Actualité
Appels à contributions
Antoine Plamondon et l’avènement de la figure du

Antoine Plamondon et l’avènement de la figure du "savant peintre" dans le Québec du XIXe s. (Neuville, Québec)

Publié le par Marc Escola (Source : Peggy Davis)

Appel à communications

Antoine Plamondon et l’avènement de la figure du « savant peintre » dans le Québec du xixe siècle. 

Organisé par Marc André Bernier (Université du Québec à Trois-Rivières), Arnaud Bessières (Pôle culturel du monastère des Ursulines), Peggy Davis (Université du Québec à Montréal) et Isabelle Pichet (Université du Québec à Trois-Rivières)

Neuville, 23-24 août 2024

Les premiers grands travaux consacrés à l’histoire de l’art au Canada, qu’il s’agisse de ceux de Gérard Morisset ou de John Russell Harper, considéraient la première moitié du xixe siècle comme un véritable « âge d’or au Québec[1] ». Marquée par un essor sans précédent de la vie artistique, cette période joue en effet un rôle fondateur dont l’évidence ne doit pourtant pas faire oublier la complexité. Si elle voit sans doute s’épanouir « une peinture vraiment canadienne[2] », l’affirmation et l’originalité de cette production picturale procèdent, en même temps, de transferts de savoirs et d’échanges culturels incessants entre l’Ancien et le Nouveau Monde.

Comprendre cette dynamique complexe exige d’abord de rappeler l’arrivée dans la colonie laurentienne de quelque 200 tableaux européens des xviie et xviiie siècles, saisis dans les églises parisiennes lors de la Révolution, puis achetés et réunis par l’abbé Philippe Desjardins avant d’être expédiés à Québec en 1817 et 1820. En 2017, une grande exposition organisée au Musée national des beaux-arts du Québec a rappelé « le fabuleux destin[3] » de ces œuvres qui ont décidé de la carrière de toute une nouvelle génération d’artistes, formés à la peinture en s’employant tantôt à restaurer ces toiles, tantôt à les copier. Au surplus, au cours de la même période, « plusieurs peintres étrangers de diverses nationalités viennent pratiquer leur métier au pays[4] » et tissent des liens avec des peintres locaux qui, pour leur part, séjournent à leur tour à l’étranger et, en particulier, en Europe. C’est dans ce contexte, en somme, qu’il revient à la première moitié du xixe siècle « d’avoir permis la cristallisation » entre la tradition picturale européenne et le projet de « traduire par la peinture la nature particulière de la vie au Canada[5] ».

Or, cette cristallisation est également indissociable de l’avènement d’une figure toute nouvelle de l’artiste québécois : celle du « savant peintre ». De fait, en se distinguant de celle, plus traditionnelle, de l’artisan, la figure du savant peintre se définit en regard de pratiques qui, désormais, sont associées à la multiplicité des apports culturels qui la nourrissent, depuis les savoir-faire artisanaux ou autochtones jusqu’aux enseignements des académies européennes de peinture et de sculpture. Voilà, du moins, ce dont témoignent tout particulièrement le parcours de formation et l’œuvre peint d’Antoine Plamondon (1804-1895).

D’une part, Plamondon se définit lui-même comme un « élève de l’École française », suivant la formule à laquelle il recourt en signant certains des articles qu’il publie ou des lettres qu’il écrit à ses correspondants[6]. Ce rapport de filiation qu’il revendique sans cesse a frappé aussi bien ses contemporains[7] que la critique savante des xxe et xxie siècles. Tantôt, celle-ci rappelle à quel point, dans ses portraits, on décèle « des traits évidents du style classique » : « tracés précis, modelés lapidaires, couleurs nettes et arrière-plan uni[8] » ; tantôt, combien « tout son œuvre […] porte l’empreinte indélébile[9] » du néoclassicisme tardif. De fait, si Plamondon doit sa première formation à Joseph Légaré, peintre autodidacte chez lequel il entre comme apprenti en 1819, il quitte en 1826 son atelier de Québec pour se rendre Paris où, jusqu’en 1830, il sera l’élève de Paulin-Guérin (1783-1855). Or, ce parcours de formation l’inscrit dans une double tradition : celle des « traditions locales du Québec[10] » que lui transmet Légaré ; et celle du néoclassicisme français à laquelle était rattaché Paulin-Guérin qui, lui-même, avait été l’élève de François Gérard (1770-1837), c’est-à-dire de l’un des principaux représentants de l’école de David. Les contemporains de Plamondon avaient déjà insisté sur le caractère décisif de ce parcours. Par exemple, Daniel Wilkie écrit dans La Gazette de Québec : sa formation européenne lui a procuré « a fund of professional acquirement never equaled by any native painter before him[11] ». De ce fait, comme l’a relevé de nos jours Didier Prioul, si Plamondon « ne fut pas le premier à avoir effectué ce voyage […], il fut toutefois le seul dont cette expérience eut un tel retentissement comme valeur d’exemple[12] ».

D’autre part, le nom de Plamondon est intimement associé par la critique et le grand public à la « création d’une iconographie proprement canadienne[13] », comme le montre l’accueil qui avait été réservé à la grande exposition que lui avait consacré le Musée national des beaux-arts du Québec en 2005[14]. Organisée à l’occasion du 200e anniversaire de la naissance du peintre, cette exposition devait ensuite être accueillie dans six villes canadiennes[15]. C’est que, comme le soulignaient alors les commissaires de cette exposition, Plamondon est un peintre « dont la longue carrière et les nombreux écrits jettent un éclairage essentiel sur quelques aspects névralgiques de l’évolution de la peinture canadienne au xixe siècle[16] ». On en voudra pour preuve plusieurs tableaux emblématiques de cette position centrale qu’occupe Plamondon dans l’avènement d’une nouvelle culture visuelle, depuis le portrait de Sœur Saint-Alphonse[17] jusqu’à celui de Zacharie Vincent[18]. Couronné en 1838 par la Société littéraire et historique de Québec, puis acquis par Lord Durham en 1840, ce tableau joua aussi un rôle important dans le parcours de formation de Zacharie Vincent Tehariolin (1815-1886), qui suivit ensuite des leçons auprès de Plamondon et devint ainsi le premier artiste wendat à « s’approprier le dispositif occidental de la peinture » pour mieux « récupérer le contrôle de son image[19] ».

Tout comme chez Plamondon, l’œuvre peint de Zacharie Vincent Tehariolin suppose, on s’en aperçoit, une dynamique qui est indissociable d’un parcours de formation, d’une éducation au regard et de transferts culturels aussi complexes qu’originaux. C’est donc afin de mieux rendre compte de cette complexité et de cette originalité que ce colloque propose d’approfondir la question de l’avènement de la figure du savant peintre dans le Québec du xixe siècle. À cette fin, nous sollicitons des propositions à même de susciter un dialogue s’organisant autour de ces trois grandes questions :

1.  Les parcours de formation de l’artiste. Joseph Légaré, qui fut le premier maître de Plamondon à Québec, avait formé « la plus riche collection de peintures et de gravures qui existait en son temps au pays » et qu’il devait ensuite léguer à l’Université Laval[20]. Animée par un souci pédagogique évident, la constitution d’une telle collection invite non seulement à mieux connaître celle-ci et ses usages, mais aussi à interroger le rôle que jouent les œuvres, jugées exemplaires, des maîtres anciens dans les parcours de formation des artistes. Quelle place y occupent-elles les écoles françaises, italiennes ou anglaises ? Quels peintres offre-t-on plus particulièrement à l’imitation ? Pourquoi, par exemple, Plamondon choisit-il de peindre d’après Mignard le Baptême du Christ, qu’il présente au public à son retour de Paris en 1832 ? En même temps, la complexité de ces parcours de formation pose aussi la question de leur diversité. Que sait-on de l’enseignement de Plamondon auprès des élèves du Séminaire de Québec, des religieuses de l’Hôtel-Dieu ou d’artistes wendats ? Comment, de manière plus générale, enseigne-t-on le dessin et la peinture dans les écoles et les collèges destinés aux garçons et aux filles et, notamment, chez les Ursulines ? Dans ce dernier cas, quelle place cet enseignement joue-t-il dans une histoire de l’accès des femmes à la culture ?

2. L’éducation au regard du public et les savoirs de l’artiste. La critique récente a déjà attiré l’attention sur le fait que « Plamondon « a fait paraître quelque vingt-quatre articles dans divers journaux entre 1833 et 1874 », si bien qu’à ce titre, il est assurément « l’artiste québécois de la première moitié du xixe siècle qui s’est le plus exprimé par l’écrit, suscitant même des débats[21] ». Ces textes posent, en même temps, plusieurs questions essentielles qui, restées en suspens jusqu’à ce jour, sont susceptibles de requérir l’attention, à commencer par celle de l’identité de leur auteur, que Laurier Lacroix résume en ces termes : « Les quelques documents manuscrits qui subsistent, les lettres en particulier, montrent que Plamondon ne manipule pas avec la plus grande élégance la langue écrite. Nous sommes donc en droit de nous demander qui écrit sous la signature de Plamondon ?[22] ». Par-delà ces questions d’attribution, les textes que fait paraître Plamondon et les débats qu’ils suscitent invitent, de manière plus générale, à explorer la question de l’éducation au regard, du « connoisseurship et [du] goût des Canadiens[23] ». Enfin, en quoi l’émergence de cette posture de savant peintre « qui fonde l’expérience esthétique sur la qualité de l’observation[24] », c’est-à-dire sur une activité critique, participe-t-elle de l’institution de l’art, dans un contexte où Plamondon « is linked with the beginning of the National Gallery » et fut même « a charter member of the Royal Canadian Academy in 1880, when both the Academy and the Gallery were jointly founded[25] » ? 

3. Les transferts culturels entre l’Ancien et le Nouveau Monde. Deux ans après son retour de Paris, Plamondon peint le portrait d’un certain Cyprien Tanguay[26]. Il s’agit non seulement de l’une de ses œuvres les plus connues, mais aussi de l’une des plus emblématiques du xixe siècle québécois. Ce tableau représente ainsi un élève du Séminaire de Québec, âgé d’environ douze ans et que l’on reconnaît au costume officiel de ce collège. Or, sa composition reprend celle du célèbre portrait que Paulin-Guérin avait fait de Félicité de Lamennais (1782-1854), prêtre catholique et écrivain alors très en vogue[27]. « Cette pratique symptomatique d’un art colonial qui se cherche, s’affirme et évolue par le canal de l’emprunt[28] » requiert d’autant plus l’attention qu’elle suppose, comme l’a déjà souligné Didier Prioul, une véritable « méthode de travail par assemblage d’emprunts[29] ». Mais en quoi cette pratique coloniale s’inspire-t-elle ou se distingue-t-elle de l’esthétique classique, fondée sur l’imitatio, ou entre-t-elle en tension avec l’idée, alors neuve, de création et d’originalité ? De quelle manière la reprise des grands maîtres européens des xvie, xviie et xviiie siècles fait-elle envisager la question des transferts culturels entre l’Ancien et le Nouveau Monde, alors que le xixe siècle québécois invente, au même moment, un imaginaire visuel canadien ?

— 

La date limite de soumission des propositions : 1er décembre 2023

Les communications auront une durée de 20 minutes. Les propositions doivent contenir un titre, un résumé de 100 à 150 mots, une notice biobibliographique de 150 mots, votre nom, votre adresse électronique, votre statut et votre affiliation institutionnelle. 

Elles seront envoyées à l’adresse suivante : Plamondon2024@uqtr.ca.

 _________________________

[1] John Russell Harper, « 7. L’âge d’or au Québec : les débuts » et « 8. L’âge d’or au Québec : période de maturité », La peinture au Canada, des origines à nos jours, Toronto/Québec, University of Toronto Press/Les Presses de l’université Laval, 1966, p. 53-78 et p. 79-98 ; voir aussi Gérard Morisset, La peinture traditionnelle au Canada français, dans L’Encyclopédie du Canada français, t. 11, Ottawa, Cercle du livre de France, 1960, p. 81 : « À la fin du xviiie siècle […], c’est l’âge d’or des artistes – architectes, sculpteurs, peintres de tableaux de sainteté et de portraits, orfèvres -, surchargés de commandes et assez grassement payés ».
[2] John Russell Harper, La peinture au Canada, op. cit., p. 78.
[3] Voir Guillaume Kazerouni, Daniel Drouin et Laurier Lacroix, Le Fabuleux destin des tableaux des abbés Desjardins. Peintures des xviie et xviiie siècles des musées et églises du Québec, Québec, Musée national des beaux-arts, 2017.
[4] Voir, sur ce point, Mario Béland, « Nouveaux regards, nouvelles perspectives », dans Mario Béland (dir.), La Peinture au Québec, 1820-1850. Nouveaux regards, nouvelles perspectives, Québec, Musée du Québec – Les Publication du Québec, 1991, p. 5.
[5] Laurier Lacroix, « Entre la norme et le fragment : éléments pour une esthétique de la période 1820-1850 au Québec », dans Mario Béland (dir.), La Peinture au Québec, op. cit., p. 69.
[6] Voir les articles qu’il publie dans Le Canadien (24 juillet 1833) et Le Journal de Québec (28 janvier 1845) et qu’il signe « Ant. Plamondon, peintre, élève de l’École française ». À 70 ans, Plamondon écrit encore : « Il n’y a pas de peintres dans le pays parce que tous les jeunes gens vont étudier à Rome au lieu d’aller à Paris où sont les vrais maîtres » (Lettre du 24 avril 1874).
[7] Voir, entre autres, Le Canadien, 24 juillet 1833, p. 2 : « On comprend dès lors pourquoi il signe à l’occasion ses articles à titre de Peintre, Élève de l’École française ».
[8] R. H. Hubbard, Antoine Plamondon, Théophile Hamel. Two Painters of Quebec / Deux peintres de Québec, avant-propos de Jean Sutherland Boggs, catalogue d'expositions (Québec, Toronto et Ottawa), Ottawa, Galerie nationale du Canada, 1970, p. 15.
[9] René Villeneuve, « Antoine Plamondon : L’Abbé Charles Chiniquy », Revue du Musée national des Beaux-Arts du Canada, Ottawa, vol. VI, 2008, p. 120.
[10] R. H. Hubbard, Antoine Plamondon, op. cit., p. 16.
[11] La Gazette de Québec, 13 décembre 1833, p. 2 ; cité par Didier Prioul, Joseph Légaré, paysagiste, thèse de doctorat, Université Laval, 1993, p. 134.
[12] Didier Prioul, Joseph Légaré, paysagiste, op. cit., p. 133.
[13] Régis Tremblay, « Première exposition solo… 100 ans après sa mort », Le Soleil, 26 novembre 2005, p. C-16.
[14] Voir Mario Béland et John R. Porter, Antoine Plamondon, 1804-1895 Jalons d'un parcours artistique, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, 2005.
[15] Il s’agit de Windsor, Oshawa, Montréal, Kingston, Hamilton et Fredericton.
[16] Ibid., p. 33.
[17] Antoine Plamondon, Sœur Saint-Alphonse, 1841, huile sur toile, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada. Sur ce tableau, voir la belle étude de John R. Porter, Antoine Plamondon, Sœur Saint-Alphonse / Sister Saint-Alphonse, Ottawa, Galerie nationale du Canada, 1975.
[18] Antoine Plamondon, Le Dernier des Hurons, 1838, huile sur toile, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada.
[19] Louise Vigneault, Zacharie Vincent : une autohistoire artistique, préface Guy Sioui Durand, Wendake, Éditions Hannenorak, 2016, p. 14.
[20] Georges Bellerive, Artistes-peintres canadiens-français. Les Anciens, Montréal, Librairie Beauchemin, 2e éd., 1927, p. 13-14.
[21] René Villeneuve, « Antoine Plamondon », art. cit., p. 126.
[22] Laurier Lacroix, « De la chronique à la polémique : le regard informé d’Antoine Plamondon (1804-1895) », Les Cahiers des Dix, n° 65, 2011, p. 169.
[23] Ibid., p. 176.
[24] Ibid., p. 177.
[25] Jean Sutherland Boggs, « Foreword », dans H. Hubbard, Antoine Plamondon, op. cit.,1970, p. 10.
[26] Antoine Plamondon, Portrait de Cyprien Tanguay (1819-1902), 1832, huile sur toile, 73 x 59,9 cm, Québec, Musée de la civilisation, dépôt du Séminaire de Québec, don de Mgr Cyprien Tanguay, 1991.74.
[27] Paulin-Guérin, L’Abbé Félicité Robert de Lamennais, Musée du Château de Versailles, 1826. Sur le parallèle entre ces deux toiles, voir Mario Béland et John R. Porter, Antoine Plamondon, op. cit., p. 47.
[28] « Antoine Plamondon », dans Mario Béland (dir.), La Peinture au Québec, op. cit., p. 412.
[29] Didier Prioul, Joseph Légaré, op. cit., p. 30.