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La voix dans les mondes ibéro-américains contemporains (Paris)

La voix dans les mondes ibéro-américains contemporains (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Adrien Raoult)

JOURNÉE D’ÉTUDE

LA VOIX DANS LES MONDES IBÉRO-AMÉRICAINS CONTEMPORAINS

Faculté des Lettres de Sorbonne Université

Laboratoire doctoral CRITIC – UR CRIMIC (EA 2561)

Lundi 04 novembre 2024, Collège d'Espagne, Paris

Cette journée d’étude en présentiel, intitulée « La voix dans les mondes ibéro-américains contemporains », a pour but d’approfondir la question des liens complexes qui se nouent entre individu et pratiques du commun, dans une perspective résolument interdisciplinaire et plurilingue, en accord avec l’identité de l’UR CRIMIC. Elle prend pour objet la voix, à la fois comme origine de la parole humaine et comme concept doté d’une véritable portée heuristique. En ce sens, elle s’attachera à participer à la mise en évidence de la richesse des voix dans les mondes ibéro-américains contemporains et à interroger la complexité de cette notion dans la production scientifique qui s’en saisit.

En effet, la voix est un concept polysémique qui ne se réduit pas à son simple sens physiologique. Si elle désigne avant tout l’ensemble des sons produit par les cordes vocales, cette alliance de la multiplicité des organes du corps se réalise dans l’unicité d’un être parlant, ce qui en fait également une vibration du sentiment et une modulation de la sphère affective de l’individu (Vasse, 2010). Cette impossible existence d’une voix sans corporéité et sans incarnation explique la dimension de présence qu’elle manifeste dans sa mise en lien des humains : la voix s’enracine dans un rapport à l’espace-temps lié à une perception phénoménologique du monde, cette dernière se déployant toujours à l’aune d’une inter-sensorialité (Merleau-Ponty, 1945). Néanmoins, cette expressivité qui dépasse l’intentionnalité propre du discours n’en remet pas pour autant en cause la signifiance, la voix permettant, au-delà de sa simple fonction de communication, l’émergence même du sujet, construit à la confluence de la voix propre et de celle de l’autre (Lacan, 1966). Certaines voix peuvent, d’ailleurs, avoir une résonance particulière sur leurs auditeurs, leur grain ayant le pouvoir de capter l’attention ou de générer de puissantes résonances psychiques (Barthes, 1977). Dès lors, se pose la question de l’instrumentalisation de la voix et des modalités du passage de la parole, d’autant plus que le terme de « voix » est souvent employé, en français, dans le sens figuré de canal – sens renforcé par une homophonie fort suggestive entre les mots « voie » et « voix ». Les études sur la question du pouvoir de la parole légitime (Rancière, 1987) ou sur les tentatives politiques de contrôle de la vox populi, voire des régimes du savoir (Foucault, 1966), constituent la preuve de ces enjeux hautement symboliques (Bourdieu, 1991).

La recherche actuelle autour de la notion de voix est hautement pluridisciplinaire, allant des champs de la phonologie à l'anthropologie, en passant par la littérature ou la sociologie. En ce qui concerne plus précisément les études ibéro-américaines, notons que le CRIMIC a joué un rôle important dans l’extension de ce panorama, et ce, depuis l’héritage de ses anciens séminaires Littérature et Psychanalyse Hispanique (LPH, 1990- 2014), fondé par Sadi Lakhadri, et Poésies Ibériques, fondé par Marie-Claire Zimmermann, Claude Esteban et José Terra en 1995, qui s’est poursuivi par la création du séminaire Poésies Ibériques et d’Amérique Latine (PIAL), en 2007, depuis lors inclus dans l’axe Littératures d’Amérique Latine et d’Espagne (LALE). Parmi leurs apports, on pense, par exemple, aux travaux fondateurs de Marie-Claire Zimmermann sur « la voix poématique », dans le sillage desquels s’est inscrite toute une lignée de chercheur, ce qui a donné lieu à un hommage aussi symbolique qu’affectif en 2016 à la Maison de la Recherche, et la publication, à cette occasion, de l’ouvrage Le texte et la voix, co-dirigé par Laurence Breysse-Chanet, Anne Charlon, Henry Gil, Marina Mestre Zaragozá et Ina Salazar. La journée d’étude en deux volets « Passage de la voix, passage de frontières », organisée par Laurence Breysse-Chanet et Ina Salazar à Caen en 2013, puis à l’Institut Cervantes de Paris en 2014, en est un autre exemple indéniable. Hors du CRIMIC, les travaux s’avèrent également nombreux. Preuves en sont la journée d'étude «Voix silenciées, voix marginalisées. Existence, dissidence et expressions des marges en Amérique latine et en Espagne », organisée par le laboratoire junior « ¡Silencio! » (2021, ENS de Lyon), ou les « Rencontres poétiques en Normandie », qui ont déjà eu lieu une fois en 2023, et se tiendront de nouveau en 2024, sous le titre de Dynamiques de la voix dans la poésie hispanique de 1975 à nos jours : traduction, interprétation, reprises. Cela dit, malgré ces initiatives, relativement peu d'évènements se sont centrés sur la voix dans sa pluralité sémantique et la grande majorité des travaux sur ledit concept portent sur le fait littéraire. Signalons comme exception l'ouvrage Voces en diálogo. Construcción de identidades coordonné par Leticia del Carmen Romero Rodríguez et Norma Esther García Meza (2009), où la voix est abordée depuis une perspective de genre.

Afin donc de poursuivre cette ouverture du panorama des réflexions sur la voix, notre journée se propose de revenir sur ce qui fait sa spécificité dans les mondes ibéro- américains contemporains, que ce soit dans les territoires de langues espagnole, catalane ou portugaise. Les communications pourront alors s'inscrire dans les axes suivants :

  • Le premier axe s’intéressera à l’importance de la voix dans la littérature des mondes ibéro-américains contemporains, depuis la spécificité de chacun de ses genres. Dans le cadre de la poésie, la voix constitue l’instance même d’expression du sujet-écrivant, d’où une possible interrogation sur la manière dont les voix passent dans le texte et se travaillent au cours du processus d’écriture, dans une quête toujours croissante d’authenticité. Dans le cadre du roman, on pourra, par exemple, poser la question de l’oralité et des processus de (dé)construction du « je » comme voix narrative privilégiée, et ce, notamment, à travers des jeux novateurs avec les intertextualités ou la fragmentation discursive qui effacent l’instance narrative et débouchent parfois sur une polyphonie allant jusqu’à introduire des voix remettant en question le traditionnel anthropocentrisme. Enfin, dans le cadre du théâtre, on pourra s’interroger, entre autres, sur le lien entre voix et corps théâtraux, sur la dichotomie entre voix et silence ou sur l’introduction du chant ou des enregistrements vocaux dans la représentation. Toutes ces réflexions pourront être complétées par une réflexion sur la traduction, plus particulièrement sur la manière dont s’opère, au cours du processus traductif, une convergence des voix du créateur et du traducteur dans le texte-cible.

  • Le deuxième axe portera sur la place des voix dans l’histoire ibéro-américaine. Cela implique de prendre en compte trois dimensions centrales dudit concept : le locuteur, son propos et son contexte d’énonciation. Qui sont les acteurs sociaux qui font entendre leur voix dans la sphère publique ? De quelle légitimité sont-ils investis ? Leurs discours sont-ils dissidents ou hégémoniques ? Il s’agira d’analyser les rapports de force qui s’instaurent dans la sphère publique et qui marginalisent certaines voix et en officialisent d’autres. Il faudra ainsi poser la question de leur réception dans la société. Ces questionnements pourront porter sur l’histoire ibéro-américaine récente mais aussi sur les siècles précédents. Par exemple, pour ce qui est du passé récent, le concept de voix acquiert une importance toute particulière pour l’étude de la seconde moitié du XXe. À cette époque, les pays de la péninsule ibérique et d’Amérique latine ont vécu des périodes de dictature suivies d’un retour à la démocratie, un régime politique censé garantir la libre expression de toutes les voix. Il conviendrait de se demander dans quelle mesure ces démocraties ont tenu leurs promesses et à quels obstacles peuvent se heurter certains groupes sociaux au moment de faire entendre leur voix.

  • Le troisième axe sera consacré à la voix dans les arts visuels. En ce qui concerne l’image fixe, on pourra, bien sûr, poser la question de la représentation de la voix, cette dernière étant, par essence, hétérogène au visuel. En ce qui concerne les images mobiles, notons qu’elle se présente comme un élément clé des expérimentations sonores des avant-gardes du XXe siècle (Dada, Merz ou le surréalisme) tout comme dans les manifestations contemporaines telles que la performance, le happening, l'installation ou l’art sonore. L'inclusion de la voix permet de dépasser les frontières entre les langages artistiques et d'explorer des phénomènes comme l'intermédialité, l'aspiration à l'œuvre d'art totale des avant- gardes historiques ou l'inclusion du corps même de l'artiste dans l'œuvre. D'autre part, interroger la voix dans un sens plus large permet, dans le cadre des mondes ibéro-américains, d'explorer la prise de parole de collectifs historiquement marginalisés ou opprimés. En ce sens, les dernières décennies ont vu apparaître de nouvelles voix dans le panorama des arts plastiques, avec l'art féministe, le queer art ou les arts post-coloniaux. Dans ce contexte, l'inclusion progressive des expressions artistiques des peuples autochtones (auparavant qualifiées d'« arts premiers ») dans les musées et les galeries redonne une place centrale à l'oralité, à travers le patrimoine immatériel (chansons, chants ou récits oraux).

Les propositions de communication, d’une longueur de 200-300 mots, devront être envoyées en français, espagnol, portugais ou catalan, et ce, pour le 16 septembre 2024, à l’adresse suivante : evenements.critic.organisation@gmail.com. Elles devront être accompagnées d’une notice biographique d’une dizaine de lignes maximum.

COMITÉ D’ORGANISATION

Adrià BALLONGA (doctorant, UR CRIMIC), Aurélia GAFSI (doctorante, UR CRIMIC), Aleix GUIJARRO PINEDA (doctorant, UR CRIMIC), Lucía MÉNDEZ SORIA (doctorante, UR CRIMIC), Adrien RAOULT (doctorant, UR CRIMIC).

COMITÉ SCIENTIFIQUE

Laurence BREYSSE-CHANET (Professeure des Universités, UR CRIMIC), Mònica GÜELL (Professeure des Universités, UR CRIMIC), David MARCILHACY (Professeur des Universités, UR CRIMIC), Françoise MARTINEZ (Professeure des Universités, UR CRIMIC), Michel RIAUDEL (Professeur des Universités, UR CRIMIC), Ina SALAZAR (Professeure des Universités, UR CRIMIC).

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

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