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S’écrire sous le feu. Poétique historique des écritures de soi pendant la Guerre d’Espagne (Toulouse)

S’écrire sous le feu. Poétique historique des écritures de soi pendant la Guerre d’Espagne (Toulouse)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Nicolas Bianchi)

S’écrire sous le feu.

 Poétique historique des écritures de soi pendant la Guerre d’Espagne

Journée d’étude organisée le 5 décembre 2024 à l’université Toulouse 2 Jean-Jaurès

par Hélène Beauchamp (LLA-CREATIS) et Nicolas Bianchi (PLH-ELH).

« Aucune révolution, aucune guerre n’avait donné naissance en si peu de temps à une littérature aussi abondante : romans, poèmes, essais, témoignages ou livres techniques. Preuve, sans doute, que la guerre d’Espagne, soudain, nous a frappés au cœur. Les écrivains, non pas seulement les espagnols, mais ceux des pays “neutres”, n’ont pu se taire, empêcher leur main de tracer son témoignage. » 

— A. Ulmann, « La littérature et la guerre d’Espagne », Messidor, 18 novembre 1938.

La guerre civile espagnole, les historiens l’ont bien montré, ne fut pas seulement une guerre fratricide qui déchira la nation, mais aussi un conflit global, transnational, auquel participèrent des acteurs étrangers d’une extrême diversité[1] : tandis que les troupes franquistes purent compter, outre des volontaires, sur la participation militaire de l’Allemagne nazie et de l’Italie mussolinienne, le camp républicain s’appuya sur l’investissement de l’URSS via le Parti communiste espagnol, ainsi que sur celui d’une multitude d’individus et d’entités venus d’horizons politiques et nationaux divers, dont les Brigades internationales ne constituent que l’incarnation la mieux connue. Associée à ce conflit, une profusion d’écrits testimoniaux de nature internationale a donc vu le jour, qui, du côté de la critique littéraire, a souvent été envisagée de façon nationale (études sur l’Espagne par la critique hispaniste, sur les auteurs britanniques ou américains par la critique anglophone, etc.) et monographique (essentiellement à travers de grands noms : Orwell, Bernanos, Hemingway, etc.) – même si certaines publications ont tenté d’aborder le phénomène à plus grande échelle[2].

Cette journée d’étude – qui devrait déboucher sur un projet de cartographie et d’étude des textes à plus long terme – se propose donc de faire fonds sur la très riche bibliographie historienne produite depuis le conflit pour contribuer à dessiner collectivement les contours d’une poétique historique des écrits de soi produits au fil de cette guerre. C’est-à-dire de réunir historiens et littéraires dans la double démarche de poursuivre l’identification, la contextualisation et l’analyse historique des corpus d’une part, et d’autre part, de généraliser l’étude de la forme du texte (structure, style, intertextes, inscription générique, socialité[3] – manifestation du social et du politique –, etc.) dans ses constantes interactions avec les événements et les autres discours sociaux de son temps.

Corpus

Les communications proposées lors de cette journée pourront porter sur l’ensemble des écrits relevant au sens le plus large de l’écriture de soi, qu’ils soient estampillés comme « littéraires » parce que publiés, voire produits par des écrivains reconnus, ou considérés comme ces œuvres d’« écrivants », voire de soldats ordinaires dont certaines ont récemment connu un regain d’intérêt[4] : carnets de combattants, correspondances, écrits médiatiques, etc. Ainsi, il s’agira également de croiser des écrits fictionnels avec des écrits non fictionnels, ou bien avec des écrits dont le rapport à la fiction reste indéterminé (quel est le statut d’une « poésie de guerre » autobiographique ?) en partant du principe que l’écriture de soi a lieu autant dans la fiction qu’en dehors de cette dernière, que nombre d’écrits se tiennent sur la frontière entre les deux, et que le témoignage n’est pas exempt de dimension fictionnelle[5]. De la même manière, aucune des langues pratiquées par les volontaires des près de quatre-vingts pays dont on compte des combattants sur le front ne sera exclue – toutes pouvant être abordées ou non par le biais d’une perspective comparatiste. 

En revanche, deux critères limiteront l’étude, qui comportent chacun un intérêt spécifique pour interroger le statut de l’écrit de guerre. Le premier critère est celui de l’actualité de l’écriture par rapport au conflit. Nous souhaitons étudier des textes écrits « sous le feu » (formule qu’utilise Ernest Hemingway dans l’avant-propos de sa pièce La Cinquième colonne, écrite en 1937-38), circonscrire la réflexion à l’écriture en temps de guerre, qui comporte ses spécificités et se distingue des témoignages a posteriori, souvent de nature plus mémorielle. L’écriture « sous contrainte » (de temps, de confort, de cadrage propagandiste) s’avère particulièrement fertile sur le plan poétique, dans la mesure où les auteurs doivent trouver des détours, des « tactiques » permettant de contourner ces contraintes que créent tout à la fois le quotidien guerrier et les « stratèges » imposant l’ordre politique[6]. On pourra toutefois envisager quelques textes allant jusqu’au début des années 1940, parfois commencés durant la guerre, ou des textes perçus comme des conséquences directes du conflit (exil immédiat, camps de concentration ou prison, ou, à l’inverse, célébration de la victoire). On s’intéressera enfin à des écrits de combattants, mais aussi à ceux de témoins et acteurs très proches du combat (soignants, logisticiens, religieux, etc.), engagés dans la lutte de la retaguardia, dans la mesure où pendant la Guerre d’Espagne, la différence entre la lutte armée sur les fronts et la lutte des fronts intérieurs s’avère nettement plus floue que pendant la Première Guerre mondiale, par exemple[7].

Le second critère est, on l’aura compris, le terrain même de l’étude, la Guerre d’Espagne, qui propose un paradoxe tout à fait passionnant dès lors qu’il s’agit d’envisager un point de vue intime sur un conflit en cours. Il s’agit en effet d’une guerre civile très marquée idéologiquement et très cadrée par la propagande, quel que soit le camp envisagé, chacun d’entre eux étant par ailleurs en proie à des tensions idéologiques internes. Dans un tel contexte, les « causes » collectives orientent majoritairement la production littéraire. Il sera donc intéressant de voir comment l’écriture de soi, l’intime, parfois sous divers masques, s’insère et affleure dans une littérature très orientée par des objectifs propagandistes, et quels enjeux poétiques en découlent.  

Pistes de réflexion

Sans s’y limiter, les communications pourront ainsi faire écho à quelques-unes des lignes problématiques suivantes :

° Cartographie et analyse de témoignages inédits ou inexploités (histoire des manuscrits, parcours d’écrivains, traductologie), en lien avec leurs lieux de conservation, qu’ils soient familiaux, locaux (fonds espagnol des Archives départementales de la Haute-Garonne, Centre Toulousain de Documentation sur l’Exil Espagnol, fonds de l’Institut Cervantes sur la Retirada), nationaux (archives du PCF) ou internationaux (archives des Brigades internationales récemment numérisées par Moscou, publications périodiques de la guerre mises en ligne dans le cadre de la réflexion menée en Espagne sur la mémoire historique depuis la fin des années 2000) ;

° Tension entre intime et politique : comment s’écrit la complexité de l’expérience individuelle dans ce contexte sans nuance ? Comment la diversité des scripteurs – dans leur classe sociale, leur origine, leur sexe, leurs obédiences politiques et religieuses – se traduit-elle poétiquement dans les textes testimoniaux ? Détecte-t-on à grande échelle des interdits poétiques et a contrario des schèmes récurrents, dont il faudra identifier l’origine (intertextes, expériences guerrières antérieures, influence du récit fictionnel, etc.) ? Comment la poétique des écritures de soi s’articule-t-elle à celle des autres discours sociaux contemporains (presse écrite, radio, artisanat du front, tracts, etc.) ?

° Poétique des gestes d’écriture de soi indépendamment de leur genre : en écartant provisoirement les frontières génériques (roman, carnet, poème, etc.) – pour mieux les conforter ou les repenser in fine –, on pourrait également réfléchir à la nature du geste de s’écrire dans ce contexte si particulier : quelles difficultés dans la « configuration » et la « mise en intrigue » par l’écriture[8] de ce matériau guerrier réunissent un roman publié par livraisons dans la presse et un poème inédit ? Dans quelle mesure peut-on rendre compte d’une expérience intime de la guerre en cours sur des supports non dédiés (graffitis muraux[9]) ou au théâtre, genre qui, a priori, comporte une dimension d’extériorité peu compatible avec l’écriture de soi ?

° Une stylistique pour ces « écrits de circonstance » : s’ils ne sont pas les plus appréciés des versants les plus techniciens des études littéraires, les écrits de guerre sont pourtant accessibles à des outils traditionnels de la stylistique (étude syntaxique, valeurs verbales, énonciation, etc.) ou de la poétique du support (matérialité du livre, journal, carnet, etc.) capables d’en dévoiler les rouages politiques et éthiques au-delà de la simple question de la valeur esthétique. Qu’elles portent sur une œuvre unique ou plusieurs témoignages, certaines communications pourraient ainsi s’atteler à la mise au jour de ces ressorts textuels encore largement méconnus pour la période qui nous intéresse.

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Modalités de soumission des propositions

Les propositions de communication (250-300 mots), accompagnées d’une courte bio-bibliographie ou d’un C.V., devront être envoyées conjointement à Hélène Beauchamp (helene.beauchamp@univ-tlse2.fr">helene.beauchamp@univ-tlse2.fr) et Nicolas Bianchi (nicolas.bianchi@univ-tlse2.fr">nicolas.bianchi@univ-tlse2.fr) avant le 1er septembre 2024. Les réponses parviendront aux participants sous une semaine.

[1] À en croire Fernando Rodríguez de La Torre, le phénomène a donné lieu à pas moins de 2500 ouvrages scientifiques, essentiellement produits pas des historiens. Voir sa Bibliografía de las Brigadas Internacionales y de la participación de extranjeros a favor de la República, 1936-1939, Albacete, Instituto de Estudios Albacetenses, 2006, citée in Édouard Sill, « Les sources transnationales d’un phénomène mondial. Radioscopie documentaire du volontariat international durant la guerre civile espagnole » in Matériaux pour l’Histoire de notre temps, n°123-124, 2017, p. 59. Voir aussi la thèse, à paraître, de ce dernier : L’Illusion lyrique. Le volontariat international combattant dans la guerre d’Espagne, 1936-1938, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2024.
[2] Voir par exemple le « Dossier H » (publication collective reliée aux Cahiers de l’Herne), Les Écrivains et la Guerre d’Espagne, Paris, Les Dossiers H, 1975, qui comporte plusieurs articles consacrés à des écrivains issus de divers horizons culturels et linguistiques, et contient une ample bibliographie présentant à la fois des textes fictionnels et des témoignages (une section « Chroniques »).
[3] Claude Duchet (dir.), Sociocritique, Paris, Nathan, 1979, p. 4.
[4] Voir les récentes publications, par l’ACER-AVER et chez Zeitgeist Éditions, des témoignages de Marcel Sagnier et Pierre Rebière.
[5] Voir sur le sujet le débat autour de Témoins de Jean Norton Cru (1929) et les travaux de Charlotte Lacoste sur la cristallisation du genre testimonial au XXe siècle.
[6] M. de Certeau, L’Invention du quotidien, Nouv. éd, Paris, Gallimard, 1990, p. XL.
[7] Voir Javier Rodrigo, « Presentación. Retaguardia: espacio de transformación », Ayer, no 76, Retaguardia y cultura de guerra (1936-1939), 2009, p. 13-36.
[8] R. Baroni, Les Rouages de l’intrigue, Genève, Slatkine 2017.
[9] Voir la notion d’« ambiance graphique » proposée par Béatrice Fraenkel dans son cours Anthropologie de l’écriture, dispensé à l’EHESS.

Bibliographie succincte

Baroni R., Les Rouages de l’intrigue, Genève, Slatkine, 2017.

Baty-Delalande H. et Decout M. (dir.), « Écrits de guerre : laboratoires esthétiques », Revue des Sciences Humaines, n° 326, mai-juin 2017.

Berger G. et alii (dir.), L’Écriture du témoignage : récits, postures, engagements, Bruxelles, Peter Lang, 2022.

Bianchi N. et Garfitt T. (dir.), Writing the Great War: Francophone and Anglophone poetics, Oxford - New York, Peter Lang, 2017.

Canal J. et Duclert V. (dir.), La Guerre d’Espagne. Un conflit qui a façonné l’Europe, Paris, Armand Colin, 2016.

Duchet C. (dir.), Sociocritique, Paris, Nathan, 1979.

Dulong R., Le Témoin oculaire. Les conditions sociales de l'attestation personnelle, Paris, Éditions de l'EHESS, 1998.

Glaudes P. et Meter H. (dir.), L’Expérience des limites dans les récits de guerre, 1914–1945, Genève, Slatkine, 2001.

Godicheau F., La Guerre d’Espagne. République et révolution en Catalogne, Paris, Odile Jacob, 2004.

González, J. R., Testimonios del desastre: Periodistas y escritores en los campos de batalla, Gijón, Trea, 2016.

Jeannelle, J.-L., « Pour une histoire du genre testimonial », Littérature, n° 135, 2004, p. 87-117.

Jouhaud C. et alii, Histoire, littérature, témoignage : écrire les malheurs du temps, Paris, Gallimard, 2009.

Kaempfer J., Poétique du récit de guerre, Paris, J. Corti, 1998.

McLoughlin, K., Authoring War: The Literary Representation of War from the Iliad to Iraq, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.

Milkovitch-Rioux C. et Pickering R. (dir.), Écrire la guerre, Clermont-Ferrand, P.U.B.P., 2000.

Milquet S., Écrire le traumatisme : mémoire féminine de la guerre d’Espagne, Rennes, PUR, 2021.

Mesnard P. (dir.), La Littérature testimoniale, ses enjeux génériques, Paris, SFLGC, 2017.

Monteath P., The Spanish Civil War in literature, film, and art: an international bibliography of secondary literature, Wesport, Greenwood press, 1994.

Salaün S., La Poesía de guerra de España, Editorial castalia, Madrid, 1985.

Sánchez Zapatero J. (dir.), La Trinchera universal. Los voluntarios internacionales y la literatura de la Guerra Civil española, Albolote, Comares editorial, 2021.

Sill É. (dir.), ¡Solidarias! : les volontaires étrangères et la solidarité internationale féminine durant la guerre d'Espagne, 1936-1939, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022.

Sill, É., L’Illusion lyrique. Le Volontariat international combattant dans la guerre d’Espagne, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2024.

Simonet-Tenant F., « Cartas e diários de mulheres: uma função memorialística? », Revista Do Instituto De Estudos Brasileiros, n° 68, 2017, p. 84-100.

Thérenty M.-È., « Pour une poétique historique du support », Romantisme, vol. 143, n° 1, 2009, p. 110.

Thomas G., The Novel of the Spanish Civil War, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

Vaillant A., « De la sociocritique à la poétique historique », Texte, revue de critique et de théorie littéraire, n°45-46, 2009, pp. 81-98.

Wallhead C. M., Writers of the Spanish Civil War: The Testimony of Their Auto/biographies, New-York, Peter Lang, 2011.

Yvancos J. M. (dir.), Literatura y memoria : narrativa de la guerra civil, Murcie, PUM, 2022.

Spanish Civil War Memory Project. Audiovisual Archives of the Francoist Repression (University of California, San Diego): https://library.ucsd.edu/speccoll/scwmemory/about-eng.html

Proyecto « Los internacionales y la Guerra Civil española: literatura, compromiso y memoria » (anglophone literature, university of Salamanca) : https://armasyletras.es/publicaciones/coleccion-armas-y-letras.html