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La marque et ses suffixes : marqueurs, marketing et marquage en littérature (Université de Lausanne)

La marque et ses suffixes : marqueurs, marketing et marquage en littérature (Université de Lausanne)

Publié le par Marc Escola (Source : Arthur Brügger)

Appel à communications 

La marque et ses suffixes : marqueurs, marketing et marquage en littérature

Colloque international, Université de Lausanne, 16-17 avril 2026 

Organisé par :

Julia Cela et Arthur Brügger

Section de français, Université de Lausanne

L’usage du terme de "marque" dans la critique littéraire désigne l’écart, considéré comme valeur de différenciation d’une œuvre, d’un·e auteur·ice, de sa démarche ou encore du groupe social auquel il·elle est identifié·e. Pour Marie-Ève Thérenty et Adeline Wrona dans l’introduction de L’Écrivain comme marque (2020), la marque, saisie comme stratégie commerciale dans une perspective mercantile, "s’appuie sur des fictions d’autorité" et "projette sur les biens des valeurs émotionnelles, ludiques, esthétiques" (p. 19). De récentes études réfléchissent également à la manière dont le roman contemporain se saisit des marques à l’heure de la société de consommation (Marie Fleury Wullschleger 2020). En optant pour une définition large de la "marque" en littérature, ce colloque a pour ambition de prolonger cette démarche afin d’identifier les fictions de différenciation qui sous-tendent son usage critique et les valeurs ainsi projetées sur le fait littéraire. Il s’agit dès lors de déployer la "marque" sous tous ces aspects possibles : en tant que thème inscrit dans les fictions, en tant que stratégie d’individuation, en tant qu’opération de production d’un bien symbolique et en tant que critère de délimitation du territoire culturalisé du champ littéraire.

Dans Faire l’auteur en régime néo-libéral. Rudiments de marketing littéraire (2020), Jérôme Meizoz examine les stratégies de "marquage" déployées par les auteurs et autrices dans le contexte contemporain du capitalisme mondialisé, où l’image et la "marque" de l’écrivain participent d’un marketing littéraire façonné par la médiatisation et les logiques de marché. De manière analogue, L’Écrivain comme marque (2020) interroge les manières dont le champ littéraire produit et valorise ces "marques" comme des auto-attributions créatives (Thérenty & Wrona 2020). Dans cette perspective, la "marque" ne se limite pas à la singularité d’une démarche mais s’étend ainsi à des enjeux plus vastes de visibilité, de légitimité, de positionnement et d’appartenance au champ littéraire. Il s’agit dès lors d’interroger la manière dont ces conduites individuelles participent à l’élaboration du récit de branding qui fait advenir l’œuvre comme un produit reconnaissable sur le marché littéraire, dans une perspective interactionnelle.

De telles opérations de productions interviennent également de manière exogène en "marquant" certaines littératures du sceau d’un sous-genre qui les qualifie en tant que produit différencié de la norme, souvent implicite, du champ littéraire à une époque donnée. Ces phénomènes commerciaux participent donc pleinement à la manière dont un texte va être acheté puis lu, notamment dans les cas où ils assignent à l’auteur·ice et à son texte une position donnée sur le marché du livre. Qu’il s’agisse de littérature postcoloniale ou dite "périphérique", la différence culturelle est régulièrement identifiée comme concentrant la valeur accordée à l’œuvre, transformant ainsi fondamentalement la manière dont on considère et analyse le déploiement de l’auctorialité des écrivain·e·s concerné·e·s. Si les phénomènes de "marquage culturel" s’apparentent ainsi pour ces derniers à une forme d’assignation à une identité (réelle ou supposée), elle participe en somme à une logique de délégitimation voire de ghettoïsation de leurs œuvres (Mabanckou 2006), comme l’analyse également Graham Huggan dans ses travaux sur "l’exotisme postcolonial". A l’inverse, lorsque ce geste de singularisation sert à apparenter une œuvre à l’espace national français, le "marquage" n’est pas nommé comme culturel et entend souligner la solubilité de l’œuvre dans l’imaginaire national. Il s’agit alors d’interroger la manière dont s’élaborent les pratiques critiques et discursives qui produisent des textes comme "marqués" culturellement ou non.

Lorsque la critique tend à relever une différence sous le prisme de l’innovation esthétique, cette forme de « marquage » en creux apparait généralement comme une opération de valorisation. Un tel geste célèbre les œuvres pour leur singularité, afin de les constituer en figure de proue de la haute littérature contemporaine, à l’aune de leur valeur d’innovation positionnée vis-à-vis des normes stylistiques d’une époque donnée. En ce sens, le style représente d’abord un écart dans la langue. Cette définition doit par ailleurs composer avec la conception traditionnelle du style, telle qu’elle est pensée par Léo Spitzer (1948), pour qui le style est d’abord la signature d’un auteur. Grâce à l’apport d’approches plus contemporaines qui tendent à envisager le style dans ses dimensions sociales (Wolf 2014) ou historiques (Philippe 2021), la stylistique, après s’être "longtemps considérée comme une science du singulier et de la singularisation" (Philippe 2016 : p. 2), tend aujourd’hui à se tourner vers le collectif – l’écart stylistique n’est alors plus tant à apprécier à l’échelle de l’individu, mais plutôt à l’aune d’un groupe social ou d’une époque donnée. À cet égard, la notion d’"imaginaire stylistique" (Philippe 2016) permet notamment de repenser le style comme une catégorie mobile, productive à la fois vis-à-vis des œuvres ainsi que des manières dont on les perçoit, d’une époque à une autre, ou d’un individu à un autre. Il s’agit ainsi d’interroger les récits qui accompagnent de tels changements de perception à l’intersection du singulier et du collectif. 

Le croisement de ces multiples approches de la littérature au détour du terme de « marque » et de ses acceptions diverses permet enfin d’engager une réflexion sur les fictions de différenciation qui accompagnent et sous-tendent nos pratiques de la critique littéraire. Après Marie-Jeanne Zenetti (2021), approcher la "marque" en littérature invite nécessairement à penser ses effets tant dans la perspective de l’objet assigné que dans celle du sujet assignant : envisager la lecture critique comme située invite à la réflexivité dès lors que l’on s’engage dans le commentaire d’une œuvre, envisagé comme participant à en faire advenir un sens possible.  

Axes de réflexion suggérés pour les propositions de communication

  • Les processus de "marquage" et de construction d’identité littéraire : en quoi des stratégies de marketing littéraire produisent-elle des fictions de différenciation qui embrayent une certaine idée de la production et la réception du bien littéraire ?

  • Le rôle de la positionnalité des lecteurs et lectrices dans la réception des œuvres : comment la critique contribue-t-elle à produire les catégories en "marquant" les textes littéraires, permettant de placer les œuvres dans le champ, et quels effets ce positionnement produit-il sur la légitimation ou la marginalisation des textes ?

  • La marque dans l’analyse stylistique : à quel point l’identification d’un style singulier représente-t-il un jugement motivé par la tension entre pratiques collectives et valeur d’innovation ? 

  • Pour une approche réflexive de notre approche du commentaire de texte : comment analyser la manière dont nos catégories, nos outils ou nos méthodes interprétatives au sein des études littéraires participent à "marquer" les œuvres et leurs auteur·rice·s ?

Ces axes visent à fournir des points d’entrée dans la problématique de la "marque" en littérature, en encourageant une approche transversale et interdisciplinaire des enjeux esthétiques, culturels et politiques qu’elle recouvre. Le colloque vise, dans l’ensemble, à examiner les récits de différenciation produits au moyen de l’imaginaire de la marque en littérature, dans toutes ses déclinaisons.  

Modalités de soumission 

Les propositions de communications sont à envoyer avant le 1er septembre 2025 à julia.cela@unil.ch et arthur.brugger@unil.ch. Elles devront tenir sur une page A4 (environ 3000 signes) et inclure un titre, un résumé problématisé, l’affiliation universitaire et l’unité de rattachement, ainsi qu’une courte notice bio-bibliographique. Organisé en panels, chaque présentation (d’une durée de 20-25 minutes) sera suivie d’une discussion commune d’une dizaine de minutes.