Le journalisme de cinéma en France : mises en perspective historique
Date : vendredi 7 avril 2023
Lieu : Abbaye d’Ardenne, Institut Mémoires de l'édition contemporaine, Saint-Germain-la-Blanche-Herbe
Si de nombreux travaux se sont intéressés à la critique consacrée en France au « Septième art », celle-ci est loin d’épuiser la richesse des écrits parus dans la presse sur le cinéma. Quand Robert Florey nous introduit chez Ruth Roland, « la Reine des sérials »[1], ou quand Suzanne Chantal relate le tournage de L’Espoir de Malraux, auquel elle assiste durant la Guerre d’Espagne[2], ni l’un ni l’autre ne font œuvre de critique. Leur travail relève en revanche du journalisme de cinéma. On définira ce dernier ici comme l’ensemble des activités ayant pour objet la rédaction de contenus dédiés au cinéma et dont la presse constitue le lieu de diffusion, incluant de facto la critique sans s’y limiter. Ce sont ces activités et ces contenus, dans toute leur diversité, que propose d’aborder cette journée d’études, en se focalisant sur celles et ceux qui ne relèvent pas de la critique, sans se priver d’interroger pour autant les rapports qu’ils entretiennent avec elle. L’attention portée à cette dernière a conduit en effet à une sélection drastique des textes, privilégiant ceux qui traitent des films et des auteurs au détriment des nombreux autres aspects que recouvre le « phénomène “cinéma” » (Rick Altman) ; elle a orienté ainsi les recherches tantôt vers l’étude de la théorie et de la pensée du cinéma, tantôt vers celle de la réception. La presse a également été fréquemment mobilisée pour travailler sur des thématiques variées, au sujet desquelles elle apporte une mine d’informations. Cet appel à communications invite à s’intéresser au journalisme de cinéma comme objet d’étude à part entière. On cherchera de la sorte à comprendre ce que ce journalisme nous apprend sur la manière dont le cinéma a été perçu, vécu, transmis, sur les représentations qui y ont été associées et sur le rôle social et culturel qu’il a pu jouer, de ses débuts à la veille des bouleversements induits par le développement d’Internet à partir de la fin des années 1990.
Il s’agira pour ce faire de se déprendre des catégories de « populaire » et de « savant », au travers desquelles sont généralement appréhendées les publications sur le cinéma, pour revenir sans a priori aux textes – et aux images – qui ont été les lieux d’élaboration et de transmission des cultures cinématographiques. Délaissant les critères d’approches inhérents aux processus de distinction, on travaillera ainsi sur des sources habituellement considérées comme illégitimes autant que légitimes. Les archives relatives à des titres de presse ou des individus particuliers, quand elles existent, gagneront à être explorées. Tous les types de presse pourront être envisagés : généraliste et spécialisée, quotidienne et à périodicité plus espacée, corporatiste et cinéphile, prenant la forme de journaux, de revues ou de magazines. La journée sera ouverte, en outre, à des propositions abordant d’autres médias – radio et télévision – sur lesquels le journalisme de cinéma a pu se déployer. Interdisciplinaire, elle a vocation à accueillir des travaux mobilisant, en les croisant ou non, des approches venues des études cinématographiques, de l’histoire ou encore des lettres. La période envisagée étant longue enfin, on veillera à interroger, dans le cadre des interventions individuelles ou bien collectivement, lors des échanges, les évolutions qu’a connues alors en France le journalisme de cinéma et les tournants qui en ont marqué l’histoire.
Plusieurs axes pourront être envisagés, parmi lesquels :
La profession de journaliste de cinéma
- Qui sont les auteurs et les autrices traitant du cinéma dans la presse ? Quels sont leurs profils, leurs parcours, et sont-ils distincts de ceux des journalistes écrivant sur d’autres arts du spectacle ? Comment travaillent-ils et à partir de quelles sources ? Qu’en est-il des correspondants installés à l’étranger, comme Robert Florey précédemment cité ? On se demandera encore dans quelle mesure, à l’instar des écrivains-reporters des années 1930, étudiés par Myriam Boucharenc[3], des personnalités extérieures à la profession se sont intéressées occasionnellement au cinéma et à quelles occasions. À partir de quand, du reste, peut-on parler de journalistes de cinéma ? Pour aborder ces questions, on pourra se pencher sur un groupe spécifique dans une perspective prosopographique, ou sur des individus particuliers. La place des femmes sera notamment interrogée : à quel point le cinéma a-t-il pu constituer pour elles un domaine plus ouvert ? Cette ouverture varie-t-elle selon les titres, les époques, les sujets traités ?
- Quelles sont les modalités d’organisation de la profession ? Celle-ci est-elle confondue avec celle de critique et le cinéma se voit-il reconnaître en la matière une spécificité ? Celles et ceux qui écrivent sur le cinéma dans la presse sont-ils pleinement intégrés au milieu du journalisme ? Les recherches pourront notamment explorer sur ce point la situation de ces journalistes au sein des syndicats et des associations professionnelles.
Frontières et territoires du journalisme de cinéma
- Objets, genres et styles : sur quoi écrivent les journalistes de cinéma, par-delà les films eux-mêmes ? Existe-t-il des sujets récurrents ? Comment se mettent en place des « marronniers », où les motifs attendus se mêlent à de multiples variations (la couverture du festival de Cannes à partir de 1946, par exemple) ? Peut-on identifier des genres (reportage, biographie, entretien, etc.), endogènes ou exogènes au cinéma ? Dans quelle mesure des thématiques donnent-elles lieu à des spécialisations (stars, techniques, économie, etc.) ? L’écriture journalistique pourra également être analysée : comment écrit-on sur le cinéma ? Qu’en est-il du style, du ton, du vocabulaire employés ? À côté du texte, une attention particulière sera portée à la place et au rôle des images, de la simple illustration au photoreportage.
- Croisements : il s’agit ici d’interroger la manière dont le cinéma rencontre d’autres types de presse (littéraire, féminine, pour la jeunesse, etc.) et d’autres domaines journalistiques (la mode par exemple). Quelle place lui est alors accordée, y compris dans l’organisation très concrète des publications (couvertures, rubriques, etc.) ? Quelles représentations y sont attachées ?
- Publics : à quels lectorats s’adressent ces journalistes et comment ? Quelle pédagogie mettent-ils en œuvre, quelle autorité incarnent-ils au sein de la communauté des cinéphiles ? Dans quelle mesure, suivant les rubriques (on pense en particulier au courrier des lecteurs), des relations plus horizontales peuvent-elles se tisser ?
De la médiation du cinéma à la médiation par le cinéma
- Comment ces écrits journalistiques conçoivent-ils, explicitement ou non, le cinéma et qu’en transmettent-ils ? Comment participent-ils à sa reconnaissance comme art, mais aussi comme culture et comme média ? On se demandera, entre autres, suivant quelles spécificités les journalistes ont pu rendre compte des transformations et des crises traversées par le cinéma durant la période (arrivée du parlant, de la couleur, de la télévision, etc.).
- Comment le journalisme de cinéma contribue-t-il à situer celui-ci en son temps, comment le relie-t-il au monde ? Des études de cas pourront être envisagées, par exemple, sur le traitement, dans les revues et les magazines spécialisés, de thématiques et d’événements extérieurs au cinéma (à l’instar des guerres ou des régimes totalitaires), mais que les journalistes se donnent pour objet d’analyser à l’aune de leurs répercussions sur ce dernier ou de la manière dont celui-ci a pu en être le témoin.
Les propositions (500 mots maximum), accompagnées de quelques indications bio-bibliographiques, sont à envoyer jusqu’au 08 janvier 2023 à myriam.juan@unicaen.fr et valerie.vignaux@unicaen.fr. Les réponses seront communiquées au plus tard le 15 janvier.
Comité scientifique et d’organisation : Myriam Juan (Université de Caen, Laslar/IUF), Valérie Vignaux (Université de Caen, Laslar)
[1] Robert Florey, « Chez la Reine des sérials », Cinémagazine, n°1, 5 janvier 1923, p. 7-12.
[2] Suzanne Chantal, « Le cinéma sous les bombes », Cinémonde, n°529, 7 décembre 1938, p. 1084-1085 et 1134.
[3] Myriam Boucharenc, L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004.