La fantasy, un genre à l’état sauvage ?
Université d’Artois, Arras, « Textes et Cultures », 14 mars 2024
Comité d’organisation : Pierre Audran, Anne Besson, Olivier Clerc, Charlotte Duranton, Romain Guillaud-Bataille, Marie Kergoat, Pascale Laplante-Dubé, Raphaëlle Raynaud.
Réponses attendues pour le 16 octobre 2023
Établie dès ses origines dans des mondes secondaires d’inspiration médiévale et antique en réaction à l'industrialisation de l’Angleterre et à la domestication de la « wilderness » nord-américaine, la fantasy inscrit régulièrement tout ou partie de ses intrigues dans de grands espaces incultes, parfois inexplorés : forêts, montagnes, déserts ou océans. Pour son lectorat ou son public actuel, souvent jeune, urbain et ne connaissant la nature que sous des formes aseptisées et domestiquées, cet environnement sauvage fascinant – sa luxuriance végétale, sa mégafaune mêlant merveille et péril – constitue un premier dépaysement. Il contribue, avant même l’apparition du surnaturel magique qui n’en est parfois que le prolongement, à installer un imaginaire de l’ailleurs source d’aventures et d’enchantement.
L’état « sauvage » de ces mondes merveilleux semble ainsi auréolé d’une connotation positive, faisant référence à l’indomptabilité et l’absolue liberté des vivants qui le peuplent et ont échappé à l’influence de l’être humain. L’adjectif peut toutefois se doter d’un sens plus négatif lorsqu’il s’applique à ce dernier. Le sens de « sauvage », tel que réactivé par les discours politiques, insiste sur le caractère brutal ou incontrôlable de l’individu qui ne respecte pas les normes et les règles d’une société humaine. Synonyme de primitif ou de barbare, le « sauvage » désigne alors aussi celui qui, aux marges de la civilisation, n’est plus totalement humain.
À partir de ces constats, peut-on envisager la fantasy comme un genre littéraire foncièrement prétechnologique, voire anti-technologique et qui, par son aspiration au sauvage, repense la séparation occidentale entre Nature et Culture ? Appartient-il à son essence de promouvoir une certaine modération dans l’exploitation des ressources naturelles, ou plus radicalement encore de valoriser un autre rapport à la nature qui consisterait à ne plus la percevoir comme une simple ressource – jusqu’à reconnaître les non-humains comme des sujets de droit ? Comment le tressage d’autres liens avec les règnes animal et végétal y est-il représenté ? Y observe-t-on une réduction des frontières spécistes, notamment dans le bestiaire du genre ? Remet-elle à l’honneur la nature sauvage comme contrepoids à l’artificialisation, à rebours des logiques étatiques modernes liant indissolublement l’idée de progrès au couple innovation technologique-croissance économique ? Quelle place la fantasy accorde-t-elle aux sociétés dites barbares ou primitives (ces sociétés autres, non seulement non industrielles mais non occidentales, non colonisées), représentées à la fois dans leur proximité avec la nature et leur système politique dépourvu d’État ? Dans quelle mesure le personnage peut-il vouloir s’extraire du monde humain voire s’ensauvager – c’est-à-dire à la fois s’écarter de la civilisation, mais aussi lui opposer une certaine férocité ? La richesse et l’hybridité des œuvres, notamment via la rencontre de la fantasy avec ses genres voisins – et a priori plus favorables à la technologie – de la science-fiction ou du roman d’espionnage, sont-elles susceptibles de contrecarrer une tendance actuelle à la polarisation des débats environnementaux ?
Dans le prolongement du séminaire doctoral tenu en 2023, « Fantasy et écologie : évolution d’un genre et de ses valeurs », cette journée d’étude qui se tiendra le 14 mars 2024 souhaite accueillir des réflexions portant sur des œuvres littéraires et médiatiques (illustrations, films, séries, jeux…) autour des questions suivantes :
* la dimension axiologique des œuvres de fantasy, en perspective synchronique ou diachronique, dans le vis-à-vis des grands courants de l’écologie ou des courants de pensée ayant une composante écologique ;
* la convocation des références à la fantasy dans le débat écologique ;
* les motifs animaux et végétaux dans les œuvres ;
* l’évolution des tropes du sauvage et/ou du barbare et du rôle qu’occupent ces types de personnages dans la diégèse ;
* l’articulation entre nature et technologie dans les mondes secondaires ; le rapport à la science induit par cette articulation ;
* la recherche-création autour de l’idée de sauvagerie en fantasy.
Les réponses (400 à 500 mots, 2000 à 2500 caractères), attendues pour le 16 octobre 2023, sont à envoyer à l’adresse fantasy.ecologie@outlook.fr
Bibliographie
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Besson Anne, Les pouvoirs de l’enchantement. Usages politiques de la fantasy et de la science-fiction, Vendémiaire, Paris, 2021.
Blanc William, Winter is Coming. Une brève histoire politique de la fantasy, Paris, Libertalia, 2018.
Bougon Marie-Lucie, Charlotte Duranton et Laura Muller-Thomas, Revue Fantasy Art and Studies n°9, Amazing Beasts / Animaux fabuleux, décembre 2020.
Di Carpegna Falconieri Tommaso, Médiéval et militant. Penser le contemporain à travers le Moyen Âge, Presses de la Sorbonne, 2015.
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