Acta fabula
ISSN 2115-8037

2006
Août-Septembre 2006 (volume 7, numéro 4)
Éric Tourrette

De l’art de concilier l’inconciliable : tragique et galanterie

Carine Barbafieri, Atrée et Céladon, La Galanterie dans le théâtre tragique de la France classique (1634-1702), Rennes, PUR, coll. « Interférences », 2006.

1Avec Atrée et Céladon, Carine Barbafieri publie une version revue et réduite de sa thèse de doctorat, initialement soutenue en 2003 sous le même titre – dont on goûtera le plaisant jeu de mots –, et dont la parution était unanimement souhaitée. Nul doute que « tous les amateurs de théâtre », auxquels ce livre est dédié, s’en réjouiront. Matériellement, le volume est élégant, notamment grâce à sa couverture illustrée en bichromie, et l’on a grand plaisir à l’ajouter à sa bibliothèque personnelle. Il faut signaler toutefois une curieuse erreur de P.A.O., attribuable à la maquettiste des PUR : le nom de Carine Barbafieri, imprimé en très petits caractères en première de couverture (passe encore), est totalement oublié sur le dos de l’ouvrage. Ce n’est ni respectueux de l’auteur, ni commode pour les lecteurs, libraires et bibliothécaires qui auront à manipuler le volume. On peut aussi s’étonner que les conclusions respectives des trois parties de l’ouvrage ne soient pas indiquées dans la table des matières.

2L’introduction du volume est un modèle de densité dans la problématisation. Carine Barbafieri commence par rappeler les grandes étapes historiques de la recherche sur la notion de « galanterie », trop longtemps occultée par celle, autrement floue et discutable, de « préciosité » : les travaux de Delphine Denis, Marc Fumaroli, Emmanuel Bury et beaucoup d’autres sont dûment signalés et résumés, avec un louable souci de complétude et d’efficacité. L’étude des liens entre galanterie et tragédie a été lourdement grevée, du XVIIIe siècle jusqu’à une date récente, par le mirage de l’existence d’une « tragédie romanesque et galante » autonome, nettement distincte de sa prestigieuse rivale que serait la tragédie « héroïque », c’est-à-dire, croyait-on, la seule vraie tragédie. On voit sans peine que cette théorisation n’est pas axiologiquement neutre, et que des choix idéologiques y affleurent, avec la part d’impressionnisme et d’arbitraire que cela implique : du seul fait que la « tragédie romanesque » constituerait un impur mélange des genres, elle serait condamnée à l’insignifiance esthétique. Carine Barbafieri a donc tôt fait de démonter ce « fantôme critique » (p. 30), en montrant que les périodisations proposées par les différents théoriciens sont incompatibles entre elles et invalidées par les faits, et que les critères d’identification proposés (traits langagiers ou prépondérance de l’épisode amoureux) conviendraient tout aussi bien à des tragédies qui n’ont jamais été considérées comme relevant de ce prétendu sous-genre.

3Le concept de tragédie spécifiquement galante, ontologiquement distincte des tragédies non galantes, ne repose donc sur aucune assise objective, et il convient de poser le problème à nouveaux frais : quelle est la part de la tentation galante dans l’ensemble de la production tragique du XVIIe siècle ? Cela suppose, bien entendu, de s’entendre au préalable sur le sens exact du mot galanterie, qui délimite une zone frontière entre les pratiques sociales de la civilité et les aspirations privées de la relation amoureuse, d’où cette définition synthétique : « une honnêteté tendue vers la séduction des femmes » (p. 29). Surgit alors une difficulté majeure, directement corrélée à cette définition : n’y a-t-il pas une contradiction fondamentale entre les aspirations naturelles du genre tragique et les exigences propres de la galanterie ? La douceur galante peut-elle trouver sa place dans un monde de terreur ? Atrée et Céladon sont-ils faits pour s’entendre ?

4La première partie expose et discute en détail le discours de condamnation de cette tentation galante dans la tragédie, que tiennent d’une commune voix, mais avec diverses nuances, aux XVIIe et XVIIIe siècles, bien des critiques et théoriciens de renom, de l’abbé d’Aubignac à Voltaire, en passant par Perrault, Villiers, les frères Parfaict ou Morvan de Bellegarde. Le livre de Carine Barbafieri prend alors la forme d’un essai d’esthétique, au meilleur sens du terme : non tant une étude des pièces en elles-mêmes, qu’une reconstitution lumineuse de la façon dont les contemporains les percevaient. Le recours massif aux vues théoriques de l’âge classique risquait de conduire l’étude à une forme d’austérité érudite ; mais la plume allègre de l’auteur et le recours à de nombreux exemples précis rendent constamment passionnants tous ces débats, certes souvent entachés de polémique ou de caricature, mais toujours intellectuellement stimulants. Plus qu’une réflexion théorique collective, c’est un dialogue vivant que reconstitue Carine Barbafieri, qu’on se prend à écouter avec la plus vive attention.

5Trois griefs sont ainsi abordés successivement : la galanterie porterait atteinte à la dignité du héros, à la conduite de l’intrigue, à la moralité de la pièce. Pour ce qui est du héros galant, on s’indigne de son langage, singulièrement fade au regard de la violence des passions tragiques, et plus encore de ses comportement exclusivement amoureux, bien éloignés de l’âpreté guerrière que relaient les historiens : le dramaturge ne fait, semble-t-il, que « peindre, au lieu d’un héros tragique, un pauvre quidam » (p. 58). L’épisode amoureux subit également les foudres des théoriciens : on l’accuse de faire obstacle à la catharsis tragique, en détournant l’attention du spectateur vers une passion accessoire, et de dissoudre l’unité d’action de la pièce, au titre d’appendice périphérique et amovible. Reste le point essentiel, selon les mentalités du XVIIe siècle : si l’influence de toute pièce de théâtre sur les mœurs est virtuellement supposée pernicieuse, comme l’ont rappelé les travaux de Laurent Thirouin, à plus forte raison les œuvres à sujet ouvertement amoureux devaient s’attirer les foudres des donneurs de leçons. Ainsi, les augustiniens, drapés dans leur inflexible sévérité, refusent toute compromission avec le sentiment amoureux, même tempéré, sur la scène tragique, et Boileau et Bossuet s’accordent à dénoncer par ailleurs la redoutable efficacité « subliminale » (p. 87) de la musique d’opéra. Mais d’autres discours se font plus conciliants, en établissant de subtiles distinctions entre amour légitime et amour illégitime : toute une commode casuistique dramaturgique est ainsi mise en lumière par Carine Barbafieri.

6La conclusion de la partie propose une salutaire relativisation des explications historiques des faits littéraires : l’expérience personnelle des lecteurs leur confirmera sans peine que « les mêmes causes ont, suivant les besoins du critique, des effets différents » (p. 107). Arbitraire de l’historicisme mal maîtrisé, qui brosse à grands traits un tableau trop systématique du siècle ! Le royaume des Lettres a assurément ses propres lois, son propre déterminisme, et demeure finalement peu sensible aux contingences politiques et économiques auxquelles, trop longtemps, l’histoire littéraire a prétendu le réduire. Cette même histoire littéraire a confondu hâtivement le phénomène objectif de la galanterie dans le genre tragique et son analyse critique explicite par les commentateurs classiques. Mais les deux ne coïncident pas, chronologiquement : « l’apparition des critiques est postérieure de quelque vingt ans à la pratique de la galanterie dans le théâtre tragique » (p. 107). Ce malentendu initial entraîne de curieuses distorsions optiques, une manière d’illusion rétrospective : ainsi s’élabore le mythe fantomatique d’une tragédie galante tardive et autonome.

7La deuxième partie vise précisément à dégager les grandes caractéristiques de la tentation galante dans le genre tragique, constante tout au long du siècle, que les contemporains songent ou non à s’en émouvoir. La tragédie se fait ainsi euphémisme généralisé : « les dramaturges imaginent différentes formes pour tempérer la violence au cœur de la tragédie » (p. 111). Ainsi Corneille, en réécrivant Le Cid à une époque où les exigences d’honnêteté et de galanterie se font plus criantes, supprime-t-il les « fureurs » de Chimène, désormais perçues comme excessives et déplacées. On ne peut que se réjouir que la description du « langage galant » (pp. 114-128) conduise Carine Barbafieri à la lisière de la stylistique ; mais peut-être le mot « langage » n’est-il pas le plus précis. On peut regretter, à cet égard, qu’un copieux ouvrage sur le genre théâtral ne se réfère pas une seule fois, pas même sous forme de note, au Langage dramatique de Pierre Larthomas. La réflexion de Carine Barbafieri pouvait pourtant y trouver prolongements, confirmations ou autres pistes d’exploration. La cinquième partie du Langage dramatique, en l’occurrence, pouvait permettre de formuler sur d’autres bases, virtuellement éclairantes, le problème de la galanterie : est-il légitime d’évoquer, plutôt qu’un « langage », une parlure galante ? À quoi s’oppose-t-elle ? Quelles en sont les principales composantes ? Poser de telles questions n’est pas illégitime, et l’on voit mal que tenter d’y apporter des éléments de réponse empiriques suppose un retour aux vues obsolètes sur la préciosité ici dénoncées. Carine Barbafieri le montre bien du reste, en recensant et en décrivant finement quelques formes jugées spécifiquement galantes : certaines sont attendues (le compliment, le « je-ne-sais-quoi », la lettre ou la question d’amour), d’autres a priori plus surprenantes dans le cadre d’une tragédie (la raillerie, le mot d’esprit). Carine Barbafieri rend compte de cette étrange insertion de mots plaisants dans un contexte sérieux par la grandeur attachée à telles déclarations historiques, diversement reprises et déclinées. Peut-être une référence à l’essai de Sigmund Freud sur Le Mot d’esprit et sa relation à l’inconscient eût-elle suggéré d’autres justifications. Si le mot d’esprit est « tendancieux », on conçoit fort bien qu’il trouve sa place sur les terres de Melpomène : il porte la trace secrète d’un désir de meurtre ou de viol. N’est-ce pas précisément la source de cette « violence verbale contenue » décelée à la p. 148 ?

8La tentation galante passe aussi par les larmes qu’on verse complaisamment sur la scène tragique au XVIIe siècle. On a souvent relevé « l’inflation lacrymale qui gagne les héros et plus encore les héroïnes tragiques vers 1660 » (p. 191), ce mouvement culminant avec la Médée de Longepierre (1694), qui fait paradoxalement figure d’« héroïne plus pitoyable que grandiose dans ses colères et dans sa vengeance » (p. 186). Mais Carine Barbafieri, balayant les simplifications chronologiques de l’histoire littéraire, inscrit cette mode dans un courant continu qui apparaît dès les années 1630. Elle rappelle que les portraits féminins, si prisés dans les cercles galants, revendiquent presque systématiquement une complexion « mélancolique ». Elle montre aussi que les larmes fonctionnent souvent comme un pervers « signe érotique » (p. 170), qui stimule le désir masculin autant qu’il attendrit les cœurs. Ces larmes, au demeurant, ne sont physiquement représentées que par un effet de trompe-l’œil conventionnel : l’actrice ne fait, concrètement, que tirer son mouchoir, « par pure métonymie » (p. 172).

9La partie s’achève par une série de monographies consacrées à divers dramaturges, de Benserade à Campistron, qui visent à montrer que la galanterie, loin d’être une mode tardive et liée aux contingences politiques, est « un modèle qui parcourt tout le XVIIe siècle » (p. 252). C’est, notamment, l’occasion de nuancer bien des idées reçues sur Quinault : si l’euphémisme, figure reine de l’esthétique galante, oriente la plupart des retouches qu’il apporte aux données historiques, la cruauté authentique n’est nullement absente de son théâtre, « douceur et violence » (p. 233) s’y voyant paradoxalement associées. La preuve est faite que la tentation galante, loin d’émerger ex nihilo en 1660, comme le croyait Paul Bénichou, est bien présente dès la rénovation de la tragédie, dans les années 1630.

10La troisième partie, parfaitement dialectique dans son mouvement, tente de dégager les voies par lesquelles les dramaturges tentent de concilier les exigences contradictoires respectives de la douceur galante et de l’âpreté tragique. Une solution peut être de mettre l’accent sur les vertus communes aux deux modèles : constance et complaisance. On peut aussi utiliser une héroïne visionnaire, d’où des personnages féminins agencés en chiasme : mondaines raffinées rêvant de grandeur glorieuse, ou guerrières intrépides rêvant de douceur amoureuse. Carine Barbafieri envisage encore l’hypothèse selon laquelle ces impulsions antinomiques seraient incarnées par des personnages distincts, d’où le risque d’une simple « juxtaposition » (p. 270) des deux modèles, plutôt que d’une synthèse authentique. La relecture lumineuse qui est proposée d’Horace irait dans ce sens : deux paradigmes de personnages, respectivement civils et héroïques, s’y opposent nettement. Peut-être conviendrait-il toutefois de montrer, plus clairement que ne le fait Carine Barbafieri, que les deux orientations, dans la pièce, ne sont pas simplement « juxtaposées », mais bel et bien hiérarchisées, ne fût-ce que par le biais de l’image récurrente d’une échelle verticale des âmes. Nul ne songerait sérieusement à contester l’influence déterminante du modèle galant dans Horace, mais n’est-il pas convoqué pour être aussitôt relativisé ? Et, à trop mettre l’accent sur la dimension civile de la pièce, ne risque-t-on pas d’en revenir insidieusement à la surestimation romantique du rôle de Curiace ? Il est vrai que le discours critique contemporain insiste souvent, de façon exclusive, sur la dimension guerrière et héroïque de cette tragédie. On peut donc considérer que les commentaires de Carine Barbafieri, en mettant audacieusement l’accent sur l’autre composante majeure, complètent et rééquilibrent les analyses antérieures, sans les invalider intrinsèquement.

11À partir des années 1680, le goût évolue significativement. Les malheurs des couples d’amants émeuvent de moins en moins le public, et les dramaturges doivent se tourner vers d’autres formes de pathétique. On voit donc se multiplier trahisons déchirantes entre amis intimes, ou douleurs de mères et de pères confrontés à la perte inévitable de leurs enfants. On songe même, pour finir, à supprimer purement et simplement l’épisode amoureux. Selon une manière d’économie dramaturgique, cette suppression est alors mécaniquement compensée par l’insertion d’autres éléments : si l’épisode politique et le fond musical n’ont guère été exploités, en revanche la contamination des sources s’est révélée un bon expédient, et Longepierre en donne l’exemple avec son Électre (1702).

12Enfin, Carine Barbafieri propose une bibliographie, claire et commode, mais sur laquelle quelques menues réserves peuvent être, à notre sens, formulées. Bien entendu réduite à l’essentiel pour des raisons strictement éditoriales que chacun comprendra, elle est construite de façon curieuse : au sein de chaque rubrique consacrée à un auteur particulier, la présentation des titres suit, non pas la chronologie des parutions, mais l’ordre alphabétique : pour les livres de Georges Forestier par exemple, on a ainsi l’ordre 1998, 1996, 1988, 2003 (p. 384), et pour les articles du même auteur, on a 1993, 1992, 1998, 1984, 1990, 1994 (p. 387). Il est permis de penser que cet agencement en dents de scie ne rend pas pleinement justice aux divers critiques mentionnés, car il masque l’élaboration progressive de leur réflexion, d’un essai au suivant.

13Tout au long d’Atrée et Céladon, le style de Carine Barbafieri est d’une élégance ferme, sans artifice ni facilité. Loin de chercher l’image à tout prix ou de se griser de formules creuses, elle écrit avec netteté et rigueur, attentive à trouver le mot juste, et à subordonner toujours les ornements ponctuels à la conduite de la pensée : on reconnaît l’universitaire consciencieuse qui entend, en toutes choses, rester accessible. L’argumentation est toujours convaincante, et l’on ne songe guère à mettre en question, à la lecture, les vues développées, fondées à l’évidence sur une information dense, et sur un art très sûr de la démarche dissertative. On aura compris que ce livre se lit, non seulement avec un vif intérêt scientifique mais aussi avec un vrai plaisir. De rares coquilles ou menues bévues – une trentaine environ – se sont toutefois glissées dans le volume. Il s’agit le plus souvent d’anodines erreurs de saisie : « le désepoir » (p. 38), « nécesaires » (p. 159), « la brutalié » (p. 205), « il semble y a voir » (p. 263), « ave ironie » (p. 329), « peut satisfaisante » (p. 335)... Plus ennuyeux est cet accord erroné : « la reformulation qu’en a fait la marquise de Sablé » (p. 102). On relève aussi quelques constructions obscures ou hasardeuses : « sous peine de ne déclencher de médiocres passions » (p. 197), « Hécube que, loin d’aimer, il contribua à lapider » (p. 261), « engendre que la tragédie [...] est en proie » (p. 266). Tout cela, on l’aura compris, n’est que bien peu de chose, et ne change rien au fait que la rédaction de Carine Barbafieri, tout au long de ces quelque quatre cents pages, est de très bon aloi.

14Chemin faisant, Carine Barbafieri, qui a parfaitement conscience qu’un parcours critique n’est par définition jamais achevé, n’hésite pas à lancer des pistes d’analyses futures :

15« Une hypothèse de travail que nous aimerions creuser à l’avenir consiste à supposer que ces “déviations” constatées dans les tragédies de collège ne sont pas des accidents ou des marques de négligence, mais répondent à la volonté ancrée des Jésuites de combattre les augustiniens qui se font très virulents à la fin du XVIIe siècle. » (p. 101)

16Tout n’est pas dit : ouvrir de telles perspectives, c’est à la fois faire preuve de modestie (conscience des limites présentes) et d’ambition (désir d’enquêtes approfondies), en tout cas de lucidité (chaque livre n’est qu’une étape). Et le lecteur de rêver déjà, sur la base nécessairement frustrante de quelques lignes, de quelques graines de réflexions, des futurs ouvrages de l’auteur...

17Atrée et Céladon constitue indiscutablement une contribution de tout premier ordre à la connaissance du théâtre classique, et l’on ne saurait trop en recommander la lecture à toutes les personnes qui explorent ce vaste, cet inépuisable champ de recherche, clef de voûte prestigieuse des travaux dix-septiémistes. Les spécialistes de la question trouveront ici, au fil des chapitres, bien des analyses de détail éclairantes, audacieuses parfois, neuves et stimulantes toujours : par exemple, on ne lit plus tout à fait Médée ou Horace de la même façon après avoir pris connaissance des analyses de Carine Barbafieri. Il faut saluer tout particulièrement l’effort permanent de l’auteur, après d’autres chercheurs, pour redonner aux minores leur place essentielle dans la réception effective des belles lettres, et, par contrecoup, dans toute tentative sérieuse d’empathie historique : la postérité, avec l’arbitraire qu’on lui connaît, oublie tant d’œuvres, intrinsèquement brillantes ou médiocres, mais en tout état de cause toujours éclairantes sur les conceptions esthétiques de leur temps ! On ne peut, sur ce point, qu’être très impressionné de la connaissance quasi encyclopédique qu’a Carine Barbafieri des tragédies du XVIIe siècle, qui toutes ont quelque chose à nous apprendre, et jusqu’aux plus obscures. Et l’on a vraiment le sentiment effrayant, en parcourant ce volume, que Carine Barbafieri a pris le temps de lire attentivement, jusqu’au moindre vers, toutes les tragédies du siècle !

18Atrée et Céladon est aussi, plus généralement, une leçon de méthode qui fera date, croyons-nous, dans les études littéraires : l’auteur nous incite à nous méfier des idées toutes faites, à ne jamais nous départir d’un examen des faits rigoureux et sans préjugé, et à ne pas hésiter, si la vérité nous y contraint, à bousculer les concepts critiques à première vue les mieux établis. Contre les facilités des systèmes préconçus, contre la tentation de l’indolence en matière de théorie littéraire, contre l’enlisement pusillanime dans de confortables idées reçues, Atrée et Céladon est un remède vif, précieux et énergique. Un cordial de l’intellect.