Bloy correspondant
La dédicacite
1Émile Van Balberghe, licencié en histoire médiévale et fort d’une longue expérience de libraire et d’éditeur, a consacré plusieurs publications au romancier et essayiste français Léon Bloy (1846-1917). Il a rassemblé ses travaux pour les éditions de l’Université de Mons, et propose le catalogue des dédicaces et de la correspondance de Bloy, ainsi que des écrits consacrés au pamphlétaire en Belgique. Ces trois ouvrages ne constituent pas une étude de l’œuvre de Bloy, mais un inventaire, précis et rigoureux, particulièrement utile pour le chercheur.
2La « Dédicacite », inventaire provisoire des envois et dédicaces de Léon Bloy rassemble les divers « hommages » de l’écrivain, à savoir ses dédicaces imprimées et manuscrites, les envois d’ouvrages à des tiers et les commentaires autographes de Bloy sur ses photographies. Certes, d’autres chercheurs ont déjà établi de tels répertoires — songeons, entre autres, aux travaux de Michel Arveiller au début des années 1990 — mais jamais de manière aussi large. É. Van Balberghe a réalisé un travail minutieux, à la fois dans les fonds de bibliothèques et les collections privées.
3Le répertoire s’organise selon l’ordre alphabétique des dédicataires, et reprend ensuite chronologiquement les diverses dédicaces, en tenant compte des éventuelles rééditions, lorsqu’une même personne a bénéficié de plusieurs hommages. É. Van Balberghe retranscrit minutieusement les textes, et accompagne le nom des dédicataires d’une brève notice biographique. Il précise également les noms de jeune fille et d’épouse pour les femmes mariées.
4L’auteur rétablit aussi certaines dédicaces originelles, retranscrites erronément dans les catalogues de vente, et rapporte toute information relative aux dédicaces, reprises dans le journal intime de Bloy (date de l’envoi de l’exemplaire, accusé de réception du volume, etc.). Celui-ci mentionne, en effet, presque systématiquement, les envois envisagés, pour chaque publication.
5Ces dernières précisions expliquent le terme « provisoire » du titre. Bloy livre effectivement de précieuses informations sur ses dédicaces, dans son monumental journal intime, encore partiellement inédit. É. Van Balberghe souhaite donc compléter ses travaux, lorsque la totalité des volumes seront édités.
6Ce type de répertoire, surtout lorsqu’il atteint la précision de l’ouvrage d’É. Van Balberghe, rassemble des informations utiles pour le chercheur (position de l’artiste dans le champ littéraire, etc.). Ceci est d’autant plus vrai pour Bloy. D’une part, l’écrivain français se révèle particulièrement prolixe dans ce domaine : il n’est pas rare qu’il double la dédicace imprimée d’une dédicace manuscrite, ou envoie deux exemplaires d’un même volume à une même personne… mais avec des dédicaces distinctes. D’autre part, les textes présentent de réelles qualités stylistiques, et méritent sans nul doute une étude littéraire appropriée. Le pamphlétaire use de citations, parfois de citations latines, souvent inspirées des écritures saintes, et n’hésite pas à composer ses propres textes en latin. Sa pratique de la dédicace démontre les liens qui unissent ce type d’écrit aux préfaces et à la correspondance, notamment lorsque l’auteur souhaite indiquer les motifs de son don ou se justifier. Cet aspect se révèle particulièrement intéressant dans les dédicaces tardives, qui suivent de plusieurs années la publication de l’œuvre. Le répertoire d’É. Van Balberghe constitue donc une contribution de qualité, tant à l’analyse de l’œuvre bloyenne qu’à l’étude des dédicaces comme genre littéraire.
Inventaire — provisoire — de la correspondance
7É. Van Balberghe établit par ailleurs l’inventaire chronologique provisoire de la correspondance de Bloy, de la rédaction des brouillons aux éventuelles publications. Le corpus de plusieurs milliers de lettres, écrites entre janvier 1862 et octobre 1917, ne se limite pas aux échanges de Bloy et de ses interlocuteurs. L’historien belge répertorie également les lettres de son épouse (Johanne Molbech/Jeanne Bloy) et de ses filles (Madeleine Bloy-Souberbielle et Véronique Bloy-Tichy), ainsi que les courriers d’autres personnes, dictés ou inspirés par Bloy.
8Le répertoire demeure, actuellement, provisoire en raison de la publication en cours du journal intime de Bloy, que nous avons déjà signalée précédemment. Ce document constitue, en effet, pour la correspondance, la principale source d’information d’É. Van Balberghe. L’écrivain y consigne soigneusement, chaque jour, le courrier envoyé et reçu, recopiant parfois ses propres lettres, plus rarement celles de ses correspondants. Il reste relativement exceptionnel qu’une lettre retrouvée ne figure pas dans ces précieux volumes. É. Van Balberghe souhaite donc reprendre ses travaux, après la publication intégrale du journal intime. Cette nouvelle édition sera l’occasion d’une révision complète, avec d’éventuelles additions et corrections. L’auteur ne revendique cependant aucune exhaustivité, présente ou future, conscient de l’inaccessibilité de certaines collections privées, des inévitables erreurs de transcription, de l’imprécision de certaines informations, etc.
9L’éditeur complètera également ses travaux par un index des correspondants, accompagnés de brèves notices bibliographiques. L’édition actuelle propose cependant déjà quelques indications, afin de faciliter l’identification des interlocuteurs de Bloy. Dans la mesure du possible, l’ouvrage précise leur titre de noblesse, leur grade militaire ou leur état religieux, ainsi que les noms de jeune fille et d’épouse pour les femmes mariées. Il tente également de préciser le statut de certains correspondants plus obscurs : voisin, antiquaire, procureur général, etc. Le répertoire mentionne aussi les renseignements relatifs à l’existence matérielle de chaque lettre, et se clôt sur la liste — très brève au regard de l’ampleur du corpus — des courriers inclassables.
10Enfin, É. Van Balberghe propose, en fin de volume, une liste provisoire des traductions de la correspondance de Léon Bloy, nouvelle preuve de la place importante du pamphlétaire dans le paysage intellectuel français de la fin du xixe et du début du xxe siècle.
11L’édition critique de la correspondance des écrivains constitue une contribution non négligeable aux études littéraires. Elle rassemble, en effet, de multiples informations sur le quotidien de l’artiste, ses préoccupations matérielles et spirituelles, la genèse de son œuvre, sa place dans le champ littéraire de l’époque, etc. Les recherches scrupuleuses d’Emile Van Balberghe, qui rassemble des pièces éparses entre diverses institutions et collections privées, offrent donc une base solide et précieuse à une future édition complète de la correspondance de Bloy, particulièrement prolixe. Certes, les philologues bénéficient déjà de la publication de certains documents (correspondance avec Anne-Marie Roulé, correspondance avec ses filles, etc.), mais uniquement sous forme fragmentaire.
Bloy & la Belgique
12É. Van Balberghe, dans un troisième volume « La Belgique même s’en est mêlée, justes cieux ! », répertorie l’ensemble des écrits relatifs au pamphlétaire français, publiés par des Belges ou en Belgique, avant le décès de l’écrivain. Il ne se targue pas plus que précédemment d’une exhaustivité chimérique, toutefois, ses multiples recherches garantissent un réel souci de précision. Certes, l’entreprise n’est pas neuve (songeons aux travaux d’Hubert Colleye, Léopold Levaux ou Georges Rouzet), mais la publication de Van Balberghe constitue un témoignage particulièrement rigoureux de la réception de Bloy outre Quiévrain.
13L’historien fonde ses travaux sur la découverte d’une partie du livre de presse de Bloy, dans les fonds de la Bibliothèque Royale de Belgique, et sur le tapuscrit des travaux inédits de Georges Rouzet. Il a patiemment dépouillé un riche corpus de chroniques, de chapitres d’ouvrages, de notes bibliographiques, de réclames, de revues, de mentions dans le journal intime de l’écrivain ou dans sa correspondance, etc. La seule référence au journal de Bloy légitime, nous avons précédemment insisté sur ce point, l’impossible exhaustivité de ce répertoire, puisqu’une partie des nombreux volumes demeure encore inédite.
14Le répertoire organise les textes chronologiquement, d’après leur date de parution, et non de rédaction. Lorsque le titre manque de précision, une courte note explicative précède le texte. Un commentaire suit l’édition, s’il y a lieu. L’inventaire précise également les éventuelles mentions de l’écrit dans le journal intime de Bloy, ou sa correspondance, ainsi que la bibliographie chronologique des livres et articles où le texte est signalé, commenté ou édité (in extenso ou en partie).
15Cet « inventaire belge » se justifie aisément en raison des rapports étroits qui unissent Bloy et la Belgique. D’une part, l’écrivain a multiplié les contacts — positifs et négatifs — avec notre pays ; d’autre part, plusieurs journalistes et écrivains belges ont très tôt reconnu la valeur littéraire de ses œuvres. Bloy parvient à publier La Chevalière de la mort dans une revue gantoise grâce au soutien de ses relations belges ; Émile Verhaeren a rédigé l’un des meilleurs comptes rendus des Propos d’un entrepreneur de démolitions et du Désespéré ; etc.
16Notons toutefois que l’ampleur du corpus belge doit être évaluée à l’aune du corpus français de l’écrivain, victime de la fameuse « conspiration du silence ». Bloy n’est évidemment pas le seul pamphlétaire français, et la violence de ses propos n’explique pas, à elle seule, l’ostracisme qui frappe ses publications. Si la presse française tolère les invectives d’un écrivain envers ses confrères, elle condamne cependant les satires sociales. Isolé, dépourvu d’amis influents, Bloy ne bénéficie donc d’aucun soutien lorsqu’il attaque la société entière.
17Contrairement à leurs homologues français, les écrivains et critiques littéraires belges ne manifestent aucune indifférence envers l’œuvre bloyenne, qu’il s’agisse d’auteurs de renom (Max Elskamp, Camille Lemonnier, Edmond Picard, etc.) ou moins connus (Jean d’Ardenne, Henry Carton de Wiart, Hubert Krains, etc.). Van Balberghe ne rassemble pas moins de deux cent vingt-cinq références pour les années qui nous préoccupent.
18L’ouvrage permet non seulement d’affiner notre connaissance de l’œuvre de Bloy et de sa réception à l’étranger, mais il reconstitue la vie littéraire belge de l’époque : l’effervescence des revues d’avant-garde (e.g. La jeune Belgique), les organes de presse, les maisons d’édition, etc. Il remet également à l’honneur des critiques de premier plan de l’œuvre bloyenne, injustement méconnus.
19Nous attendons donc avec impatience la suite de ce répertoire, justement sous-titré Léon Bloy et la Belgique I, consacrée à la nomenclature des textes de Bloy édités entre Sambre et Escaut. L’auteur espère également enrichir ce second volume de la liste alphabétique des notices consacrées aux auteurs des textes édités, de la liste alphabétique des notices consacrées aux revues et journaux qui les ont publiés, et d’un index général.
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20Les trois répertoires élaborés par Émile Van Balberghe constituent sans nul doute une contribution de qualité aux études bloyennes et faciliteront les futurs travaux des chercheurs. Nous excusons, dès lors, le caractère lacunaire des ouvrages, mal nécessaire à une publication immédiate. É. Van Balberghe demeure largement tributaire de l’édition en cours du journal intime de Bloy, et attendre la publication de l’ensemble des cahiers aurait privé les spécialistes du pamphlétaire d’outils particulièrement utiles.