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Souffle/Breath (revue Espace)

Souffle/Breath (revue Espace)

Publié le par Marc Escola (Source : Gina Cortopassi)

Souffle/Breath (No. 140, revue ESPACE art actuel)

En grec ancien le mot « souffle » se dit pneuma et réfère à la respiration, au fait naturel de respirer. À la première seconde de notre vie, instinctivement, il nous faut assurer par l’inspiration et l’expiration la fonction biologique d’être au monde. Très tôt, le souffle a été associé à l’âme, à ce qui donne vie au corps. Il a ainsi ouvert la voie à des visions de la vie cosmique et religieuse ainsi qu’à des pratiques d’ordre médical, orientées sur la santé du corps. En faisant se joindre l’âme et le corps, le souffle est rattaché à une philosophie de l’existence qui commence par cet acte physique ultime. Cette importance accordée au souffle est universelle : on la trouve dans la plupart des conceptions du monde, qu’elles soient chinoise, indienne, voire autochtone. Mais le souffle a aussi donné lieu, depuis l’antiquité, à une métaphore. S’appuyant sur l’image du souffle divin, celle-ci souligne l’inspiration du poète, l’élan créateur qui rend vivant ce qui n’aurait jamais existé. 

Dans un livre récent intitulé Respirer. La puissance créatrice du souffle (Les presses du réel, 2023), Maurice Fréchuret souligne le côté primordial de la respiration à travers l’histoire de la création artistique. Comme Georges Bataille qui, dans Lascaux, la naissance de l’art (1955), fait commencer l’histoire de l’art au paléolithique, Fréchuret souligne en quoi les mains négatives sur les parois des grottes peuvent être considérées comme le résultat du premier souffle de l’art, celui associé à une volonté de laisser une trace dont l’intention reste mystérieuse. Par ailleurs, son livre ne s’en tient pas à ce premier balbutiement de l’art du souffle, il couvre plusieurs époques qui vont du Moyen Âge à l’art contemporain. Misant d’abord sur une métaphysique privilégiant le regard, le souffle a longtemps été mis en représentation, mais peu à peu il s’est déployé à travers des gestes et fait place à des mises en scène proposant diverses expériences sensorielles. Dans le domaine des arts vivants, notamment, le flux respiratoire met le corps en mouvement, il rappelle son extrême importance à partir duquel le corps performant et dansant prend forme. 

Du côté des artistes en arts visuels, le souffle va plutôt se manifester à partir de différents médiums dont la photographie, la vidéo, l’ action performative et l’installation. Parfois, il s’affiche par l’entremise d’objets inusités. Dans une action toute simple de Lygia Clark, intitulée Respire Comigo (Respire avec moi) (1966), le spectateur·rice est invité·e à souffler dans un tube d’air dont se sert les plongeur·se·s lors de leur immersion sous l’eau, geste anodin qui rend visible l’acte de respirer. Dans d’autres circonstances, le souffle peut être aussi un facteur de modification. C’est ce que nous montre une série d’autoportraits intitulée La tache que laisse le souffle sur le miroir (1977) de l’artiste Dieter Appelt. Il s’agit d’une série de portraits de l’artiste, une image dans l’image, mais aussi la trace d’une action figée dans le temps au gré du souffle qui transforme la représentation. Un autre artiste, Oscar Muñoz avec Aliento (Souffle) (1995), propose une série d’œuvres composées de miroirs. La surface parfaitement réfléchissante de chaque miroir cache l’image photographique d’une personne décédée, qui se découvre lorsque le·la spectateur·rice s’approche suffisamment du miroir pour que son souffle embue sa surface et rend visible l’image cachée d’une personne décédée. 

Le souffle en art nécessite souvent la participation du public. Il peut également dans ces cas précis s’intégrer à un dispositif complexe faisant usage de la technologie numérique. En 1990, Edmond Couchot, Marie-Hélène Tramus et Michel Bret allient leur savoir-faire et réalisent une installation interactive d’images de synthèse munie, elle aussi, d’un tube et d’un oscilloscope. Je sème à tout vent capte les variations du souffle des participant·e·s et disperse les akènes d’un pissenlit sur l’écran. L’image se comporte exactement comme son référent, animée, vivante. Une autre œuvre pionnière du champ des arts numériques, Osmose (1995) de Char Davies, repose aussi sur le souffle. Les spectateur·rice·s se déplaçaient dans les paysages de cette réalité virtuelle par le biais de leur respiration, flottant dans l’espace onirique. Formé de Grégory Lasserre et Anaïs met den Ancxt, le duo Scenocosme vont proposer plusieurs installations interactives dont Souffle (2011) qui permet grâce aux respirations des spectateur·rice·s de révéler l’intégralité d’une vidéo générative circulaire. Dans cette perspective, la respiration permet d’évoquer ce territoire commun que constitue l’atmosphère. Territoire qui se modifie selon les actions que nous menons et la condition dans laquelle nous vivons. Tout récemment, en 2023, l’exposition À plein poumon, présentée à la Fondation Bullukian (Lyon), a programmé le documentaire Storgetnya (2020) de Hovig Hagopian. Tourné à 230 mètres sous terre dans la mine de sel d’Avan, en Arménie, des personnes souffrant d’asthme se trouvent dans une clinique souterraine, laissant présupposer que l’air riche en minéraux peut être bénéfique pour ces patient·e·s.

D’autres propositions d’artistes sont associées à des préoccupations d’ordre écologique et politique. À l’heure où l’air, selon la situation, est dégradé ou pollué, ce phénomène n’est pas sans souligner l’inquiétude que peut sous-entendre le souffle, la respiration. En 2015, l’artiste Mexicano-Canadien Rafael Lozano-Hemmer proposait Vicious Circular Breathing une œuvre demandant au participant·e de se tenir dans une pièce hermétique vitrée, où il·elle respirait l’air déjà respiré par les visiteur·euse·s précédent·e·s. Considéré jadis comme vecteur de vie, l’air respiré est devenu potentiellement dangereux, notamment dans des contextes industriels. Plusieurs artistes dénoncent cette attitude dans leur œuvre. En 1972, Gustav Metzger dans Project  Stockholm, June (Phase 1) rassemble des centaines de voitures, moteurs en marche, qui crachent le gaz issu de leur pot d’échappement. Plus récemment, l’artiste britannique Michael Pinsky présentait Pollutions Pods (2017) une installation composée de cinq dômes géodésiques interconnectés qui reproduisent les différents niveaux de pollution que l’on trouve dans les villes de Londres, New Delhi, São Paulo et Pékin. Ajoutons à cette courte liste, la vidéo Voyage on the planet (2013) de l’artiste-designer Chih Chiu qui évoque, avec un équipement de protection, la pollution en Chine et conséquemment la fragilité de l’environnement.

Ce dossier invite à des analyses théoriques liées à des études de cas récentes qui prennent en considération diverses manières de considérer la notion de souffle et de respiration dans les pratiques actuelles. Il pourrait s’agir d’actions mettant en œuvre la respiration comme acte inné ; de celles qui soulignent l’importance du corps vivant pour qui le souffle est l’essence première. Il pourrait s’agir aussi des conditions actuelles de la respiration au sein de notre environnement, voire de l’atmosphère, et plus encore. 

Si vous souhaitez contribuer à ce numéro thématique, nous vous invitons, dans un premier temps, à envoyer un courriel à la rédactrice de la revue ESPACE (gcorto@espaceartactuel.com) avant le 8 novembre 2024, afin de présenter une brève proposition (250 mots).

Nous vous informerons rapidement si votre proposition est retenue. Votre texte complet ne devra pas dépasser 2000 mots, notes de bas de page non comprises, et nous sera soumis avant le 28 janvier 2025. Les honoraires sont de 65 $ CAD par page (250 mots).

Subject: Souffle/Breath

In ancient Greek, the word for “breath” is pneuma and refers to breathing. In the very first moments of our lives, we instinctively need to breathe and perform the biological function of “being in the world.” From very early on, breath has been associated with the soul or spirit, with what gives life to the body. Thus it paved the way for cosmic and religious visions of life, as well as medical practices focusing on the body’s health. By bringing soul and body together, breath is linked to a philosophy of existence that begins with this ultimate physical act. And the importance accorded to breath is universal: it can be found in most conceptions of the world, whether Chinese, Indian or indigenous cultures. Since ancient times, breath has also given rise to a metaphor based on an image of divine breath, evoking the poet’s inspiration, the creative impulse that brings the inanimate and the imaginary to life. 

In his recent book Respirer. La puissance créatrice du souffle (Les presses du réel, 2023), Maurice Fréchuret emphasizes the primordial importance of breathing throughout the history of artistic creation. Like Georges Bataille, who, in Lascaux ou la naissance de l’art (1955), starts the history of art in the Paleolithic period, Fréchuret emphasizes how the negative hand prints on cave walls can be seen as the result of a first breath of art, and the desire to leave a trace; however, the creator’s intention remains a mystery. His book is not confined to this first stammering of breath in art and covers several periods from the Middle Ages to contemporary art. Breath has long been represented, based on a metaphysical approach that privileges the gaze, but gradually, it has been deployed differently and has given way to a variety of sensory experiences. In the performing arts, in particular, the flow of breath sets the body in motion, reminding us of its extreme centrality, from which the performing and dancing body takes shape. 

For visual artists, breath is most likely to be expressed in a variety of media, such as photography, video, performative actions and installation. Sometimes, it is displayed through unusual objects. In Lygia Clark’s work Respire Comigo (Breathe with Me) (1966), the viewer is invited to blow into an air tube that divers use when immersed in water, a simple gesture, which makes the act of breathing visible. In other circumstances, breath can also modify or remodel. This is shown in artist Dieter Appelt’s series of self-portraits entitled La tache que laisse le souffle sur le miroir (1977). This series of auto-portraits creates an image within the image, and also leaves a trace of the action frozen in time as the breath transforms the representation. Another artist, Oscar Muñoz, presents Aliento (Breath) (1995), a series of works composed of mirrors. The perfectly reflective surface of each mirror conceals the photographic image of a deceased person, which is revealed when the viewer comes close enough to the mirror for his or her breath to produce a fog on its surface. 

Breathing in art often requires audience participation. In such cases, it can also be integrated into a complex device using digital technology. In 1990, Edmond Couchot, Marie-Hélène Tramus and Michel Bret combined their know-how to create an interactive computer-generated image installation, also equipped with a tube and oscilloscope. Je sème à tout vent captures variations in participants’ breath and scatters the achenes of a dandelion across the screen. The image behaves exactly like its referent, animated and alive. Another pioneering work in the field of digital art, Char Davies’ Osmose (1995), also relies on breath. Viewers moved through the landscapes of this virtual reality by means of their breath, floating in dreamlike space. Scenocosme, the duo of Grégory Lasserre and Anaïs met den Ancxt, presented a number of interactive installations, including Souffle (2011), in which viewers’ breaths reveal the entirety of a circular generative video. From this perspective, breathing evokes the shared territory of the atmosphere. A territory that changes according to the actions we take and the conditions in which we live. More recently, in 2023, the exhibition À plein poumon, presented at Fondation Bullukian (Lyon), programmed Hovig Hagopian’s documentary Storgetnya (2020). Filmed 230 meters underground in the Avan salt mine in Armenia, asthma sufferers are seen in an underground clinic, suggesting that the mineral-rich air may be beneficial for these patients.

Other artists’ proposals are associated with ecological and political concerns. At a time when the air, depending on the situation, is degraded or polluted, breathing can be impaired. In 2015, Mexican-Canadian artist Rafael Lozano-Hemmer proposed Vicious Circular Breathing, a work requiring participants to stand in a hermetically sealed glass room, where they breathed in the air already breathed by previous visitors. Once considered a vector of life, the air we breathe has become potentially dangerous, particularly in industrial contexts. Several artists have denounced this in their work. In 1972, Gustav Metzger’s Project Stockholm, June (Phase 1) brought together hundreds of cars with their engines running and spewing gas from their exhausts. More recently, British artist Michael Pinsky presented Pollutions Pods (2017), an installation composed of five interconnected geodesic domes that reproduce the different levels of pollution found in the cities of London, New Delhi, São Paulo and Beijing. Adding to this short list is the artist-designer Chih Chiu’s video Voyage on the planet (2013), which evokes, with protective equipment, pollution in China and consequently the fragility of the environment.

This dossier invites theoretical analyses concerned with recent case studies that take into consideration the various ways of presenting notions of breath and respiration in current art practices. These could be artworks that use breathing as an innate act, or those that emphasize the importance of the living body, for which breath is the primary essence. This could also be about the current conditions of breathing within our environment, or even the atmosphere, and more. 

If you would like to contribute to this thematic issue, we invite you, as a first step, to submit a brief proposal (250 words), sending it email to associate editor of ESPACE magazine (gcorto@espaceartactuel.com) before November 8th, 2024. We will let you know as soon as possible if your proposal is accepted. Your full text should not exceed 2000 words, excluding footnotes, and must be submitted by January 28th, 2025. The fee is CAD $65 per page (250 words).