Appel à contributions pour un prochain numéro de la revue Fabula-LhT
Direction : Aurélien d’Avout et Yohann Deguin
Les questionnements actuels sur le genre, sur les rapports de domination, sur le handicap ou encore sur les situations de crise sanitaire invitent à reconsidérer les récits portant sur la violence physique, la douleur, la blessure et la maladie. Ce numéro propose d’étudier les représentations du corps souffrant dans la littérature, lorsque celui-ci apparaît investi d’une valeur collective et politique. En effet, bien qu’éprouvée de manière intime dans le corps d’un sujet, la souffrance est aussi affaire de tous et toutes.
Récits fictionnels et factuels – récits de guerre, d’esclavage, d’attentats, d’épidémies, littérature concentrationnaire –, œuvres poétiques et théâtrales – la scène constituant le lieu privilégié d’une exposition des corps –, abondent en corps souffrants. Ils mettent en scène un certain nombre de figures topiques, à l’instar de la femme battue, du bouc émissaire, du martyr chrétien, de la gueule cassée ou du résistant torturé. Corps sanglants et agonisants, macabres, guillotinés, violés, mutilés : tous apparaissent traversés par le politique et posent la question philosophique du mal, du désir et de la mort.
Ce numéro, transhistorique dans son principe, privilégiera les contributions articulant les enjeux poétiques et politiques des textes. La réflexion peut s’organiser à partir des trois axes suivants :
1. Douleur des dirigés : le corps souffrant dans l’espace public
Les individus sacrifiés ou exploités, transformés en chair à canon ou en chair à profit, victimes d’un système de croyance ou d’intérêts géopolitiques, apparaissent dans bien des cas exposés aux yeux de tous et toutes. Ainsi du retour à la vie civile des soldats, des forçats ou des personnes déportées, de l’exposition publique des suppliciés et des martyrs, mais aussi des simples travailleurs et travailleuses, du peuple frappé d’une épidémie.
2. Douleurs des dirigeants : le corps public souffrant
Les corps revêtent une dimension symbolique en fonction de leur appartenance politique et sociale : ils témoignent de la santé d’une nation ou de la légitimité d’un régime. Ils peuvent même être investis de pouvoirs surnaturels et miraculeux, à l’instar des rois thaumaturges auxquels on prêtait le pouvoir de guérir les écrouelles, ou servir une stratégie de propagande efficace, à l’image du corps sain et viril promu notamment dans les États autoritaires du xxe siècle. Mais qu’en est-il lorsque de tels corps défaillent, lorsque le responsable d’un gouvernement agonise, lorsqu’une reine ou un roi menace de succomber ?
3. Le corps souffrant en ses allégories
Lorsque les discours relatifs au corps souffrant prennent l’ampleur d’une allégorie, un individu à l’agonie peut incarner le déclin d’une civilisation, des animaux malades de la peste personnifier le dévoiement de ses coutumes, etc. Les auteurs et autrices altèrent parfois une allégorie traditionnelle en reprenant ses attributs classiques, mais en lui adjoignant les marques d’une souffrance physique. Figure privilégiée d’œuvres à thèse et de discours collectifs (libelles, inscriptions militantes, images de solidarité sur les réseaux sociaux), l’allégorie ne s’y trouve pas pour autant cantonnée. On interrogera le caractère souvent polysémique qu’elle assume au sein d’un texte ou encore sa spécificité dans le système des personnages.
Tous ces corps sont susceptibles de fonder un réquisitoire porté contre la brutalité d’institutions ou d’états qui prétendent détenir le « monopole de la violence légitime » (Max Weber). Les dommages provoqués sont tantôt dissimulés par ces corps souffrants ou par celui ou celle qui les représente, tantôt exhibés comme des signes héroïques : celui du sacrifice ou de la rédemption. Ainsi les blessures de soldats d’Ancien Régime sont-elles parfois absentes des récits, au profit d’une gloire collective tournée vers l’image d’un monarque conquérant. Par quels moyens littéraires les auteurs et autrices envisagent-ils de débusquer les mécanismes du pouvoir, voire de construire une « histoire politique des corps » (Michel Foucault) ?
Quels genres et registres littéraires se trouvent associés à de tels scénarios et scènes de souffrance ? Quelle place et quelle valeur rétrospective sont accordées à la maladie par les femmes ou les hommes qui l’auraient vécue ? Se trouve-t-elle relativisée, voire passée sous silence, ou au contraire dramatisée, instrumentalisée pour justifier certaines décisions passées ?
Modalités de participation
Les propositions doivent comprendre deux pages rédigées ainsi qu’une bibliographie sélective et une courte ébauche de plan (max. 4 pages). Merci d’inclure votre nom, votre affiliation et votre statut sur la première page (mais aucune bio-bibliographie ne sera examinée). Les propositions devront être adressées avant le 15 juin 2022 aux adresses suivantes : romain.bionda@fabula.org et jeannelle@fabula.org.
Merci de respecter les consignes de notre Note aux rédacteurs.
Les propositions seront évaluées ensuite de manière anonyme, en double aveugle (peer review), conformément aux usages de la revue.
Les premières versions des articles complets seront à rendre le 15 janvier 2023 au plus tard. Des navettes sont à prévoir avec les directeurs du numéro avant sa parution en novembre 2023.