Repenser l’Altérité et l’Identité : Lire, Enseigner, Traduire / Rethinking Otherness and Identity: Reading, Teaching, Translating (Calgary, Canada)
Colloque international bilingue
(anglais et français)
organisé par Fanny Macé, Miao Li et Devika Vijayan
9 et 10 octobre 2025
Université de Calgary
(English version follows)
Repenser l’Altérité et l’Identité : Lire, Enseigner, Traduire
L’altérité est un concept philosophique qui signifie « caractère de ce qui est autre ». Cette notion est liée à la conscience et l’acceptation de la relation aux autres considérés dans leur différence. En cela, elle incarne un processus de redéfinition constante des identités. Ainsi, elle nécessite de surcroît une véritable connaissance de soi passant inexorablement par la rencontre avec l’Autre. L’altérité ne cesse de nous préoccuper depuis des temps immémoriaux. Mais qu’ont en commun et de différent les concepts qui en découlent selon les époques?
Dans l’Antiquité, Platon commence déjà à établir une distinction entre « même » et « autre ». Le caractère « autre » rend surtout compte de la différence par rapport au « je » (individuel) ou au « nous » (collectif) pour signifier ce qui est différent de soi, l’étrange(r) dont on remarque la différence. Plus tard, John Pau Rubiès dans son ouvrage intitulé Voyage et ethnologie à la Renaissance déclare « Les descriptions médiévales des terres et des peuples orientaux forment un corpus littéraire important qui doit être interprété en fonction des identités fondamentales valables à l’époque » (2000: 35). Dans l’Europe d’alors, ces identités sont généralement définies selon les critères de l’Église et de la vision féodale de l’Empire. Ainsi, tout ce qui est étrange(r) et qui sort des limites du monde chrétien (s’opposant aux sarrasins, juifs ou païens) représente l’Autre. L’époque contemporaine permet de voir une évolution dans la manière d’appréhender la notion d’altérité. Cette dernière est ainsi revisitée sous la plume de Janet Paterson. Dans son livre Figures de l’Autre dans le roman québécois, cette chercheure souligne que bien que la plupart des gens soient en mesure de distinguer la différence physique, cette dernière demeure majoritairement sans signification. Cependant, étant donné que certains traits sont associés à des stéréotypes (par exemple, couleurs de la peau), ils donnent souvent lieu à un système de ségrégation. C’est que le groupe dominant « fixe l’inventaire des traits différentiels qui serviront à construire la figure de l’Autre » (Paterson, 2004: 25). En effet, ce n’est pas la différence impliquant la couleur de peau qui est significative, c’est plutôt la portée que lui donne le groupe dominant. En somme, c’est une question de pouvoir.
Ces différentes acceptions de l’altérité trouvent un écho dans les domaines de la (socio)linguistique (appliquée), de la didactique et de la traductologie. Par exemple, en didactique des langues, Martine Abdallah-Pretceille (1997), reprenant certains principes de Lévinas, avance que la rencontre et la communication avec l’Autre ne peut avoir lieu que si celui-ci est d’abord reconnu comme un sujet (avec toute l’agentivité que cela présuppose), un autre « je », et non pas seulement un objet ou un objectif. L’époque actuelle, caractérisée par toujours plus de mobilités et de fluidités (géographiques, sociales et identitaires) nous amène à nous interroger d’une part, sur la capacité des voix individuelles et collectives à se faire entendre mais surtout à être entendues et, d’autre part, sur la nécessité de compléter tout parcours scolaire et universitaire par une formation aux approches plurielles (perspectives autochtones, interculturelles, plurilingues, etc.) dans un souci d’ouverture à l’équité, la diversité, l’inclusion et l’accessibilité (EDIA). Dans le domaine de la traductologie, l’intersection entre altérité et traduction nous invite à explorer les complexités de la navigation à travers les frontières linguistiques et culturelles (Spivak, 2021). Cela permet, par exemple, de souligner le rôle du traducteur comme médiateur. Les choix de traduction opérés peuvent intégrer le rapprochement, l’éloignement, ou encore l’effacement de diverses réalités linguistiques et culturelles (Price, 2023; Samoyault, 2020).
En s’étant peu à peu insérée dans différents champs de l’activité humaine, l’altérité suscite désormais une vaste réflexion dans divers domaines intellectuels et culturels, et permet d’être (re)pensée de manière novatrice. Ainsi, l’approche épistémique pose-t-elle la question liminaire de la terminologie, ainsi que celles de la constitution, des formes et des fonctions de l’altérité (Jodelet, 2005). L’approche ethnologique, quant à elle, informe sur les origines des liens entre le Soi et l’Autre. La notion d’exotisme, par exemple, peut être appréhendée de manière différente selon que l’on s’interroge sur les circonstances ayant fait émerger ce phénomène (Ségalen, 1978); le rôle joué par les voyages dans la construction de ce concept (Affergan, 1987); les liens entre exotisme historique et exotisme imaginaire (Moura, 1992) et enfin l’articulation entre exotisme, altérité (telle que définie à partir du XVIe siècle) et différence (aux XIXe et XXe siècles). Les différents types de rapports qui s’installent alors entre le Soi et l’Autre ont été identifiés puis nommés par Todorov selon quatre catégories de relations unissant ou non le « nous » et les « autres ». Au cours des siècles, ils ont été tour à tour déterminés par diverses positions entre le relatif et l’universel, entre le particulier et le général. Les différentes interprétations de l’altérité proposées par Kristeva (1988), Levinas (1961, 1995) et Ricœur (1990) dans l’approche philosophique font réfléchir aux fonctions du langage dans ces rapprochements (Ricoeur; 1990; Levinas, 1961, 1995). C’est ainsi que la démarche philosophique crée un lien entre l’altérité ethnologique et sociale et ses représentations langagières et scripturales, examinées par les perspectives littéraires. Les procédés d’énonciation, de polyphonie et de dialogisme (Benveniste 1966, 1975, Todorov, 1981), ainsi que diverses autres stratégies textuelles qui circonscrivent l’Autre/l’étrange(r) dans un espace romanesque (Paterson, 2004) sont au service de la mise en œuvre de la figure de l’Autre fonctionnant comme sujet de la description (sujet parlé) et comme sujet du discours (sujet parlant). Finalement, œuvrer en faveur d’une ouverture à l’altérité peut passer par bien des avenues qu’elles soient culturelles, littéraires ou philosophiques, ou qu’elles mettent en jeu des problématiques liées à la pédagogie, la (socio)linguistique, la traduction ou encore les arts. L’idéal que ces disciplines partagent c’est la compréhension et l’acceptation de l’Autre, des autres.
Dans cette perspective, les communications pourront porter, sans toutefois s’y limiter, sur l’un des axes proposés :
Axe 1 : Altérité et Identité : Littératures et Cultures
Identité et altérité: autochtonie, figure de l’étranger, identités de genre, sociales, etc.
Dialogisme et polyphonie, expressions minoritaires
Espace de l’autre, lieux de rencontre, récits de voyage
Rapport de pouvoir
Interculturalisme, multiculturalisme et transculturalisme
Création littéraire
Axe 2 : Altérité et Identité : Langue, Linguistique et Didactique
Didactique des langues-cultures: approches plurielles, éveil aux langues, translanguaging, compétences inter- et transculturelles, plurilinguisme et multilinguisme
EDIA en éducation : minorités linguistiques et culturelles, pédagogie universelle, perspectives autochtones, voix de l’Autre
Mobilité : exil, migration, répertoires identitaires, discrimination, marginalité, exclusion
Axe 3 : Altérité et Identité : traduction
Éthique de la traduction: pratiques traductologiques postcoloniales, traduire ou ne pas traduire l’altérité?
Rapport de pouvoir: langues majoritaires, langues minoritaires/minorées, littératures traduites/en traduction, pseudo-traduction, non-traduction, visions du monde et voix autochtones
Axe 4 : Altérité et Identité : Nouvelles Perspectives (Création, Production et Réception)
Arts culinaires: cuisine et gastronomie, fooding
Arts médiatiques: photographie, cinéma, vidéo
Arts visuels: architecture, peinture, sculpture, dessin, bande dessinée
Arts de la scène: danse, théâtre, musique (concerts et installations)
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Les propositions de communication (indiquant un titre et un résumé de 300 à 500 mots maximum, et accompagnées d’une courte notice biographique) doivent être transmises à colloque.alterite24@gmail.com pour le 30 août 2024 au plus tard. Les réponses seront communiquées fin septembre 2024 après évaluation anonyme du comité scientifique.
Les langues acceptées sont le français et l’anglais. Chaque communication sera d’une durée maximale de 20 minutes, suivie d’une période de questions.
Responsables : Fanny Macé, Miao Li et Devika Vijayan
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Rethinking Otherness and Identity: Reading, Teaching, Translating
Otherness is a philosophical concept that means “the character of what is other”. This notion is linked to the awareness and acceptance of the relationship with others considered in their difference. As such, it embodies a process of constant redefinition of identities, and requires genuine self-knowledge, which inexorably involves an encounter with the Other. Otherness has been a preoccupation of humankind since time immemorial. But what do these concepts have in common, and how is the concept different from one era to another?
In Antiquity, Plato began to distinguish between “same” and “other”. The character “other” is used above all to denote difference from the “I” (individual) or the “we” (collective), to signify that which is different from oneself, the strange(r) whose difference one notices. Later, John Pau Rubiès, in his book Travel and Ethnology in the Renaissance, states: “Medieval descriptions of Eastern lands and peoples form an important literary corpus that must be interpreted in terms of the fundamental identities valid at the time” (2000: 35). In Europe, at that time, these identities were generally defined according to the criteria of the Church and the feudal vision of the Empire. Thus, anything strange(r) and outside the bounds of the Christian world (for instance, Saracens, Jews or Pagans) represented the Other. The contemporary era has seen an evolution in the way the notion of otherness is understood. The latter is revisited by Janet Paterson. In her book Figures de l’Autre dans le roman québécois, this researcher points out that although most people can distinguish physical difference, it remains largely meaningless. However, since certain traits have been associated with stereotypes (for example, skin color), they often give rise to a system of segregation. This is because the dominant group “sets the inventory of differential traits that will serve to construct the figure of the Other” (Paterson, 2004: 25). Indeed, it is not the difference involving skin color that is significant, but rather the scope given to it by the dominant group. In short, it is a question of power. These different meanings of otherness are echoed in the fields of (applied) (socio)linguistics, pedagogy, and translation studies.) For example, in language pedagogy, Martine Abdallah-Pretceille (1997), drawing on certain principles of Levinas, argues that encountering and communicating with the Other can only take place if the Other is first recognized as a subject (with all the agency this entails), another “I”, and not merely as an object or an objective. In today’s world of ever-increasing mobility and fluidity (geographical, social, and identity), we must question the ability of individual and collective voices to be heard, as well as the need to complement any academic career with training in pluralistic approaches (indigenous, intercultural, plurilingual, etc.), with a view to opening to equity, diversity, inclusion, and accessibility (EDIA). In the field of translation studies, the intersection of otherness and translation invites us to explore the complexities of navigating linguistic and cultural boundaries (Spivak, 2021). This highlights, for example, the role of the translator as mediator. The translation choices made may involve bringing together, distancing, or even erasing different linguistic and cultural realities (Price, 2023; Samoyault, 2020).
Otherness has given rise to wide-ranging reflection in a variety of intellectual and cultural fields. The epistemic approach questions the terminology itself, as well as the constitution, forms, and functions of Otherness (Jodelet, 2005). The ethnological approach provides information on the origins of the links between the Self and the Other. It is important to understand the circumstances that give rise to exoticism (Segalen, 1978), especially the contribution of travel (Affergan, 1987), the links between historical and imaginary exoticism (Moura, 1992), and the metamorphosis of the concept of Otherness into that of difference and exoticism, as theorized by Segalen (1978). Todorov further contributes to this approach with his work On Human Diversity (Nous et les Autres). He describes four categories of relations that human beings have established over the centuries. These categories raise significant ontological and aesthetic questions of how we consider the plurality of judgments versus universal values, the diversity versus the unity of human beings. The various interpretations of alterity proposed by Kristeva (1988), Levinas (1961, 1995) and Ricoeur (1990) in the philosophical approach reflect on the historical rapprochements between the “I” and the “Other”. Enunciation, polyphony, dialogism (Benveniste 1966, 1975, Todorov, 1981) and textual strategies circumscribe the Other in a fictive space (Paterson) as “sujet parlé” and “sujet parlant”. Finally, an openness to otherns can take many forms: cultural, literary or philosophical. It can also involve issues related to pedagogy, (socio)linguistics, translation or arts. The common goal shared by these disciplines is the understanding and acceptance of the Other.
With this in mind, papers may focus on, but are not limited to, one of the following themes:
Theme 1: Otherness and Identity: Literatures and Cultures
Identity and otherness: indigenousness, the figure of the foreigner, gender and social identities,
Dialogism and polyphony, minority expressions
The space of the other, meeting places, travel narratives
Power relations
Interculturalism, multiculturalism and transculturalism
Creative writing
Theme 2: Otherness and Identity: Language, Linguistics, and Pedagogy
Pedagogy of language and culture: plural approaches, language awareness, translanguaging, inter- and trans-cultural skills, pluriculturalism, multilingualism, plurilingualism
EDIA in education: linguistic and cultural minorities, universal design, indigenous perspectives, voices of the Other
Mobility: exile, migration, identity construction and repertoires, discrimination, marginality, exclusion
Theme 3: Otherness and Identity: Translation
Ethics of translation: postcolonial translation practices, to translate or not to translate otherness?
Power relations: majority languages, minority/minorized languages, literatures in translation/translated, pseudo-translation, non-translation, worldviews and indigenous voices
Theme 4: Otherness and Identity: New perspectives (Creation, Production and Reception)
Culinary arts: cuisine and gastronomy, fooding
Media arts: photography, cinema, video
Visual arts: architecture, painting, sculpture, drawing, comics
Performing arts: dance, theater, music (concerts and installations)
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Please send your proposals (including a title and abstract of 300 to 500 words maximum and accompanied by a short biographical note) to colloque.alterite24@gmail.com by August 30, 2024. Decisions of acceptance will be emailed in late September 2024, after anonymous evaluation by the scientific committee.
You may choose to present in English or French. Each paper will last a maximum of 20 minutes, followed by a Q&A session.
Organizers: Fanny Macé, Miao Li et Devika Vijayan
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Bibliographie sélective / Selected Bibliography
Abdallah-Pretceille, Martine. (1997). Pour une éducation à l’altérité. Revue des sciences de l’éducation, 23(1), 123–132. https://doi.org/10.7202/031907ar
Affergan, Francis. Exotisme et altérité. Paris: Presses Universitaires de France, 1987
Amorim, Marilia. Dialogisme et altérité dans les sciences humaines. Paris: L’Harmattan, 1996
Benveniste, Émile. Problèmes de linguistique générale I et II.Paris: Gallimard, 1966 et 1974.
Jodelet, Denise. Formes et figures de l’altérité. L’Autre: Regards psychosociaux. Éd. Margarita Sanchez-Mazas et Laurent Licata. Grenoble: Les Presses de l’Université deGrenoble, 2005. 23-47.
Kristeva, Julia. Étrangers à nous-mêmes. Paris: Gallimard, 1988
Levinas, Emmanuel. Totalité et infini: Essai sur l’extériorité. La Haye: Martinus Nijhoff, 1961
Levinas, Emmanuel. Altérité et transcendance. Paris: Fata Morgana, 1995
Moura, Jean-Marc. Lire l’exotisme. Paris: Dunod, 1992
Paterson, Janet. Figures de l’Autre dans le roman québécois. Québec: Éditions Nota Bene, 2004
Price, Joshua M. Translation and Epistemicide: Racialization of Languages in the Americas. University of Arizona Press, 2023.
Ricoeur, Paul. Soi-même comme un autre. Paris: Seuil, 1990
Ricoeur, Paul. Oneself as Another. [Trad. Kathleen Blamery]. Chicago: University of Chicago Press, 1995
Rubiès, John Pau. Travel and Ethnology in the Renaissance: South India Through European Eyes, 1250-1625. Cambridge: Cambridge University Press, 2000
Samoyault, Tiphaine. Traduction et violence. Paris : Seuil, 2020.
Segalen, Victor. Essai sur l’exotisme. Une esthétique du divers. Paris: Fata Morgana, 1978
Spivak, Gayatri Chakravorty. The politics of translation. In The translation studies reader. Routledge. 2021: 320-338.
Todorov, Tzvetan. Bakhtine et l’altérité. Poétique 40 (1979): 502-13.
Todorov, Tzvetan. Mikhaïl Bakhtine le principe dialogique. Paris: Éditions du Seuil, 1981
Todorov, Tzvetan. Nous et les Autres: La réflexion française sur la diversité humaine. Paris: Seuil, 1989
Todorov, Tzvetan. On Human Diversity: Nationalism, Racism, and Exoticism in French Thought Cambridge, MA: Harvard University Press, 1998