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Journée d’étude – Université de Lorraine, Nancy
Vendredi 20 juin 2025
La ruse au Moyen Âge et dans ses représentations médiévalistes
Campus Lettres et Sciences Humaines, 23 Boulevard Albert 1er, NANCY.
La journée d'étude aura lieu le vendredi 20 juin 2025 à Nancy, avec le soutien de l’UR Sciences de l’Antiquité et du Moyen Âge (SAMA) de l’Université de Lorraine. Le projet est porté par :
Marine Briey (SAMA, Université de Lorraine)
Maxime Danesin (LIS, Université de Lorraine)
Justine Breton (SAMA, Université de Lorraine)
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Omniprésente, insaisissable, protéiforme, ambivalente... la ruse apparaît comme une notion complexe et variable, capable de fourvoyer et d’échapper aux tentatives de définition définitive. Ruses militaires, politiques, amoureuses, érotiques, économiques, artistiques, etc., ses domaines d’action sont pluriels et ne sauraient se limiter à la question du mensonge ou du déguisement.
La densité et la complexité de cette notion se manifeste au niveau de la langue elle-même au Moyen Âge. Référantinitialement, en ancien français, aux « détours du gibier dans sa fuite », le mot ruse désigne par la suite la « tromperie, astuce, feinte », soit un art du retournement, voire du détournement. Tantôt valorisée et assimilée à l’intelligence, à la finesse, à l’habileté, tantôt condamnée par son association à la perfidie, à l’hypocrisie, à la déloyauté, la ruse et ses multiples acceptions constituent un ensemble axiologique contrasté et ambivalent.
Cette densité sémantique se retrouve également dans le terme médiéval d’engin. Compris à la fois en tant que faculté (l’habileté, l’ingéniosité, mais aussi l’art, le savoir-faire, le talent) et le produit de cette intelligence (l’invention, le dispositif, la machine), l’engin semble, à ce titre, se rapprocher de ce que les Grecs appelaient mètis, cette forme d’intelligence pratique, à l’acception variable, décrite de façon fameuse par Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant (2018 [1974]). « Bigarrée », « ondoyante », la mètis « a pour champ d’application le monde du mouvant, du multiple, de l’ambigu » (Détienne et Vernant, 2018, p. 36) ; plus encore, « sa souplesse, sa malléabilité lui donnent la victoire dans les domaines où il n’est pas, pour le succès, de règles toutes faites, de recettes figées, mais où chaque épreuve exige l’invention d’une parade neuve, la découverte d’une issue cachée » (ibid., p. 38).
Au-delà du lexique, le long Moyen Âge (Le Goff, 2004) forge des figures littéraires et légendaires, mythologiques et historiques, dont certaines sont devenues emblématiques de la notion même. Impossible de ne pas penser à Renart, dont la description première visait déjà à l’établir comme parangon de la ruse :
Ce goupil est à nos yeux le symbole de Renart, lui qui fut un maître accompli : tous ceux qui sont versés dans la ruse et les artifices sont désormais appelés Renart, à cause de Renart et du goupil. L’un et l’autre étaient très savants dans leur art. Si Renart sait couvrir de honte les hommes, et si le goupil de son côté trompe les bêtes, c’est qu’ils appartenaient bien à la même race, suivant les mêmes mœurs et partageant les mêmes sentiments.[1]
Les Loki, Taliesin, Samak, Shéhérazade, Mélusine, Till Eulenspiegel, Machiavel, Sun Wukong et autres participent à incarner et façonner la ruse de bien des façons, au-delà des frontières culturelles et géographiques. Temporelles, également, au regard de la pérennité de certaines de ces figures dans les productions médiévalistes. La ruse y est déployée (et célébrée) à grande échelle, quels que soient le genre ou la forme narrative, au point qu’elle semble devenir une caractéristique centrale des personnages médiévalistes. On la croise ici dans une nouvelle itération de Renart (De Cape et de Crocs), là dans les nombreuses réécritures de Robin des Bois et Sinbad. Elle prend ses quartiers dans les anciens et nouveaux classiques de la fantasy, du Hobbit à The Witcher, en passant par Game of Thrones. La parodie reste un de ses lieux d’action privilégiés (Le Donjon de Naheulbeuk, Konosuba), tandis que son aspect sulfureux persiste à bien des degrés, en témoignent les œuvres de la littérature Young Adult américaine (A Court of Thorn and Roses) et les mangas (Spice and Wolf). La ruse se donne également à manipuler dans les jeux de rôle papier (Donjons & Dragons) et numériques (World of Warcraft, Assassin’s Creed), se recodifiant à travers des règles et classes (cf. la figure du Rogue) qui ont su s’installer au cœur de la fantasy contemporaine.
Cette journée d’étude vise à analyser les formes, enjeux et héritages de la ruse médiévale, en s’intéressant aux concepts auxquels elle renvoie ainsi qu’à ceux qui la pratiquent ou en sont victimes. Toutes les approches sont les bienvenues, y compris les études linguistiques, littéraires, historiques ou encore médiévalistes. Les jeunes chercheurs et chercheuses sont vivement encouragés à soumettre leur proposition de communication.
Axes d’analyse (non exhaustifs) :
- La ruse : un anti-héroïsme ? Ambivalence morale et éthique de l’acte déceptif
- Ruses masquées : jouer avec les apparences et reconfigurer les données du réel
- Ruses de guerre, ruses militaires, ruses politiques
- Ruses divines, ruses animales, ruses humaines
- Motivations et contextes générateurs de ruse
- Ruse et parodie : un art du détournement
- La ruse comme moteur narratif
- La ruse au-delà des frontières : la figure du Trickster
- Ruse genrée, ruse identitaire
- Ruse des marges : hors-la-loi et marginaux
- Contextes culturels et transculturels de la ruse
- La ruse dans tous ses états
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Les propositions, en français ou en anglais, d’environ 350 mots maximum, accompagnées d’une très courte bio-bibliographie, sont à envoyer à marine.briey[a]univ-lorraine.fr et à maxime.danesin[a]univ-lorraine.fr pour le 30 avril 2025.
Les réponses seront communiquées le 15 mai 2025.
Les communications de cette journée, en français ou en anglais, pourront faire l’objet d’une publication postérieure, sous forme d’ouvrage collectif.
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Comité scientifique :
Justine Breton (SAMA, Université de Lorraine)
Marine Briey (SAMA, Université de Lorraine)
Damien de Carné (SAMA, Université de Lorraine)
Florent Coste (LIS, Université de Lorraine)
Maxime Danesin (LIS, Université de Lorraine)
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Bibliographie indicative :
BEECHER Donald Alen, « Intriguers and Trickster: The Manifestations of an Archetype in the Comedy of the Renaissance », Revue de Littérature comparée, vol. 61, 1987, p. 5-30.
BREMONT Claude, « Principes d'un index des ruses », Cahiers d'Études Africaines, 60, vol. 15, 1975, p. 601-618.
DÉTIENNE Marcel et VERNANT Jean-Pierre, Les ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Paris : Flammarion, 1974, rééd. Champs, 2018.
DIDIERJEAN André, PRETALLI Michel, Rusé comme un humain : La ruse dans tous ses états, Bruxelles : Mardaga, 2022.
GRODEK Elzebieta (éd.), Écriture de la ruse, Amsterdam/Atlanta : Rodopi, 2000.
GUENOVA Vessela, La Ruse dans le Roman de Renart et dans les œuvres de François Rabelais, Orléans : Paradigme, 2003.
JOLY Jean Luc (éd.), La Comédie de la Ruse. Stratégies et discours des rusés dans les littératures européennes et du monde arabe, Meknès : Publications de l’ENS, 1998.
LATOUCHE Serge, LAURENT Pierre-Joseph, SERVAIS Olivier, SINGLETON Michael (dir.), Les raisons de la ruse. Une perspective anthropologique et psychanalytique, Paris : La Découverte, « Recherches/MAUSS », 2004.
MACHTA Insaf, Poétique de la ruse dans les récits tristaniens français du XIIe siècle, Paris : Honoré Champion, 2010.
STRUBEL Armand, « Engins, pièges et déceptions : la ruse de Renart en mots et en actes », Deceptio. Mystifications, tromperies, illusions de l’Antiquité au XVIIe siècle, Montpellier : Publications de Université Paul Valéry, 2000, p. 115-141.
ZINK Gaston, « Le vocabulaire de la ruse et de la tromperie dans les branches X et XI du Roman de Renart », L'Information Grammaticale, 43, 1989. p. 15-19.
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[1] Le Roman de Renart, présentation et traduction de Gabriel Bianciotto, Le Livre de Poche, « Lettres gothiques », 2005, p. 99.