Lorsque la description faillit : mal voyeur & non voyant chez Zola
1Non, Zola ne dit pas le monde, et pourtant toutes sortes de fenêtres sont néanmoins ouvertes sur la réalité dans l’œuvre des Rougon‑Macquart mais la description faillit savamment.
2Émilie Piton‑Foucault, dans un ouvrage de plus de mille pages, Zola ou la fenêtre condamnée, va autopsier minutieusement cette crise de la représentation, en traquant les paysages qui fuient, les personnages qui s’estompent et les objets qui s’évanouissent sous le regard défaillant des personnages.
3Or, si le récit naturaliste est inopérant à faire voir, c’est que le nouveau Zola est arrivé et que nos certitudes littéraires risquent bien d’en être malmenées ! Henri Mitterand nous rappelle, dans la préface du livre, que Zola n’est pas un auteur réaliste mais un « metteur en scène » de la réalité.C’est pourquoi É. Piton‑Foucault remet en cause la validité, la véracité et la vraisemblance du discours zolien sur le réel.
4Pour cela, elle analyse le technème de la fenêtre dans toute l’œuvre : celle‑ci est en fait tout autant un écran qu’une possibilité de transparence, la vision s’avérant prise de vue, visée spécifique, regard entre le clos et l’ouvert, le sombre et le lumineux. Zola devient ainsi un observateur maniaque, un regardeur contemplatif et/ou un voyeur compulsif. En peintre non figuratif, il configure la réalité, sa réalité.
5La thèse d’É. Piton‑Foucault est audacieuse, presque insolente, d’une insolence fertile en idées neuves ; sa recherche devient révélation, son analyse illumination !
6Ainsi secoué par la remise en cause de ses repères, le lecteur de cet ouvrage est soumis constamment à la question. L’ère du soupçon l’accueille, la transparence mimétique l’a abusé, le constat est, bien que douloureux, sans faille. L’esthétique zolienne est à réviser, à revisiter, le monde zolien s’opacifie, le voir dysfonctionne, la représentation romanesque est en crise, la transparence vacille. Une autre lecture s’impose, celle d’un Zola quasi fétichiste se méfiant de la référentialité de son écriture aux prises avec le monde factice de sa poétique.
7Zola n’est ni réaliste, ni naturaliste : la remise en cause du principe mimétique de l’écriture réaliste entraîne avec elle le réexamen du motif de la fenêtre comme symbole de la représentation naturaliste.
Des éclairages essentiels
8Dans une première partie, l’auteur explique l’échec de la transparence réaliste en trois chapitres qui feront l’inventaire de toutes les cassures infligées par Zola aux vitres de ses fenêtres dans Les Rougon‑Macquart. Elle nous montre des vitres à nettoyer, des fenêtres écrans, des fenêtres condamnées, des fenêtres obturées, des fenêtres tableaux. Elle dessine un itinéraire scripturaire du regard : du regard qui ne voit rien, du regard empêché au regard interdit, au regard renversé, au regard détourné. Cette première partie fourmille d’exemples et s’appuie sur les grands exégètes zoliens : Philippe Hamon, Henri Mitterand, Éléonore Reverzy, Chantal Pierre‑Gnassounou, Mihaela Marin, Kelly Basilio, Auguste Dezalay, Jean Borie, Naomi Schor et J. C. Lapp, elle fait référence aux Cahiers naturalistes de 2005, le n° 32 et le n° 79.
9Dans une seconde partie, É. Piton‑Foucault affirme en trois chapitres que le mimétique est objet de haine pour Zola et sujet d’un travail de sape orchestré. Il s’agit d’aller de l’autre côté du miroir, d’enlever les masques de l’hypocrisie et de la vacuité, de nier les reflets pour projeter des images fantasmées et autonomes de toute narration. Le monde est irreprésentable, illisible et non élucidable, les fenêtres s’ouvrent sur des murs et les porte‑regards se nient dans leur embrasure. Les romans offrent une galerie d’éclopés : des voyeurs myopes, des visionnaires en déroute, des voyants incompétents. Trois personnages illustrent des cas cliniques de cécité irréversible et absolue: le juge Denizet de La Bête humaine, le docteur Pascal du roman éponyme, et le peintre Claude Lantier de L’œuvre. Cette partie se nourrit des études de Philip Walker1, de Guy Gauthier, de Robert Lethbridge, de Brian Nelson, de Régine Borderie et de François‑Marie Mourad mais surtout de l’étude sur le juge Denizet de Philippe Hamon, de celle du docteur Pascal de David Baguley et des articles des Cahiers naturalistes, de 1983 à ceux de 2001.
10Dans une troisième partie, É. Piton‑Foucault explore en deux chapitres la « vérité » de l’illusion et son empire contre l’opacité du monde. Elle détaille le réalisme zolien et le rapproche d’une esthétique du voyeurisme en insistant surtout sur le trouble qu’instaure un désir obsessionnel de regarder mais une insatisfaction permanente de n’avoir pas vraiment vu. Drame d’être vu, peur d’être épié, le réalisme devient pathologique, le regard est destructeur car fétichiste : ces chapitres sonnent irrémédiablement le glas de la référence mimétique.
11Dans la dernière partie, deux chapitres déconstruisent méthodiquement la représentation dans l’œuvre d’art par une défiguration orchestrée du réel. L’économie du référent réel s’opère dans l’espace clos de l’œuvre ; celui‑ci est propice au surgissement de la symbolique de l’enfermement de ce monde à peindre, emprisonné dans des cadres limités et des huis clos étanches. Carte topographique des paysages, rapport plastique à l’écriture, plasticité du signe escamotent souvent le référent et fétichisent ainsi le monde. La représentation se sert des contraintes du pictural pour faire échec au mimétisme et se présenter comme un artifice.
12L’ouvrage se clôt par une bibliographie sélective d’une dizaine de pages, qui donne un panoramique des études zoliennes de 1960 à 2009.
La fenêtre : un symbole vicié de la représentation naturaliste, une illustration abusive de l’esthétique de la transparence
13La fenêtre apparaît comme un substitut de l’œil de l’auteur, elle vient justifier la pause du récit et indique l’entrée du texte en description pour permettre la diffusion des renseignements techniques des fiches préparatoires de l’auteur. C’est le rôle du porte‑regard, selon Philippe Hamon, qui devra manifester un vouloir voir de curieux ou de novice et être introduit dans un espace offrant un pouvoir voir par une position avantageuse et une lumière suffisante. Cependant Zola n’est plus un romancier de la transparence, de la maison de verre : l’invasion des images ne laisse pas sa représentation littéraire intacte, la perfection des techniques d’impression, les nouvelles inventions d’optique, la diffusion de l’art par les expositions, toutes ces pulsions irrépressibles vers l’image malmènent la mathesis et la mimesis zoliennes.
14La transparence de la représentation transitive du monde se révèle utopique, le miroir sans buée auquel aspire l’écriture scientifique du xixe siècle est un mirage. L’écran se voile, s’opacifie. Que voit‑on derrière la fenêtre ? Donne‑t‑on réellement à voir au lecteur ? La description s’allégorise, elle travaille le concept et non le détail imageant, il en est ainsi dans La Débâcle lorsque Napoléon III est à la fenêtre de la sous préfecture de Sedan (p. 72) ou lorsque Henriette pallie l’empêchement de la vue par son intellect qui reconstruit artificiellement une idée du spectacle des combats :
En niant la transparence constituée de la fenêtre, le texte zolien en ferait non plus une ouverture mais une surface hermétique davantage propice à la projection qu’à la transitivité de la représentation, non plus une simple fenêtre mais un écran. ( p. 91)
15Le lexique de l’effacement, la matière immatérielle, l’infini néantisé et la transparence qui masque dénoncent le rôle paradoxal de la fenêtre qui fait écran au regard et ne le laisse pas passer d’où la faillite de la description du porte‑regard.
16Les fenêtres sont funestes car obstruées : celle de l’église dans La Faute de l’abbé Mouret, celle de Denise dans Au bonheur des dames. La crise de la représentation mimétique interdit le regard vers l’extérieur. Elle devient même une sorte d’actant du meurtre : « effacement du meurtrier en une main invisible, absurdité des circonstances, présages de l’issue fatale, aveuglement du héros, inefficacité de sa lutte pour la vie, dépossession de soi » pour la mort de Peirotte dans La Fortune des Rougon, suite à son apparition à la fenêtre de l’auberge afin de voir la troupe et lui faire signe (p. 113). De même Cabuche de La Bête humaine passe de témoin par un voyeurisme effréné à criminel potentiel suite à un simple regard par une fenêtre. La vitre se fait surface en trompe l’œil, écran de la subjectivité.
17Les rapports avec la peinture sont intéressants, en particulier l’idée d’une révolution copernicienne du regard entreprise par l’observation extérieure de la fenêtre en lien avec l’interdit, et par le concept de voyeurisme comme mal regard ou regard inversé. Tous les supports opaques sont offerts aux projections des personnages et de leur créateur : depuis Manet et son balcon qui remet en cause la perspective, depuis Caillebotte et ses fenêtres devenus supports picturaux, « la proximité d’une baie vitrée instaure immédiatement une analogie entre elle et le support de la toile, constitue le personnage en sujet de tableau, en accentuant son lieu avec une représentation factice» (p. 178). É. Piton‑Foucault établit la parenté des figures et de la composition du Rêve avec celle du balcon, les personnages semblent installés comme pour une procession et constituent un théâtre d’ombres absents de la réalité diégétique :
Lorsqu’on s’intéresse aux différentes mentions des fenêtres chez Zola, on constate que leur opacité entraîne bien souvent leur utilisation comme supports du rêve, du délire ou de la réminiscence d’un personnage. (p. 189)
De l’autre côté du miroir : le mimétique en faillite, le miroir a failli
18Nous montrer la crise de la notion de représentation chez l’écrivain naturaliste dans son paroxysme et ses doutes, nous avertir de la copie trompeuse et dépréciée du réel, nous faire assister en direct à la faillite du mimétisme en empruntant au reportage sa vivacité et à l’enquête son enthousiasme, sont un des charmes du livre d’É. Piton‑Foucault qui nous emporte sans ménagement de l’autre côté du miroir :
le miroir‑matrice photographique dévoile ainsi sa fonction initiale : devenu réceptacle, il ne se fait plus barrière contre laquelle le monde vient buter, mais à la manière du miroir traversé par Alice, passage vers un autre monde. (p. 257)
19É. Piton‑Foucault expose avec brio que les reflets infinis des miroirs zoliens, la fenêtre se muant en support d’hallucinations, en réceptacle de fantasmes, imposent que l’idée même de reproduction est une source de menace et de monstruosité, et que c’est tout le rapport au réel de l’écriture zolienne qui doit être repensé. À Zola romancier de la transparence succède Zola romancier de l’obstacle. Cette belle formule est au service d’un éclairage inattendu de la réflexion qui rend à l’écrivain son mystère et prône une sorte de lecture à rebours et une découverte d’une écriture de l’insignifiance, et même un discours sur l’œuvre en quelque sorte :
les reflets multiples des miroirs, les surfaces opaques des vitres, les glaces couvertes d’écritures ne viendraient que surligner quasi explicitement le principe même d’une écriture qui se regarde écrire et se regarde tenter de représenter le réel. (p. 265)
20Un dialogue entre un regard ignorant, celui de Jeanne et un savoir aveugle, celui d’Hélène dans Une page d’amour insiste également sur la dissociation douloureuse du pouvoir voir et du savoir voir par « une surprenante situation de l’écriture zolienne qui exploite les visions de ses héros lorsque ceux‑ci ne peuvent atteindre la neutralité et la transparence et les dédaigne chez les personnages plus propices au décryptage du réel » (p. 311). Paradoxalement, et peut‑être heureusement, ce sont
les doux rêveurs dans l’œuvre qui, bien qu’incapables de retranscrire leur vie telle qu’elle est sont les seuls porte‑regards véritablement exploités du texte, et ils véhiculent souvent les éléments positifs de l’intrigue. ( p. 312)
21É. Piton‑Foucault insiste sur la cécité voulue des personnages qui stigmatise leur aveuglement sur le monde extérieur. C’est le cas du Docteur Pascal, porte parole de l’écriture naturaliste. Selon Georges Pellisier, en lui le romancier tue le scientifique par l’absurdité de sa démarche démiurgique dans l’étude de l’hérédité. Il s’agit de faire de l’œuvre le roman non pas d’un créateur impuissant mais plutôt d’un rousseauiste utopique qui préconise la plus grande transparence entre le monde et l’œuvre d’art, jusqu’à ce que l’un se fonde dans l’autre. Bien que le monde diégétique multiplie les obstacles à cette vaine entreprise afin d’en souligner le caractère impossible, le héros s’acharne dans son illusion de supprimer toute illusion et refuse de la croire irréalisable. Le regard s’avère bien défaillant, celui de Claude dans L’œuvre, ce héros sans cesse en proie aux hallucinations, ce personnage autiste qui nie le monde réel et qui décrit sa peinture par défaut, dans ce qui lui manque. À ce propos, É. Piton‑Foucault souligne qu’il n’y a pas une vraie rivalité entre les deux figures d’artistes, Claude qui incarnerait l’échec et la réussite supposée de l’écrivain Sandoz, les deux figures d’artiste ne sont pas rivales, elles se complètent comme deux alternatives désespérantes mais inéluctables, celle de l’idéaliste qui rejette le compromis et finit par se tuer, et celle du réaliste qui accepte le compromis et continue à lutter dans l’angoisse de ce choix.
22Le voyeurisme est aux sources de l’esthétique zolienne : regarder sans voir, désirer voir de façon compulsive et permanente mais sans vision ; le regard s’empêche, s’aveugle et se détruit :
l’artiste mimétique serait un voyeur en ce sens que jamais il ne parvient à capter la vie dans son œuvre puisqu’en la figeant/fixant dans l’espace de la représentation, il opère un processus de néantisation sur elle comme le regard du voyeur sur son objet. (p. 511)
23É. Piton‑Foucault met en faisceau les réflexions de Jean Clair, Max Milner, Clément Rosset et Gérard Bonnet pour penser la littérature réaliste comme un fétiche que l’écrivain voyeur construirait afin d’aménager son désir de réalité dans le monde où il vit (p. 516). L’artiste réaliste aspire au réel, veut le toucher, mais cette quête est impossible, son objectif inaccessible en raison de l’idiotie première du réel.
Une relation perverse à la réalité : fascination & désespérance
24É. Piton-Foucault s’appuie sur les premiers écrits zoliens, en particulier ceux sur l’Égypte dans Mes haines pour démontrer que la relation au réel et au vrai a toujours été plus complexe qu’il n’y paraissait avec Zola :
L’Art semble livrer en filigrane l’image d’un Zola fasciné et désespéré face à un réel menaçant qui s’impose dans son immanence mais échappe à toute saisie. (p. 555)
25Elle analyse les termes lexicaux choisis pour exprimer la vision, établit les différences sémantiques dans le lexème de la réalité, les connotations qui informent le fonctionnement vertical de l’œuvre, elle relève avec minutie les différentes occurrences éclairantes dans l’œuvre. Elle cite aussi Claude Bernard et sa recherche scientifique qui fonde le monde comme objet explicable et assure ainsi la différence fondamentale entre sujet et objet, puis elle rend compte de l’analyse zolienne de l’échec inéluctable de l’entreprise herméneutique de tout savant, cernant le point névralgique où le réel zolien perd pied, où la peinture vraie du monde se révèle épreuve et illusion. La tension féconde de la saine et séduisante vérité contrebalance le réel déceptif et insaisissable :
Non seulement le roman expérimental est une réponse à la peur inspirée par le mystère du monde non maîtrisée mais cette réponse tente d’inverser le rapport dominé/dominant en transformant une peur en désir et une menace survenue de l’extérieur en une action intrusive de soi sur l’autre. (p. 571)
26La même idée resurgit en d’autres termes un peu plus loin dans l’ouvrage :
Les Rougon-Macquart ne sont qu’une boîte à images où le romancier projette des fantoches plus ou moins convaincants, selon le degré de subjectivité du rapport qu’ils entretiennent avec leur référent. (p. 621)
27É. Piton‑Foucault s’appuie sur le De l’intelligence de Taine pour analyser le malaise zolien face au réel, véritable symptôme de la crise ontologique de l’époque dans les sciences et les arts. Elle veut donc démontrer que c’est un reflet de l’air du temps, et pour ce faire, elle cite abondamment Taine, mais aussi quatre de ses exégètes : Paolo Tortonese, Jean Luis Dumas, Colins Evans et Yves Michaud. Elle redéfinit la notion de réel par une incursion marquée dans la psychologie, celle de Maury, Ribot, Luys, Richet, Mandsley. Elle analyse l’apparition d’une nouvelle culture visuelle à partir des études de Crary, Christin et Ortel. Elle insiste sur l’essor des arts optiques et l’émergence de la photographie, décryptés par Buisine et Janin. Après Monet et Mallarmé, elle ne cesse de se référer à Bergson, Hugo, Flaubert, Balzac, les Goncourt mais surtout Schopenhauer. Ce panthéon littéraire massif et intimidant se dresse des pages 646 à 706. Ce fourmillement d’incrustations érudites, de surimpressions bibliographiques, dont la pertinence n’est pas à remettre en cause, participe de la lourdeur de l’appareil citationnel ou référentiel et éloigne parfois de l’œuvre zolienne.
28Après un énorme effort pour assimiler toutes ces consécrations savantes au service du parallèle entre représentation et hallucination, le lecteur lit une mise en garde, obéissant certes à une grande honnêteté intellectuelle, qui le laisse réellement un peu déconfit : « Bien évidemment, rien ne permet d’affirmer que Zola a eu accès aux thèses de Taine sur la perception comme hallucination vraie et encore moins à son enquête auprès de Flaubert […] » (p. 657) !
29 Heureusement le sens de l’argumentation redevient aisé avec des exemples précis, celui de Tante Dide, de Miette, de Silvère (double de l’auteur), de Félicité et de Pierre dans La Fortune des Rougon. Le lecteur comprend alors l’analogie fonctionnelle entre la chambre noire photographique et leur cerveau, et l’intérêt des lieux clos où les personnages sont victimes d’hallucinations : les images projetées par la veilleuse opèrent comme une lanterne magique et la tache de lumière au plafond devient elle‑même l’œil témoin et accusateur : « […] Le monde zolien multiplie les niveaux d’artifice, dans un vertige infini de mises en abyme de l’illusion, comme pour souligner l’impossible » (p. 720). Le mot se désactive de sa capacité iconographe et la représentation du monde devient quasi abstraite. Zola s’affirme ainsi comme un agent d’ambiance et un opérateur d’atmosphère, dans une œuvre guettée par une certaine abstraction et une possible non figuration, garantes de sa modernité.
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30Si l’ouvrage d’Émilie Piton‑Foucault, Zola ou la fenêtre condamnée, la crise de la représentation dans Les Rougon‑Macquart en impose par le sérieux universitaire, la richesse des références, la multiplicité des exemples et la solidité des argumentations, il pèse un peu, au propre comme au figuré, sur le simple lecteur amoureux de l’œuvre de Zola. Certes, les mille pages sont brillantes et nécessaires mais le didactisme recherché et le désir d’exhaustivité en font un ouvrage indigeste et parfois trop scolaire. Certains développements éloignés du sujet éponyme auraient pu figurer en notes pour ne pas perdre la tension argumentative par des dérivations multiples sur le contexte culturel de l’époque ; un abandon de toutes les influences directes connues au profit de celles des affinités électives plus inattendues sur l’esthétique zolienne de la vérité aurait œuvré à une économie vitaliste de l’essai. L’itinéraire, plein de promesses, est parfois escarpé avec de multiples strates de réflexion où le fil directeur peut se « flouter » si on n’y prend garde.
31Les titres des chapitres sont structurants mais leur longueur et leur performances programmatiques sont trop intrusifs ; on peut aussi signaler l’inutilité et la redondance des surlignements, de la mise en gras ou en italiques des parties de citation, formatant à coup sûr la démarche du lecteur. Néanmoins, l’essai passionne bien qu’il s’avère dévorateur de temps et de patience. É. Piton‑Foucault a en effet dévoilé dans son essai un nouveau statut du réel dans l’esthétique zolienne a‑référentielle, mais elle a aussi, et c’est peut‑être le point le plus digne d’intérêt, révélé un autre Zola dans une écriture de la fêlure, assez inattendue par rapport au naturalisme ambiant qu’on lui attribue généralement.
32À l’heure où la BNF fait paraître une édition enrichie et annotée d’Au bonheur des dames en partenariat avec le Musée d’Orsay, Zola ou la fenêtre condamnée, la crise de la représentation dans Les Rougon‑Macquart d’É. Piton‑Foucault est un ouvrage qu’il faut conseiller (imposer peut‑être…) aux agrégatifs de 2016 qui ont Les Rougon‑Macquart au programme de leur concours car c’est une mine d’informations généreusement mises à disposition, et d’excellents modèles canoniques d’explication de texte et de stylistique s’incrustent au fil des pages.