Pratiques et formes hors-normes : marginalisation, réappropriation et extractivisme culturel (Bruxelles)
APPEL À CONTRIBUTIONS
Pratiques et formes hors-normes :
Marginalisation, réappropriation, et extractivisme culturel
Université Libre de Bruxelles, les 9 et 16 octobre 2024.
Comité organisateur :
Emma Lozano (ULB), Sebastian Demolder (ULB), Jade de Cock de Rameyen (ULB)
Comité scientifique :
Sebastian Demolder (ULB), Emma Lozano (ULB), Jade de Cock de Rameyen (ULB), Sabrina Parent (ULB)
Dans le cadre des activités du centre de recherche Philixte (études philologiques, littéraires et textuelles), nous organisons deux journées de rencontre sous la forme d’un séminaire interdisciplinaire sur le thème : « Pratiques et formes hors-normes : marginalisation, réappropriation, et extractivisme culturel ». Ces deux journées sont au cœur d’un projet plus large intitulé « Écriture(s) en marge(s) » qui vise à faire se rencontrer les acteur·ice·s de l’université et de la vie littéraire contemporaine, notamment au travers d’ateliers d’écriture destinés aux étudiant·e·s de l’ULB qui suivent la finalité « Ecritures et Littératures » du master de Romanes (https://ltc.ulb.be/ecritures-et-litteratures). Notre ambition est de proposer, à l’université, une réflexion sur les dynamiques sociales, politiques et esthétiques à l’œuvre dans les écritures considérées comme marginales ou minorées.
Les différents processus de marginalisation à l’œuvre dans le champ culturel ont fait l’objet de nombreuses catégorisations (centre/périphérie, conformiste/subversif,
majoritaire/minoritaire, majeur/mineur etc.) La multiplication de ces perspectives a permis de prendre la mesure des enjeux politiques et sociétaux de la marginalisation, mais aussi de cerner les types de violence qu’elle engendre pour mieux pouvoir les adresser. Du côté des acteur·ice·s de la vie culturelle, la connaissance de ces dynamiques et de leur fonctionnement a donné lieu à de nombreuses stratégies nouvelles concernant la conception des œuvres elles-mêmes mais aussi les conditions matérielles de leur production. Or, les processus de marginalisation ont souvent fait l’objet d’étranges retournements : les institutions se mettent parfois à récupérer ce qu’elles ont elles-mêmes contribué à discriminer, à savoir les marges et leurs innovations. À quelles logiques répondent ces récupérations ? Offrent-elles des alternatives à la marginalisation ou, au contraire, la prolongent-elles ? Que reste-il de marginal à proprement parler ? À mesure que les dynamiques culturelles se complexifient, il devient nécessaire d’interroger les manières de dire les marges.
Comme l’indique le titre du séminaire, nous souhaitons aborder un corpus comprenant des œuvres dites marginales qui se caractérisent par des expérimentations au niveau de la forme artistique : performances, installations, littérature expérimentale, cinéma d’artistes… Mais nous souhaitons élargir la réflexion aux pratiques qui les font naître, en allant au-delà de la théorie ou de l’analyse esthétique pour envisager les aspects concrets de la vie des artistes ; de production et de réception des œuvres : le développement de collectifs, de manières d’habiter les lieux, de veillées littéraires ou micro-ouverts de slam…
Il s’agit de mettre en évidence les mécanismes de mise en marge et de hiérarchisation en jeu dans le champ culturel. Mais le séminaire aspire aussi à montrer la force subversive des formes et pratiques concernées. Ce double objectif est alors contenu dans l’expression : hors-normes. Celle-ci signifie, d’abord et littéralement, ce qui se situe “en dehors des normes” et s’applique, par exemple, à un produit qui ne satisfait pas aux critères de qualité établis. Elle peut donc renvoyer à la marginalisation, spatialisation évoquant une classification des œuvres ou artistes à partir d’un centre. Dans un sens positif, la même expression peut également s’entendre comme synonyme de “exceptionnel” ou “extra-ordinaire”. Ce double sens permet d’envisager la question non seulement sous l’angle de positionnements subis mais aussi sous
celui de revendications, positionnements discursifs, mises en scène et contre-captures au travers desquels les artistes rendent possible une réappropriation des marges. Nous proposons donc de mettre en question à travers les axes sociologique et esthétique les dynamiques structurantes – de marginalisation et de réappropriation – qui traversent divers champs culturels : littérature, cinéma, arts plastiques, poésie performée, etc. Notre réflexion s’inscrit dans une perspective intersectionnelle qui intègre les différents axes de discriminations (classe sociale, religion, couleur de peau, âge, identité de genre, orientation sexuelle, apparence physique, état de santé, etc.) Il faudra porter une attention particulière aux instances de légitimation ou de consécration artistique qui opèrent une sélection sociale car celle-ci se traduit par l’exclusion, l’invisibilisation (Delphine Naudier, 2007) voire la stigmatisation d’artistes issu·e·s de groupes dominés (Gisèle Sapiro, 2014). À partir notamment de la sociologie des champs littéraires ou des approches minorées, nous tenterons de répondre à la question de savoir comment la marginalisation se matérialise pour les auteur·ice·s, les cinéastes, les artistes dans leurs rapports avec les institutions culturelles, ou encore quels sont les effets de ces processus de mise en marge ou de réappropriation (interne ou externe) sur leurs pratiques et formes artistiques.
Si les marges peuvent signifier une position choisie et/ou revendiquée par les artistes, force est de constater qu’elles peuvent aussi constituer un terreau fertile à la récupération idéologique et marchande des institutions culturelles. Étant donné cette ambivalence, l’intégration des marges et de leurs productions dans notre réflexion ne pourra se faire innocemment. Comme le souligne Olivier Marboeuf (2022), ces voix subalternes servent de faire valoir aux institutions quand il s’agit de faire spectacle de la diversité, mais elles ont tôt fait d’être muselées quand elles deviennent à nouveau dérangeantes. À l’heure où universitaires, auteur·e·s, curateur·ice·s, artistes, éditeur·ice·s et cinéastes sont tou·te·s partie prenante de ces mises, prises et reprises en marge, quelles stratégies opposer à l’extractivisme culturel du capitalisme cognitif ? Le geste même posé par la recherche doit être interrogé sur le plan éthique et épistémologique : quel rôle jouons-nous au sein du champ social en récupérant ces marges comme objets d’étude ? De quels outils disposons-nous pour aborder d’un point de vue universitaire les enjeux esthétiques et politiques de ces dynamiques ? La recherche est-elle
aujourd’hui apte à en saisir le fonctionnement et à mettre en évidence les enjeux culturels et politiques sans les dénaturer ? S’il s’agit de mettre en lumière ces pratiques, de développer des cadres théoriques capables d’en favoriser la production et la réception, il va de soi que l’approche universitaire se doit de réfléchir aux dimensions éthiques et surtout épistémologiques de la rencontre qu’elle opère. Peut-être est-ce là l’un des effets générés par les pratiques marginales étudiées, et même peut-être une de leur réussite : la remise en question des cadres traditionnels de la construction des savoirs et, en définitive, le développement d’une épistémologie, d’une méthode de recherche qui serait critique dans ses procédés.
—
Le séminaire se propose d’examiner ces esthétiques hors-normes, d’une part, dans la façon dont elles prennent forme au sein de divers médiums artistiques et d’autre part,
relativement aux questions sociologiques et épistémologiques que ces pratiques soulèvent. Chacune des deux journées de rencontre fera place à quatre interventions orales de +/- 50 minutes. Pour permettre d’interroger en long et en large le rôle de la recherche universitaire et de ses méthodes quant aux problématiques qui nous occupent, nous prévoyons un temps exclusivement dédié au dialogue et au partage après chaque intervention, et encourageons à desformes originales et nouvelles pour les présentations (récits de parcours personnels, témoignages, lectures performées). Chaque journée durera de 9h à 17h et prévoira une pause déjeuner (plats végétariens, boissons, café).
D’autres thèmes en lien avec ceux de la marginalisation, de la réappropriation ou de l’extractivisme culturel pourront être discutés. À titre indicatif :
Centre/périphérie
Majoritaire/minoritaire
Majeur/mineur
Exclusion
Underground - alternatif
Résolution (haute/basse définition)
Sociologie de la culture
Sociologie des champs artistiques
Sociologie des arts minorés
Géographie culturelle
Cultural studies
Études décoloniales
Théories queer
Théories féministes
Intersectionnalité
Auto-référentialité
Extractivisme et appropriation culturels
—
Si vous souhaitez participer, veuillez nous envoyer un résumé/abstract de 300 mots maximum ainsi qu’une courte notice bio-bibliographique avant le 1er septembre à l’adresse : Sebastian.Demolder@ulb.be
La publication des interventions, voire des discussions, est envisagée. Davantage d’informations à ce sujet seront disponibles lors de la première séance de séminaire.
—
Bibliographie indicative :
Bilge Sirma, « Théorisations féministes de l'intersectionnalité », Diogène : Revue internationale des sciences humaines, n° 225, pp. 158-176, 2009.
Bourdieu Pierre, Microcosmes. Théorie des champs, Paris, Raisons d’agir, 2022.
Deleuze Gilles et Guattari Félix, Kafka : pour une littérature mineure, Éditions de Minuit, 1975.
Dubois Jacques, L’Institution de la littérature [1978], Bruxelles, BernandNatnan/Éditions Labor « Dossiers media », 2005.
Haraway Donna, « Situated knowledges : the science question in féminisme and the privilege of partial perspective », Logos, vol. 32, n° 1, 2022.
Marboeuf Olivier, Suites décoloniales : s’enfuir de la plantation, Éditions du Commun, 2022.
Meizoz Jérôme, La littérature « en personne » : Scène médiatique et formes d'incarnation, Genève, Slatkine érudition, 2016.
Minh-Ha Trinh T., When The Moon Waxes Red. Representation, Gender and Cultural Politics, New York, Routledge, 1991.
Naudier Delphine (dir.), « Genre et activité littéraire : les écrivains francophones », Sociétés contemporaines, n° 78, 2010.
Saint-Amand Denis, « Sur la littérature sauvage », dans Autour de l’extrême littéraire, A. Hemmens et R. Williams (dir.), Cambridge Scholars Publishing, 2012.
Sapiro Gisèle, La sociologie de la littérature, Paris, La Découverte, coll. « Repères Sociologie », 2014.