne au réductionnisme — lorsque l’auteur déclare, par exemple, que « l’obscénité est le liant du drame, et sa logique ultime. » D’autre part, ce que d’aucuns verront comme une monomanie, d’autres le recevront comme une provocante remise en question de la division en scènes et en actes adoptée dans les éditions critiques des pièces du canon, un problème qui fait débat à chaque nouvelle édition ou mise à jour.
5Le chapitre suivant aborde les « Effets » (p. 151) de la paillardise dramaturgique de Shakespeare, qui, si elle « a d’abord pour effet de faire rire le public — ou l’auteur dans sa barbe—, […] elle peut en même temps venir discréditer une rhétorique d’ornement » (p. 151). Pédants universitaires et précieux amants pétrarquistes rejoignent les puritains hypocrites et les prétendus chastes pour compléter le tableau de chasse d’un Shake‑speare (la suggestivité grivoise du nom n’échappe pas au commentaire de l’auteur) dont la gauloiserie est conçue comme « la grande niveleuse qui met à égalité savants et ignorants » (p. 156), en tout cas selon une analyse, attendue, des académiciens de Peines d’amour perdues, que viennent compléter des lectures de Beaucoup de bruit pour rien, La Tempête, Roméo and Juliette et Comme il vous plaira, entre autres, retraçant « la satire de la poésie pétrarquiste ». Parmi les commentaires les plus évocateurs du chapitre, on peut relever celui de Comme il vous plaira, où l’opposition répétée de « true, truest, truly, » et « feigning »,« feign »,dans la bouche de Pierre de Touche (3, 3, 14‑18), présente une « définition du poétique à la fois digne de Platon, car elle fustige la simulation (feigning), et malséante, car elle tourne autour du trou et du coït (foin / feign) » (p. 173). Quant à l’interlocutrice du bouffon, Audrey, elle participerait d’un univers de la pastorale où les bergères et bergers « n’ont plus rien de romanesque » (p. 176). La suite du chapitre développe en trois articulations ce thème du canardement des modes littéraires et de l’esprit du temps. La section « Feu sur la religion ! » démasque les proxénètes qui s’affublent de l’habit monastique, tel le frère Laurent dans Roméo et Juliette. La tragédie est régulièrement tournée à la farce dans « Feu sur le tragique ! » On y découvre une Cléopâtre dépeinte avec son aspic (phallique, sans grande surprise) en une « pornographie de la mort » (p. 189) qui caractérise aussi d’autres fins tragiques où retentissent d’insondables allusions d’union sexuelle, comme dans Roméo et Juliette. À l’issue d’une analyse des sous‑entendus licencieux dans le propos du roi mourant dans Henry IV Part 2, l’auteur avance : « À cet instant tragique où s’éteint un souverain, l’obscène sert d’antidote au réalisme et nous met à distance de l’Histoire, qui n’est jamais, ainsi rejouée, que du théâtre » (p. 190). Il va plus loin en commentant Richard II qui selon lui, au figuré, « justifie son vil renoncement à son corps sacré de roi par l’assujettissement de son corps de chair et de sang aux besoins de tout un chacun, » ce qui cautionne à ses yeux une lecture des deux tétralogies retraçant la guerre des Deux‑Roses comme « un spectacle allègrement pornographique » (p. 192). Ce passage par les Histories justifie l’enchaînement vers la dernière partie du chapitre, « Feu sur l’héroïsme ! », où l’auteur resitue Henri V, trop souvent lu comme patriotique selon lui, dans une ère décidément « post‑héroïque ». En lien avec la figure de Jeanne d’Arc, une série de doubles sens à caractère sexuel donne lieu à une nouvelle déclinaison de l’homophonie war/ whore dans un univers tragi‑comique où, désormais, « la farce pornographique est le mode d’expression de ces temps nouveaux, un âge placé par Shakespeare sous le double signe de la guerre et de la vérole » (p. 195). Quant au genre épique, l’univers sombre de Troïlus et Cressida, dominé par les figures de Pindare l’entremetteur et Thersite le bouffon, tend à suggérer, au cours d’une intrigue où l’épique (et l’érotique) est plus que jamais chez Shakespeare en proie à une commercialisation crasse et une dégradation morale, que « l’inspiration paillarde y est si puissante qu’elle a chassé tout souffle épique. » Autrement dit : « c’est un peu d’Iliade transformé en satire » (p. 206).
6L’ouvrage étant très riche en exemples et en analyses de passages cités, le dernier chapitre « Circonstances » (p. 207) sera sans doute bienvenu, posant dès son ouverture la question des raisons et motifs d’une telle ubiquité de l’obscène, inscrite en filigrane à travers l’œuvre entière de Shakespeare. Les réponses que propose l’auteur ne sont ni biographiques, ni stylistiques, mais puisent plutôt dans la culture et l’histoire britanniques des xvie et xviie siècles pour dégager des circonstances externes qui informent vraisemblablement le sous‑texte pornographique shakespearien. Quelques éléments contextuels sont ainsi présentés pour éclairer le pourquoi de ce penchant pour l’obscène, puis le pourquoi du « langage codé », ou du sens caché. Sont cités, pour répondre à la première de ces questions, la relative jeunesse de la population au tournant du xviie siècle, les épidémies de syphilis, de peste et de vérole, l’important public masculin des Collèges de droit aux matinées, le quartier chaud des Liberties (abritant bordels et théâtres et dont la situation hors‑les‑murs, au sud de la ville, de l’autre côté de la Tamise, le plaçait hors du pouvoir du Lord Mayor), le travestisme, l’homosexualité et le trouble des genres liés au travestissement au théâtre, la participation généralisée des femmes à la main d’œuvre, les continuités et ruptures religieuses et théâtrales avec le Moyen Âge, les acteurs comiques... Quant à la pratique de l’encodage qui caractériserait le double‑fond textuel de la dramaturgie shakespearienne, elle serait conditionnée par des phénomènes de répression et de censure, la vigilance du Conseil privé, la prolifération de réseaux d’espions et d’agents secrets, le ressort croissant à la cryptographie et au décodage, le développement de la casuistique et le recours à l’equivocation dans le contexte de la persécution religieuse.
7À l’issue de cette analyse impressionnante d’une dramaturgie shakespearienne à double fond, une certaine perplexité demeure toutefois quant à l’étiquette du « pornographique ». Comme Jean‑Louis Claret le signale dans une critique de ce même livre6, l’auteur ne définit pas le terme qu’il emploie pour caractériser son approche, hormis un rappel étymologique « — du grec graphein (« écrire ») et pornè (« courtisane ») : il [Shakespeare] écrit sur la prostituée » (p. 11). Mais qu’est‑ce exactement qu’écrire sur la prostituée ? Et comment justifier un tel angle lorsque la majorité des jeux de mots anatomiques ou rapports sexuels insinués n’impliquent pas directement la prostitution ? A moins que l’envergure englobante de cette obscénité ne suggère l’œuvre d’un Shakespeare proxénète, entremetteur entre un public masculin privilégié et de jeunes apprentis‑acteurs prostitués (selon une pratique d’époque thématisée dans l’ouvrage [p. 116‑122])? Si une visée secrète à ce point utilitaire dans l’adresse paraît douteuse, il y a malgré tout quelque chose de cet ordre qui, dans le vaste réseau de ce sous‑texte inconvenant, menace de détourner l’intrigue. Force est de constater qu’à choix entre une malséance ludique aveugle au contenu de la fiction théâtrale et un sous‑texte s’alignant de près avec la dramaturgie, Jean‑Pierre Richard semble, malgré de nombreux commentaires qui mettent en relation l’écriture de la scène et celle de l’obscène, embrasser néanmoins une vision antinomique de ces deux registres. Rivalisant avec l’intrigue, le grivois shakespearien trouve, pourrait‑on dire, son illustration la plus parlante dans la figure du clown qu’Hamlet évoque, lors de ses injonctions aux acteurs, pour décrier la tendance de ce comique à improviser des boutades faciles aux dépens des préoccupations plus profondes de la pièce (Acte 3, Scène 2). Tout se passe en effet comme si, logé dans le double‑fond du texte, avide d’attention, un bouffon infra‑textuel s’agitait en continu pour produire son propre spectacle et par là éclipser, même découdre le drame. Sous son influence, le « texte se défait à mesure qu’il se tisse » (p. 236). Si l’obscène est puissance de rupture, c’est peut‑être de cette manière, alors, qu’il convient d’entendre « pornographe » —malin génie trompeur, lubrique et tyrannique, mi‑Puck, mi‑Iago, engendrant un sous‑texte graveleux divorcé de toute possibilité de réciprocité dans le langage, parodie grotesque dès lors du discours théâtral, qui s’y trouve pour ainsi dire réduit à une production à la chaîne de leurres impudiques et d’objets sexuels verbaux. Si c’est le cas, il s’agit d’une tension entre texte et sous‑texte parasite qui perdure manifestement jusque dans l’épilogue de La Tempête, lorsque Prospéro demande directement au public de le libérer de son île fictive par son applaudissement, proposant simultanément par là un rapport sexuel : « But release me frommy bands / With the help of your good hands » (5, 5, épilogue 9‑10) ? Dans cette irrésolution entre un enchantement théâtral dissipé par un geste symbolique et un désenchantement de l’imagination face à une fiction qui s’écroule, on ne peut être certain·e que ce ne soit pas une image de trafic de chair, et pas seulement de bouffonnerie anarchique, qui se glisse dans la référence métathéâtrale de Prospéro — souvent célébrée comme la fin culminante de la carrière dramaturgique de Shakespeare — pour y présenter le théâtre comme une espèce de la prostitution. En dépit de cette possibilité de lecture, le livre de Jean‑Pierre Richard, bien qu’instructif et provocateur à bien des égards, nous laisse un peu sur notre faim quant à cette question de la « pornographie » du théâtre de Shakespeare.
8Presque quarante ans après Shakspeare’s Bawdyd’Eric Partridge, le dictionnaire du grivois shakespearien de Frankie Rubinstein paraissait. Le même intervalle sépare ce dernier ouvrage de celui qui nous considérons ici. Shakespeare pornographe. Un théâtre à double fond permet ainsi de reposer aujourd’hui la question de la place du bawdy dans le théâtre de Shakespeare. Si l’auteur dialogue certes avec la littérature récente qui touche à ce champ, il resterait encore à situer cette approche d’un « théâtre à double fond » dans le domaine des Shakespeare studies actuelles, du moins à en signaler les points d’attache avec Shakespeare féministe, Shakespeare queer, Shakespeare et le genre, et tout ce qui touche de près la question des politiques sexuelles. La force majeure de l’ouvrage et son génie, pour ainsi dire, résident peut‑être dans ce que certains lui reprocheront : l’insistance et la méthode avec laquelle l’auteur dissèque le texte et qui permet d’affirmer la présence systématique d’un sous‑texte obscène. Si réellement « le temps de l’obscène n’est pas celui de la scène » et qu’ainsi « la pornographie anticipe sur l’action dramatique » (p. 93), un problème de taille se dessine à l’horizon des recherches shakespeariennes, celui de déterminer ce que fait là un sous‑texte avec de telles caractéristiques, quelles en sont les fonctions, quelles nouvelles lectures il exige, etc. Avec quelques‑unes des directions importantes déjà esquissées, l’étude fournit un excellent et précieux point de départ vers d’autres thématisations de l’obscène chez Shakespeare et dans la culture théâtrale de la Renaissance anglaise.