La mélancolie politique au XIXe siècle
Colloque interdisciplinaire
Université de Lausanne, 19-20 juin 2025
Organisé par Federica Vermot (doctorante en histoire de l’art — Université de Lausanne / Centre des Sciences historiques de la culture)
et Emma Sutcliffe (doctorante en histoire de l’art — Université de Bourgogne / LIR3S),
avec le concours scientifique du Prof. Philippe Kaenel (Université de Lausanne).
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Ce colloque se propose d’interroger les formes revêtues, au cours du long XIXe siècle (1789-1914), par la mélancolie politique. Dans une époque morcelée par les changements de régime — et particulièrement troublée par les implications socio-culturelles qui en découlent — la mélancolie se fait, paradoxalement, sentiment constant et commun aux idéologies politiques même les plus éloignées. Face à l’incessante transformation des structures du pouvoir et alors que le Progrès se dresse en horizon d’attente, la mélancolie semble émerger comme thématique à part entière en Europe dans les discours littéraires, artistiques, historiques et philosophiques.
Suivant le mouvement de réexamination de l’histoire politique au prisme des sensibilités, l’étude des représentations de ce sentiment apparaît comme un moyen de mieux saisir les dynamiques émotionnelles qui sous-tendent les transformations du XIXe siècle. Loin d’être une simple forme passive de désillusion, la mélancolie — à la croisée de l’intime et du collectif — peut être moteur de réflexion, de résistance voire de réinvention des utopies politiques. En bref, un véritable outil pour saisir les contradictions d’une époque en pleine transformation.
Dans la volonté d’échanges interdisciplinaires qui préside à ce colloque, les propositions de communication pourront s’inscrire dans les thématiques suivantes, sans pour autant s’y limiter :
1. Mélancolie et Révolutions :
L’accent peut d’emblée, pour le XIXe siècle, être mis sur le sentiment de déception faisant suite aux multiples échecs révolutionnaires. Après les évènements de 1848, le désarroi contamine les arts à l’échelle européenne : du spleen baudelairien au mal di vivere de certains macchiaioli en passant par le Weltschmerz de Liszt, l’atmosphère est au fatalisme. Mais la mélancolie se veut également arme révolutionnaire : les fêtes funèbres de 1789, les martyrs de la liberté de 1830 et les drapeaux sanglants de 1870 sont autant d’exemples de la capacité de cet état d’âme à devenir moteur de la lutte.
2. Ambiguïtés mélancoliques :
La mélancolie politique dépasse néanmoins l’horizon révolutionnaire, se révélant, d’une part, dans la nostalgie de l’Ancien Régime, d’autre part, dans l’angoisse éprouvée face à un avenir incertain. Cette nouvelle conception du temps, propre au « régime d’historicité » (HARTOG, 2003) qui caractérise le XIXe siècle, confère à l’étude de cet état émotionnel — non pas exclusivement tourné vers le passé mais également ancré dans le présent et orienté vers le futur — un intérêt particulier. Si Chateaubriand parle de « flambeau éteint » afin d’exprimer son chagrin de la France monarchique, Hugo, lui, qualifie le progrès technologique de « lumineux désastre ». On pourra également s’interroger sur l’évolution de la définition de mélancolie — d’un simple mal être à son sens clinique — mais aussi sur la mutation du ressenti des acteurs de l’époque et sur son impact au sein des arts.
3. Esthétiques mélancoliques :
Y a-t-il un « pathosformel » (WARBURG, 2012) de la mélancolie politique ? Si l’on connaît bien le goût du macabre caractéristique de l’âge romantique et ses tendances contemplatives, peut-on en détailler les variations sémiologiques et iconologiques à l’échelle du long XIXe siècle ? Cette esthétique est-elle similaire aux sphères officielles et contestataires ou existe-t-il des différences notables entre les discours dominants et les oppositions politiques ? Les impossibilités de représentations liées au régicide ayant conduits à des « alternatives métonymiques » (FUREIX, 2009) où le culte des reliques remplace la théâtralisation du cadavre — on citera, à ce titre, la scénographie du retour des cendres de Napoléon en 1840 —, il sera pertinent de mettre en regard ce mécanisme de propagande et des expressions plus personnelles, à l’image des métaphores animalières prisées des poètes : du cygne de Lamartine (1825) sous la Restauration au chien de Baudelaire (1857) pendant le régime de Napoléon III, en passant par le loup de Vigny (1830) à l’aube de la Monarchie de Juillet.
4. Espaces de la mélancolie :
La mutation du temps au XIXe siècle ne peut être appréhendée sans considérer celle de l’espace qui l’accompagne. À ce titre, et alors que monuments funéraires et cimetières deviennent des marqueurs emblématiques de cette nouvelle expérience méditative qu’est « la mort de toi » (ARIÈS, 1977), quelles sont les implications de la politisation du sentiment mélancolique dans l’espace public ? En histoire de l’art, le genre du paysage — et plus particulièrement la thématique de la ruine — se prête de manière privilégiée à l’expression d’une morosité qui ne se limite pas à l’œuvre d’un Hubert Robert. Mettant en scène des vestiges d’incendie aux allures de barricades, les Ruines des Tuileries d’Ernest Meissonier (1871) sont autant une méditation sur la disparition du pouvoir monarchique qu’une réflexion sur les possibilités d’avenir provoquées par la Commune.
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Modalités de soumission et organisation
Toute proposition de communication, tant de chercheur·euse confirmé·e que de jeune docteur·e et doctorant·e, est bienvenue. Les propositions (en français ou en anglais, entre 1’500 et 2’000 signes), accompagnées d’une brève notice biographique (entre 500 et 1’000 signes), sont à envoyer avant le 28 février 2025 à l’adresse federica.vermot@unil.ch.
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Bibliographie
ARIÈS Philippe, L’homme devant la mort, Paris, Seuil, 1977
BLAISE Marie (dir.), Melancholia : littérature et psychanalyse, Montpellier, PULM, 2017.
CORBIN Alain, MAZUREL Hervé (dir.), Histoire des sensibilités, Paris, PUF, 2022
FUREIX Emmanuel, JARRIGE François, La modernité désenchantée. Relire l’histoire du XIXe siècle français, Paris, La Découverte, 2015
FUREIX Emmanuel, La France des larmes : Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Seyssel, Champ Vallon, 2009
HARTOG François, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, Seuil, 2003
KOSELLECK Reinhart, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Éditions de l’EHESS, 1990
LAFORGUE Pierre, Romanticoco. Fantaisie, chimère et mélancolie (1830-1860), Saint-Denis, PUV, 2001
MAKARIUS Michel, Ruines : Représentations dans l’art de la Renaissance à nos jours, Paris, Flammarion, 2011
OEHLER Dolf, Juin 1848 : Le spleen contre l’oubli, Paris, Payot, 1996
WARBURG Aby, Nachhall der Antike, Zurich, Diaphanes, 2012